dimanche 28 avril 2013

La fin du prêt-à-jeter ? (le blog de Seb Muset)

La fin du prêt-à-jeter ?

Un projet de loi visant à faire de l'obsolescence programmée un délit sera présenté le 2 mai au Sénat par les écologistes. Alors que l'on désespère de tirer 0.1% de croissance par la consommation, je crains que le projet n'aboutisse pas.

L'obsolescence programmée consiste à vous fabriquer des trucs jolis, pratiques ou indispensables, mais de qualité médiocre et rapidement foutus, ou pire, à prévoir leur autodestruction (quitte à foirer la programmation et provoquer un retour usine prématuré).

Après la délocalisation quasi complète de secteurs industriels ou technologiques vers les pays à mieux-disant salarial, l'obsolescence programmée est une étape logique de la mondialisation.

Une fois que nous sommes devenus dépendants d'objets (high-tech et électroménager) n'étant plus fabriqués qu'à un ou deux endroits sur la planète (régulièrement changés pour encore moins cher) par une dizaine de constructeurs et de marchands, ceux-ci n'ont plus qu'à transformer peu à peu la nature et la cadence de nos achats. De l'acquisition de l'objet, on est ainsi passé à un abonnement ne disant pas son nom. L'obsolescence programmée est l'autre façon de faire sortir de l'argent à ceux qui ne peuvent plus s'endetter.
Je prends toujours l'exemple de mon ampli de 1975, avec ses enceintes made in France, livrée avec son schéma électrique en poster et qui marche toujours alors que je n'ai jamais pu conserver en état de fonctionnement correct un baladeur mp3 plus de 2 ans et quelques mois. Je prends ces des exemples car ils ont la même finalité et j'use autant l'un que l'autre.

Tu me diras, l'ampli valait peut-être un mois de SMIC à l'époque et le baladeur quelques jours de travail aujourd'hui. Le libéral me rétorquera que c'est ici le prix à payer (ou plutôt à ne pas payer) pour "la démocratisation des biens industriels de grande consommation". Stéphane Soumier sur son blog considère que "l'obsolescence programmée c'est fondamentalement la baisse des prix". Que ces choses sont dites avec délicatesse. C'est, à l'inverse, la réduction des coûts de fabrication et l’inondation des marchés mondiaux de produits à bas coût qui conduisent à l’obsolescence programmée et, au final pour le consommateur, à payer les choses plus cher puisque plus souvent. D'autant que ce mécanisme du sous-produit à destination des pauvres s'étend à de plus en plus de secteurs au-delà de l'électroménager (les meubles, la décoration, l'outillage, les jouets...). Pour S.Soumier, le consommateur est bien au fait du dumping salarial en place et il sait très bien qu'il achète de la came pourrie qui "tiendra ce qu’elle tiendra.". S'il a raison sur le fait que nos achats conditionnent les politiques des fabricants, et que sous leurs douches publicitaires (constituant une grosse partie du prix de l'objet) on l'oublie trop souvent, il a en partie tort sur le reste.

 

Le consommateur n'a souvent pas le choix. Comme je l'ai écrit plus haut, il n'est souvent plus question de "concurrence". Quelques constructeurs fabriquent aux mêmes endroits des produits programmés pour mourir vite et qu'ils pourraient d'ailleurs vendre encore moins cher en magasin (les grosses marges se faisant sur les prix de transfert entre filiales off-shore).

Si l’obsolescence programmée est le résultat de gains de compétitivité et de la réduction des coûts : où est le véritable bénéfice pour le consommateur ? (hormis la pulsion d'achat immédiatement satisfaite). 10.000 lecteurs DVD à 30 euros qui tombent en panne à la troisième lecture ne méritent pas la mention "démocratisation" mais un procès en class-action.[1]

"L'économie" ne tient pas dans la durée. Je reprends l'exemple de l'ampli et du baladeur : Un ampli à 1000 euros en 40 ans (en partie fabriqué en France), Un baladeur à 100 euros tous les 2 ans et 2 jours = 2000 euros en 40 ans (0% fabriqué en France). De plus, à la différence du baladeur serti dans sa coque plastique, l'ampli est facilement démontable, réparable pour pas trop cher. Étendons l'anecdote du baladeur à toute la baraque, du canapé à la cafetière, en passant par la chasse d'eau, le scotch qui ne scotche pas et le lave-vaisselle (il n'y a guère que les légumes bourrés de conservateurs qui durent un peu), et tu consacres un budget non négligeable à faire le réassort de bidules qui claquent en continu (ayant tous le point commun d'être fabriqués loin et compliqués à réparer).

De plus, si l'on applique à tous les secteurs la logique de l'obsolescence programmée, en plus de manger du cheval à la place du bœuf et de respirer à pleins poumons des nuages radioactifs (" -ah bah tu comprends les joints en plastique taïwanais étaient moins chers pour la centrale, man"), nous reviendrons vite à l'âge de pierre (ou plutôt de carton-pâte). J'ai le souvenir d'une époque pas si lointaine où progrès voulait dire progrès, ou avec le centième de la technologie actuelle on te construisait des trucs pouvant durer quarante ans.

Loi ou pas, la question de l'obsolescence programmée, et celle liée de la relocalisation industrielle, va se réinviter d'une façon ou d'une autre chez les constructeurs.

Sans évoquer la question écologique, j'en ai juste marre d'acheter des choses qui marchent mal, ou meurent au bout de 24 mois. Comme dirait l'enseigne de vente high-tech qui tourne de l'oeil "le contrat de confiance" est rompu. Çà, plus le sous-effectif systématique aux caisses dans les grands magasins (l'attente du client est de ces rares "charges" que les enseignes n'ont pas à régler et dont elles abusent allègrement), comme beaucoup d'autres, je m'éloigne progressivement de cette consommation[2]. C'est presque moins une question de pognon que de simple dégoût d'acheter du prêt-à-jeter. Si la démocratisation de la consommation doit passer par le médiocre alors il vaut mieux pour le consommateur refuser cette "démocratisation" là.
[1] Il est étonnant qu'il faille un permis de construire pour éviter que les maisons ne s'écroulent, un code de la route pour éviter de rouler sur la mauvaise file, mais pas un encadrement plus strict de la vente de produits avec une certificat de qualité.

[2] enfin bon, nul n'est parfait, hein.