dimanche 28 octobre 2012

Compétitivité : l’« ultimatum » du grand patronat au gouvernement (rue 89)

basse-cour 28/10/2012 à 11h38

Compétitivité : l’« ultimatum » du grand patronat au gouvernement

Pierre Haski | Cofondateur Rue89

L’appel des patrons à la une du JDD (capture d’écran)
Il y avait déjà les petits « pigeons » des start-up, vent debout contre la taxation des plus-values à la revente. Voici une espèce un peu plus puissante de volatiles, tendance carnassiers. C’est à la une du Journal du dimanche, sous le titre guerrier : « L’ultimatum des grands patrons ».
Les cinq hommes qui posent pour la photo pèsent collectivement, nous dit-on, 128 milliards d’euros, et parlent au nom de 98 PDG de grandes sociétés, membres de l’Association française des entreprises privées : nous sommes ici au cœur des grands groupes français.
Leur message, publié dans le JDD, lui-même propriété d’un grand groupe, Lagardère, est simple :
« Nous sommes arrivés au bout de ce qui est supportable. »
On parle évidemment fiscalité, prélèvements fiscaux et sociaux. Et le calendrier n’est pas indifférent, à la veille de la remise, le 5 novembre, du célébrissime « rapport Gallois » sur la compétitivité, et au lendemain de la déclaration de François Hollande excluant de fait un « choc » immédiat de compétitivité.
Ce « choc », les patrons le souhaitent vivement, si on entend par là une baisse massive et rapide des charges patronales par le transfert d’une partie d’entre elles sur des impôts, comme la CSG ou la TVA. Le gouvernement s’y oppose après l’avoir un temps envisagé, estimant impossible d’accroître encore la taxation directe ou indirecte des particuliers après le coup de massue prévu en 2013.
Dans leur lettre ouverte par voie de presse, les grands patrons demandent en particulier que « l’Etat réalise 60 milliards d’euros d’économies au cours des cinq prochaines années », quand il n’en a prévu que 10 dans le budget 2013.

Lobby musclé

Visiblement, le premier succès – relatif – des « pigeons » donne des ailes au patronat, qui tente un lobbying musclé pour se faire entendre d’un gouvernement qui, visiblement, a du mal à trancher sur ce dossier délicat aussi bien politiquement qu’économiquement.
Il ne leur reste que quelques jours pour se faire entendre, et parvenir à peser sur les arbitrages gouvernementaux.
Jeudi dernier, devant Oséo, l’agence d’aide à l’innovation, François Hollande a été clair sur le « choc » :
« Je déconseille l’idée du choc [l’expression avait été employée par Jean-Marc Ayrault en septembre, ndlr], qui traduit davantage un effet d’annonce qu’un effet thérapeutique. »
Il a proposé à la place un « pacte », encore vague, dans lequel l’impôt sur les entreprises évoluerait vers « une assiette large et des taux qui devront être modulés ». Pierre Moscovici avait parlé pour sa part de « trajectoire de compétitivité », avant de se rallier, à Toulouse, au « Pacte de compétitivité » qui est donc l’appellation contrôlée du gouvernement. La lettre ouverte dans le JDD reprend elle aussi, habilement, le mot « pacte ».
Mais François Hollande a surtout parlé jeudi aux PME en leur assurant que les mesures prises en leur faveur seraient préservées tout au long du quinquennat, leur garantissant ainsi une visibilité plus longue.

PME contre groupes mondialisés ?

PME contre grands groupes mondialisés ? C’est assurément une partie de l’équation actuelle : le gouvernement est convaincu que la création d’emplois, dans la France actuelle, viendra des petites et moyennes entreprises et pas des plus gros groupes, dont une part croissante du chiffre d’affaires se fait désormais hors de l’Hexagone, tout comme leur production dans les pays à faible coût de main-d’œuvre.
Le bras de fer engagé dépend pour partie de la manière dont le patronat arrivera à faire passer sa vision aux yeux du public. Force est de constater que l’accumulation des plans sociaux faisant grimper le chômage, des mensonges comme celui de PSA qui, de l’aveu même de François Fillon, a retardé l’annonce de son plan au lendemain des élections, et une histoire délétère de délocalisations sans vergogne, ont creusé le fossé entre les Français et les entrepreneurs, grands et petits.
Et ce n’est pas le cynisme affiché samedi soir, à l’émission « On n’est pas couchés » de France 2, par un Charles Beidbeger, membre du Medef et de l’UMP, qui aidera à faire « aimer » les patrons par les citoyens.
L’ultimatum dans le JDD a fait l’effet d’un chiffon rouge au Congrès du PS à Toulouse : Martine Aubry s’est ainsi exclamée sur France info :
« Les leçons, ça suffit. Si j’étais patron, je m’emploierai à aider le gouvernement... »

Rétablir la confiance

Pourtant, chacun le sait, la reprise économique est aussi affaire de psychologie, de confiance des entreprises ET des citoyens/consommateurs. Il est clair qu’aujourd’hui elle n’y est pas. François Hollande le sait qui va tenter le grand écart dans les prochains jours, pour rassurer le patronat sans avoir l’air de céder à un « ultimatum » aussi clairement exprimé.
Petit symbole irréel de cette confiance évaporée entre le patronat et le gouvernement, cette nouvelle campagne lancée ce week-end par les Pigeons, ces entrepreneurs du monde des start-up : apprenant qu’Eric Schmidt, l’un des grands patrons de Google, serait reçu lundi par François Hollande à l’Elysée, ils se sont mis à le bombarder de tweets en anglais approximatif pour lui demander de plaider leur cause auprès du président de la République qui s’apprête, selon eux, à « tuer l’entreprise ».
Penser que le patron d’un des géants mondiaux de la nouvelle économie va utiliser un rendez-vous, provoqué par son propre bras de fer avec l’establishment des médias français soutenu par le gouvernement, pour plaider la cause des petits pigeons, est plutôt naïf.
A moins que ça ne participe simplement à l’agit-prop du lobby anti-impôts, sur le thème : « Patrons de tous les pays, unissez-vous ! »