Zone euro
TSCG : vrais mensonges, fausses évidences et mauvaise foi
Par (28 septembre 2012)
Le traité budgétaire européen, auquel s’opposent le Front de gauche, Europe écologie - Les verts et plusieurs élus socialistes, sera débattu à l’Assemblée nationale début octobre. L’économiste Cédric Durand, opposé au traité, répond ici aux arguments de la secrétaire du PS à l’économie et nouvelle député, Karine Berger, qui défend sa ratification.
Beaucoup a été écrit sur l’absurdité économique et le caractère anti-démocratique du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG). Il ne s’agit donc pas de reprendre ici ces arguments sans appels, mais plutôt de se risquer à une petite opération de contre-feu suite à la tribune en faveur de la ratification du TSCG écrite par Karine Berger dans Le Monde du 20 septembre.
Nouvelle député, secrétaire du PS à l’économie, cette polytechnicienne sur le retour d’un pantouflage dans la société d’assurance Euler Hermès est aujourd’hui pressentie pour être porte-parole dans l’équipe d’Harlem Désir. Clair et bien écrit, son texte est une épure, ce que l’on peut espérer de mieux de la raison sociale-libérale. L’argumentation n’est pas sophistiquée mais élégante. Sobre, elle assène avec aplomb mensonges, fausses évidences et mauvaise foi tout en laissant échapper de jolis aveux. Démonstration.
Karine Berger attaque fort en affirmant que « l’euro n’a pas été inventé pour des raisons économiques. Il a été mis en place pour que des peuples perdent l’habitude de s’entre-tuer ». Qui pourrait croire pareille baliverne ? Du rapport de la European round table qui a conduit à la signature de l’acte unique de 1986 à la construction de l’Union économique et monétaire (UEM) téléguidée par les banques centrales, le pari bien naïf de Jacques Delors était de confier aux intérêts des multinationales et des banques le soin de construire l’Europe. Celles-ci se sont acquittées de la tâche en fonction de leurs intérêts bien compris : les avantages de la concurrence libre et non faussée sur le premier marché du monde et la construction d’une monnaie mondiale permettant des gains financiers conséquents et récurrents sur leurs opérations internationales. L’UEM est avant tout une affaire de gros sous.
Solidaire du capital financier
Et puis, s’il faut parler de construction de la paix, jugeons sur pièce ! Jamais depuis la seconde guerre mondiale, la discorde n’a été aussi vive entre les peuples européens. Les extrêmes droites surfent sur les égoïsmes nationaux, profitant de l’aubaine d’une « solidarité » qui ne s’exerce que vis-à-vis du capital financier : aucun des plans de sauvetages décidés depuis 2010 n’a eu d’autres objectifs que d’éviter ou de contenir des cessations de paiements risquant de provoquer la banqueroute d’institutions financières chancelantes ; l’argent versé ne le fut qu’à fin de permettre aux pays concernés (Grèce, Portugal, Irlande et Chypre pour l’instant..) de continuer de rembourser leurs dettes.
L’Europe est mal en point. C’est un fait. Mais l’élection de François Hollande aurait changé la donne nous dit Mme Berger : « C’est une inversion du mouvement qui a été permis par les élections françaises. D’ailleurs, ceux qui doutent sont bien les seuls à sembler croire qu’il ne se serait rien passé en Europe à la suite des élections françaises. Pour l’anecdote, dans mes tournées des investisseurs sur la dette de la France pendant la campagne, j’ai vu leurs positions se retourner. Alors qu’en janvier ils me harcelaient pour que nous nous soumettions à l’austérité, en mai ils applaudissaient à l’idée d’un pacte pour la croissance de M. Hollande qui était devenu consensuel. Il y a bien eu le commencement d’une réorientation profonde du chemin que prenait l’Union européenne grâce à l’élection de François Hollande et au sommet européen des 28 et 29 juin. »
De l’austérité hard à l’austérité soft
En fait, que le traité soit ou non adopté, l’austérité hard a du plomb dans l’aile en Europe. Et François Hollande n’y est pas pour grand chose. Même le plus obtus des bureaucrate bruxellois – et a fortiori les investisseurs rencontrés par Mme Berger dont l’argent est en jeu ! – ne peut que constater la validité du b.a.-ba de la macroéconomie : dans une « récession de bilan », lorsque les ménages et les entreprises sont contraints de se désendetter pour encaisser le choc de la crise financière, si les États font de même, l’économie ne peut redémarrer. La nouvelle récession dans laquelle plonge l’Europe après celle de 2008-2009 confirme le scénario « double dip » (littéralement double plongeon) anticipé de longue date par les économistes qui gardaient un brin de lucidité.
