vendredi 5 octobre 2012

Une autre façon de voir les élections au Venezuela (Investig'action)

Voici, chers lecteurs, une autre version des faits concernant le Venezuela et les élections qui se dérouleront ce dimanche. Ci-dessous l'article de Michel Collon sur Investig'Action.. A nous de faire, dans la mesure du possible, la part des choses. Difficile, j'en conviens !

Chavez : 5 médiamensonges du Soir et du Monde
par Michel Collon

Ce dimanche 7 octobre, élection présidentielle au Venezuela. Michel Collon teste l’info qu’on nous donne en France et en Belgique. Début d’une petite série de test – médias sur Le Soir, Le Monde et d’autres…

Chavez sera-t-il réélu ou bien sera-t-il remplacé par le candidat d’opposition Henrique Capriles Radonski ? J’ai testé les divers articles consacrés à cette élection par le quotidien bruxellois, que je lis tous les matins après le petit déjeuner. Puis, je suis allé voir aussi du côté du Monde français et d’autres médias. Ce qui frappe : ils disent tous la même chose. Mais quelles sont leurs sources ? Et surtout : qu’est-ce qu’ils ne disent pas ?
Mon objectif : montrer comment vous pouvez repérer vous-mêmes les médiamensonges à l’avenir. Et ce que vous pouvez faire vous-même, en tant que citoyen, face à la désinformation…
Des manips, j’en ai relevé sur cinq points : 1. Pourquoi nous cache-t-on le programme de l’opposition ? 2. Capriles est-il vraiment « un jeune nouveau » ? 3. Chavez « antisémite » et dictatorial ? 4. Qui menace d’une « guerre civile » ? 5. Capriles peut-il gagner ?
  1. Pourquoi nous cache-t-on le véritable programme de l’opposition ?

Les grands médias européens présentent Capriles comme un grand démocrate progressiste, qui serait en fait un candidat de « centre gauche ». Véronique Kiesel est la chroniqueuse attitrée du Soir sur le Venezuela. Elle a consacré deux articles à la campagne présidentielle. Tous deux vantant le candidat de l’opposition. Ses qualités ? Il est plus jeune que Chavez et « plein d’énergie ». Et à part ça ? « Tout en promettant de poursuivre les programmes sociaux actuels, (…) il a réussi à dépasser la pure opposition idéologique à Chavez ».
Qu’entend-elle par ce « dépassement » ? Faudrait-il oublier qu’avant Chavez (sous l’actuelle opposition donc), 80% des Vénézuéliens étaient pauvres, voire très pauvres alors que l’élite se construisait des fortunes colossales avec l’argent du pétrole ? Si les mots ont un sens, Madame Kiesel serait bien aimable d’expliquer par quel miracle on peut dépasser la contradiction entre les très riches et les autres qui en sont victimes ? Qui a intérêt à la prétendre « dépassée », sinon les ultra – riches dont la famille Capriles fait partie d’ailleurs ?
Et Kiesel se démène énergiquement pour cacher que le programme de Capriles est néolibéral, radicalement à droite et ramènerait très vite les anciennes injustices. C’est pourtant écrit en toutes lettres dans ce programme de 166 pages : Capriles veut notamment privatiser la compagnie nationale du pétrole en « élargissant son assemblée d’actionnaires » pour en faire « une entreprise à seule finalité commerciale » Or, c’est justement en redistribuant enfin l’argent du pétrole, que Chavez a pu en quelques années financer des soins de santé pour tous, l’éducation pour tous, la fin de l’analphabétisme, une aide aux petites et moyennes entreprises, la croissance économique, la hausse du salaire minimum et des retraites, etc. ! Capriles veut au contraire privatiser les retraites, malgré les catastrophes sociales constatées dans tous les pays où ce néolibéralisme a été appliqué.
Capriles veut aussi démanteler l’Etat central, pour l’empêcher de mener ces politiques sociales qui ne sont que gaspillage aux yeux des riches. Il prétend tout régler avec une large autonomie des provinces. Mais comme l’écrit Romain Migus, jeune Français vivant à Caracas : « (Sans intervention de l’Etat central), comment ferait un Etat pauvre et peu peuplé, comme le Delta Amacuro, situé á la frontière avec la Guyana, pour financer son réseau d´hôpitaux, d´écoles, ses routes, ses installations sportives, ses services culturels, ou encore son approvisionnement en eau et en électricité, toutes compétences que lui confère le programme de Henrique Capriles ? En réalité, cette décentralisation est le prélude à la privatisation des services publics régionaux dans les zones où le financement local sera impossible. »

