mercredi 16 janvier 2013

RMC : Où sont les femmes ? (Acrimed)

RMC : Où sont les femmes ?

par Blaise Magnin, Denis Perais, le 16 janvier 2013
Dans le premier opus d’une série en cours consacrée à RMC, nous avions récemment mis en évidence le tropisme patronal de l’émission « Bourdin & Co ». Nous souhaitions revenir ici sur une autre facette de la station appartenant à Alain Weill : la place réservée aux femmes aussi bien comme auditrices intervenant à l’antenne dans la tranche 9/10 de l’émission « Bourdin & Co » qu’en tant qu’animatrices des émissions diffusées. Le constat est limpide : la parité n’est pas encore à portée d’antenne... choix éditorial oblige.
À la recherche des auditrices
Entre le 28 novembre et le 14 janvier, 54 femmes et 295 hommes ont été pris à l’antenne dans l’émission « Bourdin & Co » de 9h à 10h ; soit respectivement 15,47 % et 84,53 % [1].
Dans aucune d’entre elles, les femmes ne sont majoritaires, le meilleur rapport obtenu donnant, le 31 décembre, 5 femmes pour 6 hommes. Dans 9 séquences, soit 29% des émissions observées aucune voix féminine n’a jamais été entendue. Alors que RMC se prétend une radio « interactive » donnant une large part d’antenne à ses auditeurs, ce déséquilibre écrasant est un symptôme de choix éditoriaux et commerciaux qui ciblent exclusivement les hommes.
Journalistes et animatrices au compte-gouttes
S’agissant de la proportion de femmes titulaires du poste d’animatrice des différentes émissions de la grille, elle est en parfaite corrélation avec ce premier constat.
Ainsi, en semaine, Brigitte Lahaie est la seule femme titulaire du poste, pour son émission quotidienne « Lahaie, l’amour et vous » de 14 heures à 16 heures, à se faufiler parmi la pléthore d’animateurs masculins : Mathieu Belliard et Charles Magnien (« Bourdin & Co », 4h30-6h) ; Jean-Jacques Bourdin (« Bourdin & Co », 6h-10h) ; Alain Marschall et Olivier Truchot (« Les grandes gueules ») ; Eric Brunet (« Carrément Brunet ») ; Luis Fernandez et Christophe Paillet (« Luis attaque ») ; Vincent Moscato et Pierre Dorian (« Moscato Show ») ; Tony Parker et Pierre Dorian (« Tony Parker show ») ; Gilbert Birsbois et Jean-François Pérès (« After foot ») ; Jano Rességuié (« Intégrale foot ») ; Jean-Michel Larqué (« Larqué foot ») ; Daniel Riolo, Huhes Obry et Antonin Teissère (« Docteur Poker »)...
Quant aux trois éditorialistes qui officient le matin dans l’émission « Bourdin & Co », personne ne sera surpris de découvrir que ce sont des... hommes : Jean-François Achilli, Nicolas Doze et Hervé Gattegno.
Le week-end, la « cuisine » reste toujours aussi masculine puisque seule Laëtitia Barlerin se fraie un passage parmi les membres de « l’autre » sexe. RMC ne va cependant pas jusqu’à lui confier les rênes de l’émission « Vos animaux » qu’elle doit co-animer avec François Sorel dont l’étendue des compétences est pourtant déjà largement sollicitée : il présente ainsi « Votre jardin » avec Patrick Mioulane, « Votre maison » avec Serge Pessey et « Votre auto » avec Jean-Luc Moreau. Les autres émissions du week-end animées par Serge Simon et Gilbert Brisbois (« Les grandes gueules du sport »), Florent Gautreau (« Les courses RMC »), Jean-Luc Roy et Laurent Frédéric Bollée (« Motors »), Jean-Michel Larqué et Jean-François Pérès (« Larqué foot »), Jano Rességuié (« Intégrale foot ») et Christophe Cessieux (« Intégrale sport ») sont donc entièrement masculines.
L’amour et les animaux domestiques, donc… Des thèmes que les clichés les plus triviaux associent spontanément aux préoccupations et à la sensibilité féminines, et dans lesquels RMC cantonne ses deux seules animatrices !
Le recensement des femmes chroniqueuses régulières ou occasionnelles à l’antenne confirme la même tendance [2]. Ainsi, si on peut notamment repérer la présence de Claire Andrieux et Marie Régnier dans l’émission animée par Jean-Jacques Bourdin, de Camille Dahan au standard d’Eric Brunet, de Carine Galli, Maryse-Ewange-Epée, Céline Géraud, Sarah Pitkowski ou d’Isabelle Sévérino dans différentes émissions sportives, de Marie Célie Guillaume, Claire O’ Petit, Marie-Anne Soubré M’Barki ou de Sophie de Menthon dans « Les grandes gueules » leur place reste très marginale par rapport à celle des hommes [3].
