dimanche 3 mars 2013

Qui a lu Le Monde ne le lira plus (Seb Musset)

Qui a lu Le Monde ne le lira plus

Chaque année, entre ses couvertures sur l'immobilier, les francs-maçons et l'impératif d'austérité, dans son aristocratique bonté et en attendant l'argent de poche de Google, la presse daigne verser une larme de ses millions de subventions publiques pour annoncer la mort des blogs pour cette année.

Cette fois, ça se passe sur le site du Monde (oui oui, le canard qui était à moins une de disparaître en 2011) et ça s’appelle "Qui blogua, ne bloguera plus". Le journaliste, Olivier Zilbertin, se demande "qui consacre du temps à leur lecture" et livre en quelques lignes sa réponse: personne.

Bon en fait, le court article en dit moins sur les blogs que sur les journalistes : "Autant de questions qui fâchent, et qui seraient de nature à mettre le feu à la blogosphère". Celle-ci étant vue comme un truc homogène, un effet de mode (plus de 10 ans quand même) fortement incité à l'euthanasie, mais dont le journaliste peut, en trois paragraphes, réveiller les forces assoupies pour faire le buzz et ramener, à la saison creuse, un peu d'audience sur le site mère.

On doit être, à la louche, quelque part entre 15 et 20 millions de blogs en France. En admettant que chacun ait juste un lecteur unique par jour, selon les chiffres de l'OJD, cela surpasse de 60X le nombre quotidien de lecteurs payants du Monde (325.295 en 2011).
O.Zilbertin, lui, appuie l'argumentation de sa chronique d'une mort annoncée sur la baisse de fréquentation d'un seul blog (par ailleurs arrêté durant des mois). Celui de Thierry Crouzet, un ami écrivain m’ayant confié par ailleurs qu’il pensait que c’était précisément depuis qu’il avait un discours critique sur internet - vu sous l'angle de l'addiction dans son livre j'ai débranché - qu'il intéressait plus largement les journalistes.

Vil blogueur, mon petit exemple en vaut bien un autre. La lecture moyenne par billet augmente ici d'année en année. Si je veux être plus lu, il ne tient qu'à moi d'écrire plus. Ouaip, on n'est pas loin du travailler plus pour gagner plus, sauf que je ne gagne rien. Ce qui, ne le cachons pas, finit par peser à un moment ou à un autre sur la production. La gratuité, "liberté" du blogueur, est aussi son talon d'Achille, un élément non négligeable de cette "lassitude" souvent évoquée par les fossoyeurs de blogosphère (par les mêmes s'insurgeant qu'u
n blogueur soit rémunéré pour la reprise de son texte sur un site de presse).

O.Zilbertin évoque aussi le haut du classement des blogs Ebuzzing (ex-Wikio) où figurent de moins en moins de blogs. Olivier lirait les blogs avant d'écrire leur faire-part de décès il y aurait appris que nous avons été une trentaine de blogueurs dans les 100 premiers du classement général à en claquer la porte à l’automne dernier pour les raisons qu'il évoque: ce classement de "blogs" mélangeait depuis quelque temps tout et n’importe quoi, du portail délocalisé à 60 contributeurs, à la déclinaison média jusqu'aux agrégateurs de news aspirant des contenus de blogueurs et bientôt Le Monde pourquoi pas ? Loin donc de l’esprit du "classement de blog" des origines.

O.Zilbertin pointe la "montée en puissance" des réseaux sociaux dans ce "processus" (la mort des blogs dans d’atroces souffrances, si t'as bien suivi). Tiens, en plus de comprendre les blogs de travers, il ne capte pas non plus Twitter.

1 / Twitter ou Facebook sont des variantes du blog[1]. Mieux vaut parfois un bon tweet qu’un article trop long (comme ce que je suis en train de faire). Tout le monde gagne du temps.

2 / Parlons synergie : les lecteurs du blogs ne sont pas forcément sur Twitter, ceux de Twitter pas forcément sur Facebook etc… Les audiences ne se divisent pas, elles s'additionnent.

Notons au passage que ce sont les journalistes (presse / tv / radio) les plus friands de tweets et qu'ils aspirent à profusion ces contenus ayant le triple avantage d'être courts, déjà écrits et pas par eux (c'est plus safe au niveau des opinions). Je suis parfois cité dans la presse, à la télé ou à la radio pour des tweets rédigés en trois secondes et, quasiment jamais, pour mes articles de blog m'ayant pris des heures[2]. Mais chut, O.Zilbertin va encore écrire que "le débat citoyen semble s'étioler sur internet" et Joffrin brailler que tout ça, c'est la faute au web réducteur de la pensée.

La vérité, c'est que beaucoup de journalistes méprisent les blogs (sauf lorsqu'il s'agit de faire leur promo ou de remplir leurs propres sites avec du contenu à prix cassé). Mieux que ça, sans que je m'explique rationnellement pourquoi, il les craignent et donc les souhaitent annoncent régulièrement morts. Je dis "blog", mais on peut étendre cette défiance aux réseaux sociaux et, pour les cas les plus désespérés, à internet dans son ensemble.

Les blogs vont et viennent, se régénèrent, meurent, naissent, se regroupent, au rythme des humeurs et de la vie de chacun, car ils sont "dans la vie". Qu'ils aient 1 ou 1 million de visiteurs. La question la plus urgente à se poser pour un journaliste du Monde n'est pas celle de la date constamment repoussée des funérailles de cette concurrence qui n'en est même pas une, mais bien quel lecteur du Monde le lira encore demain?
Plus grand monde ne paye déjà plus pour ça, si j’en crois les impressionnantes pertes du journal ces dix dernières années.
[1] Thierry Crouzet, encore lui, a même écrit un roman via Twitter