Le Lordon du dimanche
« Il est donc à craindre que la pleine advenue de cette vraie gauche demeure impossible tant que n’aura pas été accomplie une sorte de révolution symbolique qui aura converti les regards portés sur le Parti socialiste, et produit comme une évidence politique, contre la force d’inertie des étiquetages médiatiques paresseux, que ce parti (dans sa ligne majoritaire présente) n’a plus aucun titre à être considéré comme de gauche — un peu de la même manière que l’idée d’un quelconque radicalisme du parti radical ne suscite plus depuis longtemps que de l’hilarité. Il est certain en tout cas que le corps social prendrait une vue sensiblement différente sur la compétition électorale qu’on lui vend comme « démocratie », à partir du moment où il verrait clairement qu’elle n’a pour enjeu que de départager la droite et la fraction modérée de la droite. Encore qualifier le Parti socialiste de « fraction modérée de la droite » demeure-il sujet à discussion si l’on considère que les avancées du rapport Gallois et de l’ANI vont au-delà des ambitions de la droite sans complexe, comme l’atteste le succès parlementaire que rencontre, auprès même des députés UMP, le projet de loi transcrivant l’accord sur l’emploi. Voilà donc peut-être comment il faudrait dire les choses plus justement : l’alternance UMP-PS n’est rien d’autre que celle de la droite décomplexée et de la droite complexée. »
Aujourd’hui, c’est dimanche, on peut prendre le temps, lire des billets ou des articles dont le temps de lecture dépasse les 2 minutes, durée indépassable de la semaine.
On peut donc lire un texte important de Frédéric Lordon, publié sur son blog vendredi.
Au préalable, on se sera assuré:
- que Twitter est déconnecté;
- qu’une boisson fraiche ou chaude est à portée de main (si vous êtes dehors à pique-niquer avec des amis, prenez votre verre et prétextez une course quelconque nécessitant une absence de 30 minutes);
- que les enfants sont éloignés ou couchés ou jouent tranquillement à Call of Duty – Black Ops 2 et sont donc hors service pour au moins 4 heures;
- qu’on a bien compris l’appel du Front de gauche à marcher le 5 mai pour changer de régime et instaurer une VIème république;
- qu’on a bien visionné la vidéo du surgissement des salariés en lutte de PSA au conseil national du PS d’hier.
Puis lancez-vous tranquillement dans la lecture du billet de Lordon.
Ca commence par « Seuls ceux qui portent sur la politique le regard scolastique des logiciens auront du mal à comprendre qu’on puisse dire d’un même événement — comme l’affaire Cahuzac — qu’il est à la fois secondaire et principal. Péripétie fait-diversière et crapoteuse, bien faite pour attraper le regard et le détourner des choses importantes (accord sur l’emploi « ANI » [1], austérité, chômage, etc.), la bouse soudainement posée n’en a pas moins le mauvais goût de tomber au plus mauvais moment — il est bien vrai que le spectacle de la cupidité déboutonnée, lors même que le corps social en bave comme jamais, donne quelques envies de coups de fourche.«
Au milieu, c’est passionnant et à la fin, ça finit par « Les soulèvements aiment à se donner des signes, ils ont raison. La révolution tunisienne a eu le jasmin, comme jadis la révolution portugaise les œillets, et l’argentine… les casseroles ! Alors, oui, pourquoi pas le balai ? Comme appel au départ de la droite se faisant passer pour la gauche, mais aussi comme exigence de nouvelles institutions qui offriraient réellement sa chance à la vraie gauche. On rêve : un mouvement armé de balais, manière, pour l’heure toute symbolique, de narguer les gate-keepers satisfaits de l’espace médiatique, qui s’acharnent à disqualifier pour cause de violence verbale toutes les tentatives sérieuses d’en finir avec la violence sociale, une foule de balais rigolarde, non plus de République à Nation, mais devant l’Assemblée, rue de Solférino, et puis surtout sous les fenêtres des épouvantés : de Pujadas, de Libération, de Patrick Cohen et de Pascale Clark, du Nouvel Obs, d’Apathie et de Canal, inspirée, quitte à faire une fois dans le contre-emploi, par Bernanos et sa réjouissante devise :« jamais nous ne nous lasserons d’offenser les imbéciles ».