Après un léger éloignement des échéances pour l’Espagne et le Portugal – personne ne croyant plus au calendrier du dernier accord sur la Grèce – c’est maintenant l’objectif de réduire le déficit public de la France à 3 % en 2013 qui est « intenable ». Puisque les faits sont têtus, une inflexion est en préparation au niveau de la commission. Un récent papier de l’influent think-tank bruxellois Bruegel prépare ainsi le terrain à un assouplissement généralisé des contraintes budgétaires pour l’année qui vient.
Coup d’État bureaucratique
Le coup d’État bureaucratique rampant depuis 2010, lui, se poursuit plus que jamais. Et le traité marque à cet égard un pas en avant significatif en soumettant à des instances technocratiques non élues la surveillance des politiques économiques des pays. Une de ses dispositions les plus importantes – mais les moins commentées – est sans doute l’article 11 qui stipule qu’ « en vue d’évaluer quelles sont les meilleures pratiques et d’œuvrer à une politique économique fondée sur une coordination plus étroite, les parties contractantes veillent à ce que toutes les grandes réformes de politique économique qu’elles envisagent d’entreprendre soient débattues au préalable et, au besoin, coordonnées entre elles. Cette coordination fait intervenir les institutions de l’Union européenne dès lors que le droit de l’Union européenne le requiert ». Bref et relativement vague, cet article implique que la politique économique des États, sans restriction de domaine, est désormais du ressort des institutions européennes, loin des pressions populaires que peuvent laisser filtrer les processus électoraux.
Les dernières déclarations de Mario Draghi vont dans le même sens. L’engagement de la Banque centrale européenne (BCE) de racheter la dette des pays asphyxiés par les marchés financiers va leur redonner un peu d’oxygène à court terme, à conditions que leurs gouvernements se soumettent à la troïka (Banque mondiale, FMI, Commission européenne) pour accélérer la transformation néolibérale de leurs économies (libéralisation du marché du travail, privatisations..).
Le pacte de croissance ? 0,1 % du PIB de l’Europe…
Pour la cause, Karine Berger sait mettre à distance sa formation d’économiste. Elle affirme que « grâce à l’ajout d’obligations européennes de financement de projet et de l’utilisation des fonds structurels européens pour les pays en difficulté du sud de la zone euro, l’union monétaire va au contraire réaliser pour la première fois depuis 1954 une véritable politique keynésienne commune ». Ces mesures, qui correspondent au pacte de croissance arraché par François Hollande fin juin, ne représente au total que 10 milliards d’argent frais, soit moins de 0,1 % du PIB de l’UE. Un simple grain de poussière dans le torrent de la récession...
Et de conclure, par une justification à tous les renoncements. « A M. Mélenchon, je dis non, la France n’est pas seule à la table des négociations, non, l’Europe n’a pas non plus à s’aligner sur les seules volontés françaises, non, l’avis des citoyens allemands ne pèse pas moins que celui des citoyens qui ne vous ont pas élu à la présidentielle et aux législatives. » Le piège tendu à la gauche consiste à brandir la menace de la désunion entre les peuples pour mieux défendre la finance. Il y a là un petit jeu de miroir avec l’extrême droite, qui ne peut que profiter aux nationalistes. Pour en sortir, une gauche digne de ce nom doit assumer haut et fort que solidarité, internationalisme et démocratie ne peuvent s’épanouir sous le joug de la finance. Vouloir désobéir aux institutions de l’Union économique et monétaire n’implique pas une union sacrée contre les autres peuples.
