mardi 8 janvier 2013

Les damnés de la thune : le cas Maurice Levy (Le blog de Seb Musset)


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Les damnés de la thune : le cas Maurice Levy

"Ça va être dur" a prévenu François Hollande au sujet de 2013.

Quelle sera donc la première victime économique de 2013 à se plaindre ?

Oui. Tu as deviné. Un grand patron. (c'était facile) Mais pas n'importe lequel. Une des plus grosses rémunérations de l'an passé: Maurice Levy, 4,6 millions + prime de 16 millions (en prévision de la fameuse année qui sera rude).

Dans une interview donnée à L'Express; le PDG de Publicis alerte le peuple de France, sans pathos aucun, sur le drame humain qu'il traverse, lui, pas le peuple de France.

Âmes sensibles s'abstenir, c'est un modèle du genre à classer dans le portfolio "Les riches ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnait" à côté des plus belles flaques de Serge Dassault.

Maurice débute pourtant normalement, en TINA de croisière, se réjouit même de l'obsession gouvernementale à se caler sur les 3% de déficit. Mais après de sombres pronostics économiques (à cause des 35 heures bien sûrl), la 216e fortune de France s’inquiète du manque de lisibilité du cadeau de 20 milliards euros qu'il a obtenu. Si si.

Car Maurice Lévy est aussi le boss de l'AFEP (Association Française des - grosses - Entreprises Privées) dont le lobbying n'est pas étranger au cadeau fiscal accordé aux entreprises (CICE) financé sur la future consommation des Français.

Disons-le franco, Momo n'a pas la pèche. 20 milliards pour ses poteaux c'était peut-être pas une si bonne idée: "La vertu, en matière fiscale, c'est la simplicité: il eût été beaucoup plus efficace et bien plus simple de réduire les charges sociales pour les entreprises." Comme quoi pas la peine de palabrer des heures sur l'ingéniosité de nos "capitaines d'industrie" supposée justifier leurs rémunérations exorbitantes pour les retenir en France alors que, en matière de fiscalité, la sophistication de leur raisonnement tient en un tweet de Nadine Morano: Ne payer rien ni personne, ce serait tellement plus génial.

Mais, voilà qu'au détour d'une question sur le moral des Français, l'interview glisse trankilou de l'économique au social, bref de l'entrepreneur au rentier ou, plus précisément, à la défense d'une minorité opprimée dont le droit à la parole est perpétuellement bafoué: les ultra-riches.
A la question "Et les Français ne vont pas bien..." Maurice, que l'on surnomme dans le milieu the lonesome jackpot (le jackpot triste), répond que le "pays a du mal à vivre en harmonie avec tout ce qui symbolise la réussite, l'argent ou le succès. Tous les signes liés à la performance et à la richesse sont ici stigmatisés."

"..Et il m'a dit: toi tu me fous les glandes, arrache-toi de là t'es pas de ma bande.
la la la.. et marche à l'ombre."

Moi qui croyais benoîtement que les ménages Français étaient à 15 euros près, galérant sans fin pour régler leurs factures d'énergies, se chauffer, offrir une boite de playmobils (les vrais, pas les low-cost empoisonnés) à leurs mômes à noël, se loger, manger pour certains... Non, le vrai drame pour Maurice est que les Français vivent mal "la performance" et "la richesse" des autres. Enfin d'une poignée (parce qu'à son niveau, ils ne sont pas des milliers dans ce pays). Note ici comme Maurice associe les deux mots. Si tu es "riche" c'est que tu es "performant". En toute logique syntaxique, on en déduira l'inverse: le pauvre est une feignasse contre-productive.

"Je connais peu de pays comme la France où l'on assiste à de véritables lynchages médiatiques visant des hommes et des femmes dont le seul tort a été de réussir dans la vie!"