2. Capriles est-il vraiment « un jeune nouveau » ?

Kiesel insiste : en contraste avec le « vieux Chavez », Capriles serait un candidat tout frais et tout nouveau, qui prônerait « la réconciliation d’un pays hautement polarisé depuis plus de 10 ans entre chavistes et antichavistes. »
« Réconcilier », vraiment ? Qui donc est Capriles ? Il a d’abord été élu en 1998 député du parti démocrate chrétien COPEI. Quand ce parti néolibéral et ultra - corrompu a perdu tout crédit, Capriles a décidé avec d’autres de fonder Primero Justicia, un parti ouvertement de droite. Ce parti aura deux sources de financement : 1. Des fonds détournés illégalement de l'entreprise publique PDVSA. 2. Des fonds versés par la CIA à travers ses habituels paravents : National Endowment for Democracy (NED) et International Republican Institute (IRI).
Pire : en 2002, lorsqu’un coup d’Etat militaire tente de renverser Chavez, Capriles, alors maire d’un quartier riche de Caracas, participe à l’attaque très violente contre l’ambassade de Cuba, il fait le mur pour y pénétrer, menace l’ambassadeur, et sa police ferme les yeux quand les putschistes détruisent les autos de l’ambassade, puis coupent son approvisionnement en eau et en électricité.
Lorsqu’il sera élu gouverneur de l’Etat de Miranda, en 2008, quelle sera la première mesure de Capriles ? Supprimer des cliniques et des projets d’enseignement mis en place par Chavez. Seule l’opposition populaire l’en empêchera finalement. « Centre-gauche », tout ça ?
Capriles escalade de le mur de l'ambassade cubaine à Caracas durant le coup d'Etat militaire qu'il a soutenu en 2022.