Cédric Durand est économiste à l’Université Paris 13 et participe à la revue Contretemps.
Nouvelle député, secrétaire du PS à l’économie, cette polytechnicienne sur le retour d’un pantouflage dans la société d’assurance Euler Hermès est aujourd’hui pressentie pour être porte-parole dans l’équipe d’Harlem Désir. Clair et bien écrit, son texte est une épure, ce que l’on peut espérer de mieux de la raison sociale-libérale. L’argumentation n’est pas sophistiquée mais élégante. Sobre, elle assène avec aplomb mensonges, fausses évidences et mauvaise foi tout en laissant échapper de jolis aveux. Démonstration.
Karine Berger attaque fort en affirmant que « l’euro n’a pas été inventé pour des raisons économiques. Il a été mis en place pour que des peuples perdent l’habitude de s’entre-tuer ». Qui pourrait croire pareille baliverne ? Du rapport de la European round table qui a conduit à la signature de l’acte unique de 1986 à la construction de l’Union économique et monétaire (UEM) téléguidée par les banques centrales, le pari bien naïf de Jacques Delors était de confier aux intérêts des multinationales et des banques le soin de construire l’Europe. Celles-ci se sont acquittées de la tâche en fonction de leurs intérêts bien compris : les avantages de la concurrence libre et non faussée sur le premier marché du monde et la construction d’une monnaie mondiale permettant des gains financiers conséquents et récurrents sur leurs opérations internationales. L’UEM est avant tout une affaire de gros sous.
Solidaire du capital financier
Et puis, s’il faut parler de construction de la paix, jugeons sur pièce ! Jamais depuis la seconde guerre mondiale, la discorde n’a été aussi vive entre les peuples européens. Les extrêmes droites surfent sur les égoïsmes nationaux, profitant de l’aubaine d’une « solidarité » qui ne s’exerce que vis-à-vis du capital financier : aucun des plans de sauvetages décidés depuis 2010 n’a eu d’autres objectifs que d’éviter ou de contenir des cessations de paiements risquant de provoquer la banqueroute d’institutions financières chancelantes ; l’argent versé ne le fut qu’à fin de permettre aux pays concernés (Grèce, Portugal, Irlande et Chypre pour l’instant..) de continuer de rembourser leurs dettes.
L’Europe est mal en point. C’est un fait. Mais l’élection de François Hollande aurait changé la donne nous dit Mme Berger : « C’est une inversion du mouvement qui a été permis par les élections françaises. D’ailleurs, ceux qui doutent sont bien les seuls à sembler croire qu’il ne se serait rien passé en Europe à la suite des élections françaises. Pour l’anecdote, dans mes tournées des investisseurs sur la dette de la France pendant la campagne, j’ai vu leurs positions se retourner. Alors qu’en janvier ils me harcelaient pour que nous nous soumettions à l’austérité, en mai ils applaudissaient à l’idée d’un pacte pour la croissance de M. Hollande qui était devenu consensuel. Il y a bien eu le commencement d’une réorientation profonde du chemin que prenait l’Union européenne grâce à l’élection de François Hollande et au sommet européen des 28 et 29 juin. »
De l’austérité hard à l’austérité soft
En fait, que le traité soit ou non adopté, l’austérité hard a du plomb dans l’aile en Europe. Et François Hollande n’y est pas pour grand chose. Même le plus obtus des bureaucrate bruxellois – et a fortiori les investisseurs rencontrés par Mme Berger dont l’argent est en jeu ! – ne peut que constater la validité du b.a.-ba de la macroéconomie : dans une « récession de bilan », lorsque les ménages et les entreprises sont contraints de se désendetter pour encaisser le choc de la crise financière, si les États font de même, l’économie ne peut redémarrer. La nouvelle récession dans laquelle plonge l’Europe après celle de 2008-2009 confirme le scénario « double dip » (littéralement double plongeon) anticipé de longue date par les économistes qui gardaient un brin de lucidité.