Curieuse plainte émanant du patron d'une entreprise dont l'activité est liée à celle des médias (et comme c'est réciproque, la virulence du "lynchage" est somme toute condamnée à rester dans le domaine du light). Visiblement, les millions ne suffisent pas et, telle une Lorie payant l'exigence de son oeuvre d'un bannissement social bien cruel, Maurice Lévy a besoin d'amour. A travers le récit poignant de cette tragédie, puissent ces ingrats de pauvres, ne sachant déjà pas reconnaître leur bonne fortune de n'en avoir aucune, enfin réaliser que l'argent fait d'abord le malheur de ceux qui en ont beaucoup !

"Un tel climat m'inquiète: à vouloir donner un signal fort en direction des classes sociales les plus défavorisées, on en est venu à donner, concomitamment, un signal tout aussi percutant aux élites, qui se sentent mises au ban de la société".

Et oui, la stigmatisation de l'ultra-riche est un problème de société aussi crucial que la mise au ban des élites, contraintes à une pudique relégation en ghettos vidéo-protégés dans ces arrondissements parmi les plus injustement fleuris de France. En vérité, Maurice a raison: il faudra en finir un jour avec cette dictature des miséreux dont le mode de vie, gangrené par l'assistanat et les repas toujours plus cyniquement accommodés des restes de la veille, est valorisé à longueur d'ondes sur nos médias d'obédience communiste (un autre scandale de société sur lequel Jean-Michel Aphatie reviendra prochainement, et pour un prix modique, dans une trépidante enquête de tabouret).

"Qu'avons-nous entendu durant la campagne de la présidentielle, qui a été d'une violence extrême? Il ne s'est pas agi de dire à celles et ceux qui incarnent la richesse ou la réussite de contribuer à l'effort de redressement, non. On leur a jeté à la figure que le fruit de leur travail et de leur réussite était tout simplement immérité, illégitime!"

En plus de ne pas trop se tenir au courant de l'actualité fiscale du moment, c'est-à-dire du retoquage par le Conseil Constitutionnel de la loi sur les 75% au-delà du premier million de revenu (dernières traces résiduelles de gauche dans ce gouvernement), le supplicié à 16 millions (dont on comprend que cette taxe précise aurait charcuté les jolis revenus 2012, ne lui laissant que 4 ou 5 millions, bref pas de quoi décemment tenir jusqu'à Carême) nous refait cette sordide campagne présidentielle où, à la nuit tombée, les bandes de socialistes lui jetaient des cailloux alors qu'il allait chercher de l'eau au puisard avec son vieux seau rouillé récupéré à Emmaüs:

"On semble déjà avoir oublié la violence des attaques portées contre tous ceux qui gagnent de l'argent, des "parias" à qui l'on demande aujourd'hui de raser les murs. Il ne faut donc pas s'étonner que certains aient un sentiment d'exclusion."

"- Tu te souviens quand on était pauvres ?
- Non.
- Moi non plus."
Oui. Le porte-parole des ultra-riches a senti le souffle du boulet lors de la dernière campagne et dans les semaines qui suivirent le triomphe des forces du mal. Rien de bien grave au final, juste une petite sueur printanière. Mais tout de même: quel inconfort moral de se faire reprocher au plus haut sommet de l'état (même pour de légitimes prétextes marketing) ses excès de rémunération. Faut pas jouer avec ça. Le souvenir de 1789 est encore bien gravé dans l'esprit des nantis. Ça commence par quelques populistes osant signaler des indécences humainement injustifiables dans la répartition des richesses et puis, si l'on n'y prend pas garde, on finit avec la tête massicotée en place de Grève devant deux ou trois milles énervés autour qui, sous la direction de Philippe Torreton, karoakétent en phonétique des chants révolutionnaires.

Maurice explique d'ailleurs que c'est la violence des propos politique depuis quelques mois qui pousse (parait-il, j'attends qu'on me le confirme) les riches à s'expatrier. Alors que la violence sociale exercée, elle très concrètement depuis des années et dont on nous annonce qu'elle va s'accentuer en 2013, sur la majorité des français ne leur permet ni l'exode climatisé, ni de pleurer toutes les larmes de leurs corps entre deux Cognac dans les colonnes de L'Express.

"Plus grave est l'état d'esprit des jeunes entrepreneurs et des cadres qui veulent travailler ou entreprendre ailleurs".

