vendredi 19 avril 2013

Confessions d’un ministre déchu (La plume d'Aliocha)

17/04/2013 Confessions d’un ministre déchu  

Le grand théâtre médiatique donnait hier soir une représentation exceptionnelle : Confessions d’un ministre déchu. Dans le premier rôle : Jérôme Cahuzac. Pour lui donner la réplique : Jean-François Achilli, directeur de la rédaction de RMC. Production, mise en scène : BFM TV/RMC. Scénario et dialogues : Anne Hommel, conseillère en communication, déjà intervenue aux côtés de DSK lors de sa grande confession au 20 heures. Pour ceux qui auraient manqué l’événement, il a eu lieu à 18 heures et a duré 28 minutes, puis il a été rediffusé et commenté durant toute la soirée sur BFM TV. La vidéo intégrale est visible ici. Fabriquer l’information puis analyser l’événement qu’on a créé, voilà qui laisse rêveur…Avant toute chose, une précision : on comprend la satisfaction de BFM TV et RMC d’avoir décroché la première interview de l’ancien ministre. Ainsi marche le système, c’est un cirque Barnum permanent, les médias l’alimentent autant qu’ils s’en trouvent prisonnier. Cette interview fait partie des choses qui ne se refusent pas même si tout le monde a compris qu’ici la communication a pris le pouvoir sur l’organe d’information en jouant sur ses mécaniques secrètes.
Part d’ombre et pardon
On ne peut s’empêcher de frissonner à la vision de cette prestation axée entièrement sur le pathos et conçue en application des règles classiques de la com’ de crise : reconnaître le préjudice, avouer la faute, demander pardon, en tirer les conséquences pratiques (Jérôme Cahuzac renonce à ses fonctions de député, mais pouvait-il en être autrement ?). On notera au passage l’influence américaine évidente qui fait songer aux confessions de Bill Clinton. Pour le reste, il n’est pas difficile d’imaginer l’agacement des journalistes de Mediapart qui ont révélé le scandale face à cet exercice qui ressemblait à tout sauf à de l’information. L’interview a permis en effet de déconstruire une partie des accusations en transformant les possibles infractions pénales examinées par la justice en simple faute morale. Le mot « légal » n’a été prononcé que deux fois par l’intéressé. D’abord lorsqu’il a dû se justifier sur ses activités de conseil auprès des laboratoires pharmaceutiques suite à son départ du ministère de la santé. Elles étaient légales, assène-t-il. Ensuite lorsque le journaliste lui a demandé s’il allait renoncer à ses indemnités de ministre. C’est un problème juridique entre les mains de mon avocat, a rétorqué Jérôme Cahuzac. Autrement dit, le droit ne lui est pas opposable, mais il en revendique dans le même temps l’application lorsqu’elle le sert. N’est-ce pas déjà ce que l’on avait compris de son action au budget (en lien, un passionnant papier d’Ariane Chemin) ? Pour le reste, la ligne mélodique de l’entretien a été « part d’ombre ». C’était pas mal trouvé. « On ne comprend bien que ce qu’on sent en soi » écrivait Steinbeck. Ici, la part d’ombre est une fragile passerelle jetée au-dessus du gouffre de l’indignation pour réunir le téléspectateur-juge et l’accusé dans une conscience partagée de notre faiblesse humaine. A la fin de cet embarrassant et spectaculaire déballage de sentiments intimes, on ne pouvait que s’interroger sur l’apport de la prestation en termes d’information. Nul ! Nous n’avons rien appris et pour cause. L’intéressé est tenu au secret sur l’affaire s’il ne veut pas irriter ses juges et sans doute aussi pour d’autres raisons plus troubles d’ordre politique. Au demeurant, l’objet d’une telle prestation n’est pas d’informer, mais de corriger une image. Il est réconfortant de constater que la presse ce matin n’adhére pas du tout à cette instrumentalisation grossière. Un certain public au contraire se dit touché, et c’est fâcheux, surtout de la part d’un ex-magistrat qu’on a connu plus sceptique sur les déclarations médiatiques des personnes mises en cause sur le terrain judiciaire.
Pendant ce temps, France 5 évoquait Florange…
Qu’importe, les exercices de ce type vont se multiplier malgré les protestations de principe sur leur caractère éthique, et les doutes légitimes sur leur efficacité. Il y a eu ces derniers mois DSK et son mea culpa au 20 heures, Jérôme Kerviel le soir même de sa condamnation chez RTL, puis au JT et quelques jours plus tard chez Ruquier, Takieddine chez Ruquier aussi et maintenant Cahuzac sur RMC/BFMTV. Tout ceci nuit à la sérénité de la justice, enfume les esprits, pollue l’information, mais semble néanmoins inéluctable. Dans une société où l’écran a pris une telle importance, où les médias font et défont des réputations, comment reprocher aux intéressés de tenter de retourner en leur faveur le système qui menace de les broyer ? Exhibitionnistes et voyeurs façonnent ensemble un monde obscène, largement encouragés par le développement des technologies dites de l’information.
Tandis que BFM TV commentait jusqu’à la nausée ce non-événement absolu en termes d’information, France 5 diffusait un documentaire remarquable intitulé « La promesse de Florange » par Anne Gintzburger. Il fallait zapper entre les deux, voir les larmes d’Edouard Martin et les mimiques douloureuses de Jérôme Cahuzac en simultané, pour effleurer la différence substantielle entre la sincérité et la mise en scène, l’injustice et la sanction méritée, la réalité nue et les artifices politiques. L’effet de contraste était stupéfiant. On peut se passer de voir les confidences de Jérôme Cahuzac, pas de visionner le reportage sur Florange. Hélas, je gage que le premier fera davantage recette que le second. Business is business…