Après un léger éloignement des échéances pour l’Espagne et le Portugal – personne ne croyant plus au calendrier du dernier accord sur la Grèce – c’est maintenant l’objectif de réduire le déficit public de la France à 3 % en 2013 qui est « intenable ». Puisque les faits sont têtus, une inflexion est en préparation au niveau de la commission. Un récent papier de l’influent think-tank bruxellois Bruegel prépare ainsi le terrain à un assouplissement généralisé des contraintes budgétaires pour l’année qui vient.
Coup d’État bureaucratique
Le coup d’État bureaucratique rampant depuis 2010, lui, se poursuit plus que jamais. Et le traité marque à cet égard un pas en avant significatif en soumettant à des instances technocratiques non élues la surveillance des politiques économiques des pays. Une de ses dispositions les plus importantes – mais les moins commentées – est sans doute l’article 11 qui stipule qu’ « en vue d’évaluer quelles sont les meilleures pratiques et d’œuvrer à une politique économique fondée sur une coordination plus étroite, les parties contractantes veillent à ce que toutes les grandes réformes de politique économique qu’elles envisagent d’entreprendre soient débattues au préalable et, au besoin, coordonnées entre elles. Cette coordination fait intervenir les institutions de l’Union européenne dès lors que le droit de l’Union européenne le requiert ». Bref et relativement vague, cet article implique que la politique économique des États, sans restriction de domaine, est désormais du ressort des institutions européennes, loin des pressions populaires que peuvent laisser filtrer les processus électoraux.
Les dernières déclarations de Mario Draghi vont dans le même sens. L’engagement de la Banque centrale européenne (BCE) de racheter la dette des pays asphyxiés par les marchés financiers va leur redonner un peu d’oxygène à court terme, à conditions que leurs gouvernements se soumettent à la troïka (Banque mondiale, FMI, Commission européenne) pour accélérer la transformation néolibérale de leurs économies (libéralisation du marché du travail, privatisations..).
Le pacte de croissance ? 0,1 % du PIB de l’Europe…
Pour la cause, Karine Berger sait mettre à distance sa formation d’économiste. Elle affirme que « grâce à l’ajout d’obligations européennes de financement de projet et de l’utilisation des fonds structurels européens pour les pays en difficulté du sud de la zone euro, l’union monétaire va au contraire réaliser pour la première fois depuis 1954 une véritable politique keynésienne commune ». Ces mesures, qui correspondent au pacte de croissance arraché par François Hollande fin juin, ne représente au total que 10 milliards d’argent frais, soit moins de 0,1 % du PIB de l’UE. Un simple grain de poussière dans le torrent de la récession...
Et de conclure, par une justification à tous les renoncements. « A M. Mélenchon, je dis non, la France n’est pas seule à la table des négociations, non, l’Europe n’a pas non plus à s’aligner sur les seules volontés françaises, non, l’avis des citoyens allemands ne pèse pas moins que celui des citoyens qui ne vous ont pas élu à la présidentielle et aux législatives. » Le piège tendu à la gauche consiste à brandir la menace de la désunion entre les peuples pour mieux défendre la finance. Il y a là un petit jeu de miroir avec l’extrême droite, qui ne peut que profiter aux nationalistes. Pour en sortir, une gauche digne de ce nom doit assumer haut et fort que solidarité, internationalisme et démocratie ne peuvent s’épanouir sous le joug de la finance. Vouloir désobéir aux institutions de l’Union économique et monétaire n’implique pas une union sacrée contre les autres peuples.
Cédric Durand est économiste à l’Université Paris 13 et participe à la revue Contretemps.