C'est de la vieille corde à pigeons mais, avec des médias conciliants, elle fonctionne toujours autant: assimiler le jeune entrepreneur et la grosse fortune pour en faire les associés d'un même combat fiscal.

Vient le vrai moment d'émotion de l'interview. Maurice a eu le sommeil perturbé pendant les fêtes au sujet des critiques au sujet de sa petite prime sur objectif. Perso j'ai rien entendu, mais bon s'il le dit:

"Je me suis senti profondément humilié." S'en suit un raisonnement chiffré expliquant que, évidemment, il mérite sa rémunération.

Soyons clair. Rien, strictement rien, ne vaut qu'un patron soit payé 10 fois plus que le plus petit salaire de sa boite. Et là, Maurice a bien pété le ratio. A vrai dire, à ce niveau je ne vois même pas pourquoi chercher à se justifier. Toute explication autre que l’égoïsme, l'avarice ou une pathologie de l'accumulation est soit de la branlette, soit la preuve que sa conscience le taraude quand même un peu.

Signalant avoir été jeté dans la boue par les politiques (Ouh les méchants qui disent des gros mots sur une poignée de riches et puis, finalement, augmentent la TVA pour tous), Maurice exprime des regrets, en toute humilité: "On me reconnaît des qualités dans le monde entier, mais c'est dans mon pays, dans celui qui m'a accueilli, que l'on me piétine.".

Incroyable non, cette France qui martyrise les riches depuis 30 ans alors qu'ils n'ont jamais été aussi nombreux et aussi riches ?

"Mais je vois bien dans mon entourage, chez les jeunes notamment, ce sentiment qui monte: quittons ce pays, partons loin! Or la France, qui risque de franchir bientôt le cap des 3,5 millions de chômeurs, n'a besoin que d'une seule chose en ces temps mauvais: retrouver de la cohésion et de la compétitivité. Et cela, qu'on le veuille ou non, ne peut se faire qu'avec ceux qui font tourner son économie, c'est-à-dire les entreprises et leurs dirigeants".

Et hop, ni vu ni connu Maurice Lévy fait le lien entre le traitement qui lui est réservé (ou plutôt qu'il fait croire qu'il subit) et "les jeunes" de son "entourage" (sérieux, si vous avez des photos: je prends). La finesse du raisonnement mérite un ralenti pour mieux en saisir l'essence:

1 / Maurice Levy gagne 16 millions.
2 / Maurice Levy est essentiel aux emplois
donc
3 / Maurice Levy mérite ses 16 millions.

Dans le même temps, le patron prendra soin de glisser les chiffres du chômage et de rappeler l'impératif de compétitivité, les deux leviers essentiels pour un bon dumping salarial pour les autres, ceux d'en dessous : en gros tout le monde.

Bon Maurice. Je sais bien que tu bosses dans la pub et que donc le bullshit est ton métier, et qu'on ne va pas laisser le monopole du pleur aux acharnés du DAL ou aux Restos du coeur, même avec une hausse de 25% des inscriptions cet hiver, mais quand même: c'est pas un peu fini la comédie ?

1 / Deux ans plus tôt, tu demandais à payer plus d’impôts. A croire que ton soucis de cohésion nationale est proportionnel à la popularité des socialistes dans les sondages.

2 / Va vivre avec 700 euros par mois, après ça on reparlera de stigmatisation et du sentiment d'être piétiné.

3 / Les Français se contrefoutent de ton argent. Eux veulent juste de quoi vivre décemment et pouvoir espérer meilleur pour leurs enfants. Ils sont prêts à encore faire à un effort pour peu que "les élites" comme tu les appelles donnent l'exemple à la hauteur de leurs rémunérations au lieu d'en foutre partout avec leurs sanglots dès qu'on leur parle mal ou qu'on leur prend trois centimes sur leurs centaines millions histoire de contribuer au bien commun.

Ton effort appuyé pour raviver la lutte des classes, plus efficace que la plupart des tribunes de gauche, méritait néanmoins d'être signalé.