3. Chavez antisémite et dictatorial ?

Pour amener le lecteur européen à se méfier de Chavez, pour lui faire oublier ses extraordinaires réalisations sociales, les médias appliquent le principe permanent de la propagande de guerre : diaboliser. Dans tous ses articles, Kiesel tape systématiquement sur les mêmes clous.
Ainsi, le 7 septembre, elle accuse Chavez « d’utiliser les immenses ressources pétrolières pour financer à la fois ses ambitieux programmes sociaux et sa campagne électorale. » Le premier, c’est vrai. Le second est un mensonge sans preuves, très fréquent chez Kiesel.
Le 2 octobre, elle invente l’idée que les Vénézuéliens, intimidés, « sont nombreux à ne pas vouloir parler de politique avec des inconnus ». Promenez-vous un peu à Caracas et vous verrez que le problème serait plutôt, quand ils parlent de politique et quel que soit leur bord, de parvenir à les arrêter !
Le 6 septembre, le chroniqueur Venezuela du Monde, Paolo Paranagua, accuse carrément Chavez de développer l’antisémitisme (entendez : le racisme anti-juifs). Ça, c’est évidemment un tout grand classique, si pas le plus grand de la propagande de diabolisation ! Et ce n’est pas la première fois que Paranagua, Kiesel et aussi Libération accusent ainsi Chavez : ils avaient notamment lancé une grande campagne sur ce thème en janvier 2006 (tiens, encore une année électorale !). Ils avaient en fait tronqué et déformé grossièrement un discours de Chavez (http://www.michelcollon.info/Comment-peut-on-nous-mentir-si.html). Ballon vite dégonflé.
Mais, comptant sur l’amnésie, Paranagua récidive : « Chavez se présente lui-même comme ‘candidat de la patrie’. Il a donc désigné son opposant comme le ‘candidat de l’anti-patrie’. C’est un classique du répertoire nationaliste : ainsi « l’anti-France » désignait pêle-mêle les juifs, les maçons, les communistes. »
Amalgame grossier et interprétation simpliste : s’il est vrai que les fascistes européens des années 30 utilisaient la propagande chauvine pour endoctriner vers la guerre, le patriotisme peut prendre un sens tout différent dans le cas d’un peuple agressé ! Par exemple, les Palestiniens ont tous les droits d’être ‘nationalistes’ face à l’occupation coloniale. Les Africains aussi face au pillage permanent de leur richesse. Et le nationalisme prend une toute autre signification dans cette Amérique latine colonisée et appauvrie pendant des siècles par les colonialistes étrangers. Dans notre livre Les 7 péchés d’Hugo Chavez, nous avons expliqué que la bourgeoisie dirigeante de nombreux pays latino-américains avait effectivement trahi les intérêts du pays en cédant toutes ses richesses aux multinationales étrangères. Donc si Capriles poursuit cette politique néolibérale soumise aux multinationales US, oui, on a le droit de dire qu’il trahit sa patrie.
En réalité, ce que Paranagua reproche à Chavez, c’est d’avoir osé critiquer publiquement Israël. Mais comme il sait que cet argument n’aurait pas de poids chez les gens honnêtes, il déforme systématiquement. Attention, suivez bien son « raisonnement », ça commence ainsi : « Le discours de Chavez libère la parole de ses militants » (N.B. Cela revient à dire que Chavez est personnellement responsable de tout excès qui serait commis par un de ses partisans ! On attend que cette nouvelle règle soit appliquée à la politique française, par exemple). Mais Paranagua poursuit : « Le site chaviste Martillo Rojo écrit ainsi le nom de l’opposant Caprile$ Rat-onski. Le changement d’une simple lettre pour écrire Rat-onski se passe d’explications » (Ah bon ?). Et il conclut brillamment : « Le signe du dollar incrusté dans le nom en renforce la connotation antisémite. »
Eh voilà comment on fabrique un procès en sorcellerie ! Militants du monde entier qui utilisez souvent le sigle $ pour dénoncer une politique des multinationales, attention, vous faites du racisme anti-juifs sans le savoir ! En fait, Paranagua, comme Le Monde, pratique ici le truc favori du lobby israélien : si vous êtes contre le sionisme, c’est-à-dire contre le colonialisme israélien, alors vous êtes contre les juifs, vous êtes un raciste. Mais non : c’est l’Etat d’Israël qui est raciste, et non ceux qui le critiquent. De nombreux juifs critiquent Israël.
De tout cela, nous sommes prêts à débattre publiquement avec Paranagua, mais il semble que son courage n’aille pas au-delà du fait de lancer des critiques gratuites. Il faut dire que Paranagua est un exemplaire parfait du serial médiamenteur. Quelques exemples parmi bien d’autres…
Le 29 janvier 2008, il insinue qu’un trafiquant de drogue vénézuélien, Del Nogal, condamné en Italie, serait proche du gouvernement vénézuélien dont il aurait financé les campagnes. Alors qu’en réalité l’enquête sur Del Nogal a démarré au Venezuela où tous ses biens, avoirs et sociétés ont été saisis par la Justice. En fait, Paranagua recopiait ici les accusations gratuites de John Walters, un haut responsable à la Maison-Blanche, qui avait prétendu que Chavez était « en train de devenir un important facilitateur du trafic de cocaïne vers l’Europe. » Pourtant, les services vénézuéliens ont arrêté un très grand nombre de contrebandiers en provenance de Colombie. Un détail, le fait de recopier cette accusation US ? Pas du tout. L’invasion du Panama en 1989 fut justifiée par une accusation semblable. La propagande de Paranagua sert à préparer une agression.
Le 28 mai 2007, le même Paranagua écrit : « Les opposants à Chavez ont mobilisé plusieurs milliers de personnes face au Conseil national des télécommunications où des heurts avec la police ont fait une dizaine de blessés. » Qu’est-ce qui cloche ? Un gros mensonge par omission : tous les blessés sont des policiers ! Dont un gravement blessé par balle ! Cela se passerait en France, Le Monde écrirait ainsi ? Et on pourrait multiplier les exemples de cette mauvaise foi à sens unique.

4. Capriles peut-il gagner ?

Revenons à Kiesel. Ses deux titres montrent clairement où son cœur balance. 7 septembre : « Et si Hugo Chavez était battu ? ». 2 octobre « Capriles, celui qui pourrait battre Chavez. Tout est possible. » Pourtant, Kiesel est bien obligée de reconnaître que les instituts de sondage donnent Chavez largement gagnant : entre 15 et 20 points d’avance. Cependant, elle a réussi à trouver un institut qui affirme le contraire : « 48,6% pour Capriles contre 44,2% pour Chavez. » OK, c’est normal, les sondages sont un art incertain…
Sauf que Kiesel oublie volontairement de signaler que les Etats-Unis… financent des instituts de sondage pour semer la confusion et décourager leurs adversaires. Nous avions exposé ce procédé dans notre préface au livre (épuisé) Code Chavez – CIA contre Venezuela, sur les divers financements secrets de la CIA au Venezuela et ailleurs. Sauf qu’en 2006, Le Soir avait aussi affirmé que Chavez allait perdre, et que ce pronostic s’était fracassé. Sauf que c’est un classique de la propagande US. Et pas du tout une erreur de jugement.
En réalité, quand les USA savent que leur protégé va perdre dans tel ou tel pays (ce fut le cas aussi en Iran), ils répandent quand même pendant des mois l’idée qu’il va gagner. Pourquoi ? Pour préparer les esprits à l’idée que si Chavez gagne, c’est qu’il aura triché. Et pour justifier à l’avance les actions violentes préparées par leurs services avec l’opposition, actions qui seront bien entendu présentées comme des « protestations populaires spontanées ». C’est un scénario classique pour préparer un coup d’Etat.
Bref, Kiesel se comporte également en serial mediamenteuse, complice de coups d’Etat potentiels. Et ce n’est pas une plaisanterie : la CIA a ainsi tenté de renverser Hugo Chavez, mais aussi Evo Morales en Bolivie et Rafael Correa en Equateur. Et elle a réussi à renverser le président du Honduras et celui du Paraguay.

