lundi 15 avril 2013

Le Figaro s’insurge contre le « matraquage fiscal » (Acrimed)

Le Figaro s’insurge contre le « matraquage fiscal »

par Blaise Magnin, le 15 avril 2013
Périodiquement, Le Figaro – comme d’autres journaux dont le parti pris semble opposé – publie en guise d’article d’information ou d’analyse, des tracts rédigés en fonction de ses options préalables. Ainsi, le 18 février dernier, nous relevions déjà sous quelle forme et avec quel contenu le spectre des « casseurs » et des « extrémistes » hante Le Figaro.

Le 27 mars 2013, le rédacteur en chef du service macro-économie du Figaro et un rédacteur se partageaient le travail pour commettre deux articles qui n’en faisaient qu’un seul : un même manifeste antifiscal. Aucune enquête, presque aucune information, mais beaucoup d’aplomb.
Malgré l’appellation « décryptage », point d’analyse ou d’enquête, mais un réquisitoire apocalyptique selon lequel « La France n’a pas les moyens d’avoir des impôts élevés », et une supplique pathétique au Léviathan qui étrangle les possédants : « Ne tirez plus sur les épargnants ».
Deux articles qui n’informent au final sur rien, pas même sur la politique fiscale qu’ils dénoncent avec emphase, mais qui permettent aux deux plumitifs du quotidien Dassault de marteler leurs convictions.
(1) Le premier article débute par l’inévitable citation d’un de ces économistes médiatiques dont l’objectivité et la neutralité sont censées cadrer le débat : « “D’ici dix-huit mois le gouvernement fera marche arrière sur la plupart des décisions fiscales prises depuis son arrivée !” Ce pari lancé à la cantonade par l’économiste Christian Saint-Étienne devant des clients fortunés de la banque privée Cholet Dupont est osé, politiquement. » Aux dernières nouvelles, dont les lecteurs du Figaro sont privés, l’économiste est aussi, comme c’est évidemment son droit, membre de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) depuis sa fondation en septembre 2012. Le mentionner n’aurait pas nuit au travail d’information. Et audace pour audace, il est, pour le moins osé, journalistiquement, d’ouvrir un article sur la fiscalité sur le « pari » qu’un « expert » a lancé dans une institution et devant une assemblée dont les principaux objectifs sont… d’échapper à l’impôt !
Suit alors la litanie des chiffres et des plaintes, paroles et musique, de l’hymne économique libéral. La France n’est-elle pas « le deuxième pays développé (derrière la Belgique) ayant le "coin fiscal le plus élevé", autrement dit où les taxes pesant sur les salaires (impôts, charges…) sont les plus fortes » ? Pis encore, « entre 2011 et 2012 la fiscalité a augmenté de 0,30 point dans l’Hexagone »… Et de conclure en pointant cette double aberration française : « non seulement notre pays affiche les impôts les plus élevés au monde, mais en plus il est celui qui les a le plus augmentés. » Peu importe à un commentateur de détailler ce que sont ces impôts et ces charges et comment ils sont distribués : trop, c’est trop ! Et l’éditorialiste déguisé en analyste, n’a pas achevé sa besogne…
Certes, la France a « des impôts élevés », mais pourquoi donc, subitement, n’en aurait-elle plus les moyens ? Après avoir égrené les difficultés actuelles de l’économie française, le spécialiste es économie du Figaro déplore que « depuis septembre 2011, trimestre après trimestre, la croissance est nulle ou légèrement négative. » Et quelle serait la cause de ce marasme ? La crise économique et financière qui frappe toute la zone Euro ? Que nenni : ce sont les hausses d’impôts décidées par François Fillon et amplifiés par Jean-Marc Ayrault ! Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette assertion péremptoire – et qui semble quelque peu discutable – ne figure pas dans un tract… mais dans un article de décryptage !
Dès lors, la conclusion s’impose d’elle-même et ce ne sont pas, certainement pas, les « clients fortunés de la banque privée Cholet Dupont » qui diront le contraire : que les impôts « soient justes ou non n’est plus la question. » Cette question l’a-t-elle jamais été pour Le Figaro ? La saison de la justice fiscale est déjà passée. Et notre préposé au « décryptage » de décrire les conséquences funestes qui attendraient le gouvernement s’il décidait de céder à la folie de la justice fiscale et ne s’engageait pas dans la seule politique possible : « C’est une baisse dont [le gouvernement] a besoin pour éviter la mort par étouffement de toute activité. »
(2) Si le rédacteur en chef s’est plu à prendre de la hauteur en décrivant l’horreur fiscale française d’un point de vue macro-économique, c’est avec un grand sens civique que le second article – « Ne tirez plus sur les épargnants » – illumine les lecteurs du Figaro. Une rédactrice sans grade profite de ce que « le gouvernement donne le coup d’envoi de la campagne de déclaration des revenus 2012 » pour jouer la proximité et prendre la défense du contribuable et de l’épargnant… Lesquels seraient « désorientés » par le changement et auraient « besoin de stabilité fiscale ».
Or comme le note la journaliste, sans toutefois préciser de quels contribuables elle parle, « les revenus des placements sont davantage taxés et le plafond des niches fiscales est abaissé cette année à 10.000 euros », sans même parler du « durcissement de la fiscalité des plus-values immobilières ». Tant et si bien que vivant une véritable tragédie, « certains particuliers ont décidé de remettre à plus tard leurs projets de vente d’appartements ou de maisons, espérant des jours meilleurs »…
Et si « prudents, fourmis, les Français aiment épargner » – du moins ceux qui en ont les moyens, la rédactrice a-t-elle omis de préciser –, « la difficulté est aujourd’hui pour le pays de profiter de cette épargne pour aider la machine économique à repartir sans pour autant décourager ceux qui ont de l’argent. Aujourd’hui, ils se sentent cloués au pilori et beaucoup n’ont plus envie d’investir. »
***
Ces deux articles de « décryptage » qui « décryptent » surtout les desiderata et les fantasmes fiscaux de « ceux qui ont de l’argent » n’apportent à peu près aucune information. Ce sont des éditoriaux, fondés sur des partis pris à peine masqués, comme on peut en lire dans d’autres journaux. Simplement, il y a là tromperie sur la marchandise quand ces « points de vue » se présentent comme des « décryptages ». Rien de nouveau, certes : en octobre 2001 déjà, les cousins du Figaro – Le Figaro Magazine – proposaient, comme nous le relevions alors, de réduire les impôts… pour faire face à l’endettement ! Mais il est vrai qu’il est sans doute plus valorisant pour des journalistes-militants de commenter l’actualité en assénant leurs opinions que de collecter des faits qui risqueraient de contredire leurs convictions…
Pourtant, là n’est peut-être pas le plus gênant. Parus moins d’une semaine avant que les grands médias ne redécouvrent l’existence de l’évasion et des paradis fiscaux avec les aveux fracassants de Jérôme Cahuzac, ces deux tracts laissent un arrière-goût étrange… À décrire ainsi la France comme un enfer fiscal, Le Figaro n’est pas de loin de justifier, sinon de légitimer l’évasion des pauvres riches qui « se sentent cloués au pilori » vers des paradis genevois, singapouriens, ou autres, les destinations ne manquent pas…
Blaise Magnin