La domination masculine dans les postes d’animateurs ou chroniqueurs sur RMC est d’autant plus critiquable que les femmes représentent 51,6 % de la population totale [4] et 45, 75 % du total du nombre de cartes de presse délivrées en 2012 [5].
Des programmes conçus pour les hommes
Mais cette monopolisation de l’antenne par les hommes n’est pas l’apanage de RMC. Elle avait déjà été relevée sur d’autres stations comme RTL, France Inter, NRJ et Skyrock dans le « Rapport sur l’image des femmes dans les médias » du 25 septembre 2008 [6], et de nouveau, dans le rapport « Les expertes : bilan d’une année d’autorégulation » [7].
Bien entendu, la structure de la grille de RMC, avec de nombreuses émissions sportives et de « talk » écoutées majoritairement par des hommes [8] favorise cette exclusion des femmes - que l’on constate pourtant de manière tout aussi flagrante dans la tranche 9h/10h, théoriquement plus ouverte aux auditrices.
Ce sont ces choix de programmation accordant une place écrasante à l’information et au sport, traités de surcroît dans des registres qui font la part belle à la verve, voire au culot des intervenants, qui expliquent cette structure de l’auditoire – et indirectement de la rédaction. En effet, et quoi qu’on en pense, ces thèmes comme ces formes de débat intéressent prioritairement les hommes, pour des raisons qui tiennent à leur place dans la société, et plus largement à la force des représentations des frontières entre les genres.
Avec une telle ligne éditoriale, qui non seulement entretient les stéréotypes de la masculinité en ne proposant que des programmes que les hommes sont supposés attendre, mais les conforte aussi en ne réservant l’antenne qu’à des hommes ou presque, comment s’étonner que des formes particulièrement choquantes de sexisme puissent avoir cours à RMC, comme nous l’avions pointé ici-même ?
Un choix éditorial assumé
Cette asymétrie, Franck Lanoux, le directeur général de la station, la revendique le 31 août 2012 dans 20 Minutes en convoquant un argument d’un sexisme pour le moins brutal : « Il y a la forte présence du sport, mais il y a aussi notre manière de faire de l’info, qui est celle du talk. Or les hommes aiment cela, car ils adorent qu’on dissèque l’information. Les femmes, elles, écoutent l’info puis s’occupent de leur famille, de leurs enfants ; elles passent à autre chose. ». Pour résumer : les hommes ne consentent qu’à écouter des hommes, et leurs femmes font la cuisine pendant qu’ils réfléchissent, RMC fait donc le seul calcul rationnel possible… CQFD !
Un sexisme assumé qui a donc de biens beaux jours devant lui. D’autant plus qu’Alain Weill, le propriétaire, professe le même choix éditorial en avançant, lui, des arguments sonnants et trébuchants dans le supplément télévision du Monde du 17 septembre 2012 : « la cible visée , celle des décideurs économiques , est évidemment intéressante aussi pour les annonceurs . Et quand bien même il y aurait quelques femmes parmi les « décideurs économiques. », peut-être sont-elles vouées par le sexisme ordinaire à s’occuper de la vie domestique plutôt que de s’informer sur RMC quand elles en ont fini avec les affaires…
Et comme ce « modèle » semble se révéler extrêmement rentable au regard des résultats publiés le 25 juillet dernier, inutile, vraisemblablement, d’attendre une féminisation accélérée de l’antenne de RMC dans les prochains mois...

Notes

[1] Comptabilité effectuée quotidiennement entre le 28 novembre 2012 et le 14 janvier 2013, à l’exception des émissions des 3 décembre 2012, 9 et 11 janvier 2013, non disponibles en podcast pour la première, incomplètement pour les deux autres. Soit 31 séquences d’une heure écoutées.
[2] Cette asymétrie est moins prononcée dans la litanie des messages des auditeurs lus à l’antenne dans l’émission « Bourdin & Co ».
[3] Les journalistes animant les flashs, météo, d’information ou envoyés spéciaux n’ont pas été comptabilisées.
[4] Source : Institut national de la statitistique et des études économiques (INSEE).
[5] 16 933 sur 37 012. Une féminisation en constante progression au fil des années. Voir à ce sujet les statistiques de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels.
[6] Voir notament p. 47 les résultats de la mesure du temps de parole accordé aux femmes.
[7] Voir notamment pp. 35 à 39.
[8] À 75 % comme le rapporte un article paru le 31 août 2012 sur le site de 20 minutes.