mercredi 31 octobre 2012

Populariser les « biens communs » pour sortir de la crise

Cybercitoyenneté

Populariser les « biens communs » pour sortir de la crise

INITIATIVE Le marché ou l’État ? Une troisième voie se dessine depuis quelques années qui permet d’entrevoir un dépassement de cet antagonisme : la mise en commun de biens naturels et immatériels. L’association Vecam, impliquée dans la cybercitoyenneté, milite pour la mise en réseau des acteurs francophones des biens communs.
Aperçu de l'affiche de sensibilisation au logiciel libre pour l'éducation. Crédit Antoine Bardelli. Source Wikimedia Commons
Aaffiche de sensibilisation au logiciel libre pour l’éducation. Crédit Antoine Bardelli. Source Wikimedia Commons
Notre monde secoué de crises ne peut se réduire à une lecture binaire : le marché contre l’État. D’autres manières de penser le développement existent, plus respectueuses des humains et de la planète, plus créatives que celles mises en œuvre par nos structures représentatives, et plus coopératives que compétitives. Ces autres manières passent notamment par la promotion, la diversification et la défense des biens communs.
Tel est le crédo de l’association Vecam (Réflexion et action pour l’internet citoyen), créée en 1995, qui lance un « Appel pour la constitution d’un réseau francophone autour des biens communs ».
Valérie Peugeot Vecam
Valérie Peugeot, présidente de Vecam.
Les biens communs, ce sont les ressources que l’on souhaite partager et promouvoir, que celles-ci soient naturelles (une forêt, une rivière, la biosphère), matérielles (machine-outil, imprimante) ou immatérielle (connaissance, logiciel, ADN d’une plante ou d’un animal). Il s’agit aussi des formes de gouvernance associées à ces ressources, qui vont permettre leur partage, leur circulation ou leur protection. C’est une approche alternative de la gestion de biens et de services, qui bouscule le modèle économique dominant basé sur la propriété.
Vecam souhaite « donner plus de cohérence et de visibilité au thème des communs et le faire rentrer dans le champ politique ». A son initiative, un réseau des initiatives francophones sur les communs et des personnes qui les portent s’est constitué. Une première rencontre a eu lieu le 26 septembre 2012 dans les locaux de la Fonda à Paris.

Un mouvement international de « commoners »

Beaucoup de personnes, de groupes et de réseaux travaillent chacun à leur manière et dans leur domaine autour de la question de ces « communs ». L’essor d’internet a été une formidable opportunité pour ces acteurs, qui peuvent désormais se fédérer en quelques clics. L’encyclopédie en ligne Wikipédia est sans doute l’un des plus bels exemples de partage d’un bien commun, le savoir, réalisé de toutes pièces par les citoyens (voir notre encadré). Une autre initiative, comme Open Source Ecology (OSE), réseau de fermiers, d’ingénieurs et de promoteurs du bien commun, travaille à la production d’un kit de démarrage d’une nouvelle civilisation, grâce à plateforme technologique ouverte qui permet la production aisée des 50 machines industrielles nécessaires pour construire une petite civilisation avec tout le confort moderne. Des groupes, partout dans le monde, développent des plans sous licence libre et construisent des prototypes qui font partie du bien commun.
Un mouvement international des promoteurs des biens communs, ou « commoners » en anglais, est en construction depuis quelque temps. Une première rencontre internationale s’est tenue en novembre 2010 à Berlin. Une seconde est prévue, toujours à Berlin, en mai 2013.
Ces rencontres ont pour objectif à la fois de mettre en réseau ces différents acteurs et de penser les questions théoriques auxquelles les biens communs sont confrontés : passage du local au mondial, modèles économiques des biens communs, formes de régulation juridique, sociale et politique, relations avec les puissances publiques ou le marché…

La pensée d’Elinor Ostrom

Elinor Ostrom
Elinor Ostrom. © Holger Motzkau 2010, Wikipedia/Wikimedia Commons (cc-by-sa-3.0)
Vecam travaille depuis plusieurs années autour de ces questions, notamment à travers des publications (les livres “Pouvoir Savoir : Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle » et “Libres savoirs : Les biens communs de la connaissance – produire collectivement, partager et diffuser les connaissances au XXIe siècle », des rencontres en France et au cours des forums sociaux mondiaux, et la mise en place d’outils de mutualisation comme les plateformes bienscommuns.org et remixthecommons.org.
« Notre association est constituée de cinq bénévoles permanents et du réseau, explique sa présidente Valérie Peugeot. Au départ, nous étions plutôt orientés vers l’entreprenariat social. Aujourd’hui, nous sommes recentrés sur les questions liées aux nouvelles technologies de propriété intellectuelle et de vie privée, qui sont très structurantes dans les changements sociaux. Nous avons travaillé tout particulièrement sur la pensée d’Elinor Ostrom, chercheure américaine en sciences politiques qui travaillait [elle est décédée le 12 juin 2012, ndlr] sur les Communs et qui reçut le prix Nobel d’économie en 2009 ».


La carte conceptuelle du logiciel libre. Illustration René Mérou, Wikimedia Commons
« On peut citer ainsi le mouvement des logiciels libres ; celui des scientifiques défendant l’accès libre aux publications de recherche ; les paysans opposés à la mainmise sur les semences ; les associations de malades œuvrant pour la prééminence du droit à la santé sur les brevets de médicaments ; les bibliothécaires partisans du mouvement pour l’accès libre à la connaissance ; les auteurs et interprètes qui décident de placer leurs travaux sous le régime des « creative commons » ; les rédacteurs de projets collectifs qui construisent des documents partagés sous un régime de propriété ouvert, garantissant la non appropriation privée, à l’image de Wikipédia ou de Music Brainz ; ce sont même des organismes publics qui partagent leurs données pour des usages libres, commela BBC pour la musique et les vidéos, ou PBS le grand réseau de radio public des Etats-Unis. Avec l’internet, cette notion des Communs de la connaissance connaît à la fois un profond intérêt scientifique et pratique, mais voit aussi un nouveau terrain d’expérimentation. »
Hervé Le Crosnier, Vecam.