5. Qui menace d’une « guerre civile » ?

Pour renforcer cette manipulation du public, Kiesel a aussi prétendu que Chavez menaçait de déclencher une « guerre civile » s’il ne gagnait pas. Tous les grands médias l’ont répété.
Mais j’ai vérifié les faits auprès de mon ami Jean Araud qui vit à Caracas depuis quarante ans. Sa réponse : « Depuis Caracas, je crois rêver en t´écoutant. En réalité Chavez n´a rien dit lui-même de cela. Chavez n´a menacé personne, n´a pas prédit de guerre civile ni de chaos. Il s´est limité à citer des commentaires de membres de l´opposition qui ont clairement exprimé et prévenu l´opinion publique que le programme néo-libéral du candidat présidentiel Capriles en supprimant tous les avantages sociaux acquis sous Chavez pouvait avoir ces effets de chaos et de guerre civile. Ils ont dit n’être pas disposés à accepter des agendas occultes, obsessions néolibérales, ni gueules de bois économistes. Quelques heures à peine après ses déclarations, le député William Ojeda a été expulsé de son parti ce qui est typique d´un secteur de l´opposition qui brandit la bannière de la démocratie. » Bref, encore un médiamensonge. Toujours pour préparer les esprits à des incidents possibles.
Kiesel, Paranagua and Cie diront-ils à leurs lecteurs qu’à la suite de ce scandale, quatre petits partis politiques ont retiré leur soutien à Capriles ? Et que William Ojeda, ce député d'opposition, a carrément appelé à voter Chavez ?
Conclusion : nous ne pensons pas qu’il s’agit ici de simples erreurs comme tout journaliste peut en commettre. Il s’agit d’une propagande délibérée, copiée - collée sur Washington et sur l’élite vénézuélienne. Le Soir, Le Monde et autres médias sont en campagne électorale contre Chavez. Aux côtés des Vénézuéliens riches.
Et le fait que ces journaux refusent systématiquement la parole aux contradicteurs et analystes sérieux, le fait qu’ils refusent de débattre sur leurs « erreurs » en public, le fait qu’ils recourent à des calomnies dégueulasses (Le Soir m’a assimilé au chef de la propagande nazie, Joseph Goebbels, et refuse de publier le droit de réponse qui lui a été envoyé), tout cela prouve leur mauvaise foi. Pour garder leur prestige et leurs recettes publicitaires, Le Soir, Le Monde, etc refusent de traiter le public en adulte. Pas le droit de vérifier les infos. Avec Le Soir, face aux médiamensonges, on doit la fermer.

Que faire alors ?

Je vois deux manières de nous défendre ensemble contre les médiamensonges.
  1. Notre équipe Investig’Action, trop petite et manquant des moyens nécessaires, va faire appel à vous très bientôt pour renforcer son activité, notamment sur le plan des test - médias. Moi aussi, j’aurais pu me faire avoir, si pas sur le Venezuela, sur d’autres pays que je connais moins bien. Comment j’ai fait pour repérer les tricheries ? Grâce à un réseau d’amis qui vivent au Venezuela et connaissent très bien la situation, particulièrement Jean et Romain que je remercie. Un tel réseau, nous devons le constituer pour d’autres pays.
  2. Mais le rôle fondamental, c’est à vous, lecteurs, de le jouer. Vous pouvez écrire à ces médias, ou à ceux que vous suivez. Vous pouvez demander comment ils expliquent une telle déformation des faits ? Mais surtout, vous pouvez en parler autour de vous. En signalant aux lecteurs de ces journaux qu’il existe d’autres sources d’info. Pour ne pas se faire avoir, tout le monde a intérêt à comparer.
POUR SUIVRE :
Test – média : Le Soir, Le Monde à propos du nouveau président François Hollande et des résistances sociales