mercredi 1 mai 2013

Pour Naomi Klein, la “stratégie du choc” s’applique en Grèce (Blogapares)

Pour Naomi Klein, la “stratégie du choc” s’applique en Grèce

1x1.trans Pour Naomi Klein, la “stratégie du choc” s’applique en GrèceSelon l’auteur , l’utilisation systémique du choc et de la peur par les élites au pouvoir pour ébranler les communautés vulnérables est très évidente dans la d’aujourd’hui.
De la montée du racisme à la vente du pétrole et des ressources en gaz naturel du pays, beaucoup de ce qui va façonner le futur immédiat de la Grèce sont des conséquences prévisibles de la politique d’, explique Naomi Klein dans un entretien avec EnetEnglish.

Naomi Klein est l’auteur du controversé best-seller du New-York Times « La stratégie du Choc », auquel on a décerné la qualification de « récit majeur de notre temps ». Le livre explique que les intérêts commerciaux et les grandes puissances exploitent le choc, qu’il soit sous la forme d’un désastre naturel, d’un problème économique ou des turbulences politiques, comme une opportunité de restructurer de manière aggressive les économies des pays vulnérables. Elle avance le fait que parce que les politiques ultra-capitalistes sont désagréables à la majorité des citoyens, on ne peut pas les mettre en place sans un choc, allant de l’hypermédiatisation d’un fait divers à la torture policière qui écrase la résistance populaire. Dans une interview accordée à EnetEnglish, Naomi Klein explique comment elle croit que la doctrine du choc s’applique aujourd’hui à la Grèce.
Comment les événements en Grèce se rapprochent de vos arguments dans ?
Pour moi, c’est un exemple classique de ce que j’ai écrit. C’est navrant de voir les mêmes astuces et les mêmes tactiques utilisées si brutalement. Et il y a eu une énorme résistance en Grèce. Il est particulièrement affligeant de voir la répression violente des mouvements sociaux qui résistaient à l’austérité. Et cela dure depuis si longtemps maintenant. Les gens sont usés.
J’ai suivi récemment la braderie des ressources naturelles pour l’exploitation minière et le forage. C’est la prochaine frontière de la manière dont cela va se jouer – la ruée vers le pétrole et le gaz dans la mer Egée. Et cela va aussi affecter Chypre. Il s’agit d’un tout autre niveau d’utilisation de l’austérité et de la pour forcer les pays à vendre leurs droits d’exploitation minière et de forage pour des prix de vente à bas coût.
Lorsque vous ajoutez la climatique en plus de tout cela, c’est une culpabilité d’avoir une économique utilisée comme levier pour extraire plus de combustibles fossiles, en particulier parce que la Grèce elle-même est très vulnérable au climat. Et je pense que c’est possible, comme la ruée vers le pétrole et le gaz s’intensifie, qu’il y ait plus de résistance parce que c’est une énorme menace pour l’économie de la Grèce.
A quel point le changement climatique est-il prégnant dans votre argumentation ?
Je suis en train de travailler sur un livre et un film à propos du changement climatique. C’est la raison pour laquelle j’ai poussé ma réflexion vers cette frange de la doctrine du choc à laquelle on accorde beaucoup moins d’attention. Les gens, et c’est compréhensible, sont beaucoup plus concentrés sur la réduction de leur retraites, les licenciements, qui ont définitivement des conséquence beaucoup plus immédiates. Bien que dans le cas de la mine d’or [de Skouries], il y a une menace immédiate pour la sûreté, le bien-être des gens et pour leur économie, c’est pourquoi les habitants sont très actifs là-bas.
Ce que je trouve coupable et profondément immoral, c’est que la montée du fascisme, dans ce contexte, était entièrement prévisible. Nous savons comment ces choses là arrivent. Et c’est supposé être la leçon que nous tirons de la Seconde Guerre Mondiale : si on impose des sanctions punitives et humiliantes à un pays, cela fait le lit du fascisme C’est ce contre quoi Keynes nous mettait en garde quand il écrivait « les conséquences économiques de la paix, concernant le traité de Versailles. Pour moi, c’est vraiment incroyable que nous laissions ainsi l’histoire se répéter de cette façon.
Les Grecs ont cette peur particulière qui est actuellement exploitée, la peur de devenir un pays en voie de développement, un pays du tiers-monde. Et je pense qu’en Grèce, il y a toujours eu cette sensation d’être attaché à l’Europe par un fil. Et la menace, c’est de voir ce fil se couper. La peur joue à deux niveaux : la première c’est qu’ils ne peuvent pas quitter la parce que ça reviendrait à renoncer au statut de pays développé. Ensuite à propos des attaques perpétrées à l’encontre des migrants et des politiques anti-immigrés.
Dans la Doctrine du Choc, vous expliquez comment des pays à qui le FMI avait prêté de l’argent s’étaient vu dire qu’ils avaient des économies malades, des économies cancéreuses. Mais avec la Grèce, il est question d’une « contagion ». Qu’impliquent ces changements de métaphores ?
L’image du « cancer » était déjà très violente. Quand vous diagnostiquez qu’un pays a un cancer, vous justifiez tous les traitements qu’on peut lui administrer sous prétexte de lui sauver la vie. C’est l’idée principale dans cette métaphore du cancer. Une fois que vous l’avez diagnostiqué, vous, le médecin, ne pouvez être tenu responsable pour les effets négatifs du traitement.
Parler de contagion signifie bien sur que ça aurait du rester enfermé, et qu’on aurait du se protéger d’une rébellion qui incubait et se répandait à Chypre, au Portugal et en , particulièrement.
Quand on a cette peur de la contagion, quand les investisseurs ont peur d’une région entière, ça veut dire que cette région a le pouvoir de constituer un bloc qui pourrait agir avec une main forte. C’est ce que j’ai écrit dans le livre à propos de l’Amérique Latine dans les années 1980, avec le « choc de la dette ». La situation était telle qu’il aurait été presque impossible pour des pays pris individuellement de se dresser contre le FMI. Mais si l’Amérique Latine, prise comme un bloc, s’était organisée et s’était dressée contre le pouvoir du FMI, là, elle aurait eu le pouvoir de renverser la balance, de les briser. Et là on aurait pu avoir des négociations. C’est pour ça que je crois que je pense que cela constitue une réponse à l’idée de contagion : vos adversaires ont peur de ça. Que vous vous organisiez en un bloc à même de provoquer des négociations.
Les pays d’Europe du Sud devraient donc se réunir et tenir des négociations avec la Troïka ?
C’est ce que je pense, oui. Cela s’appelle le cartel des débiteurs. Mais ça n’est jamais arrivé. Autant que je sache, ça n’a même jamais été tenté.
L’ancien vice-premier ministre Theodoros Pangelos a déclaré « nous l’avons mangé ensemble » – comme si chaque Grec était complice de la situation de crise. A contrario, Alexis Tsipras, à la tête du principal parti d’opposition Syriza, a pointé du doigt Angela Merkel et ses sbires. Comment la façon dont la crise est née affecte-t-elle la manière dont nous essayons de la résoudre ?
Si on accepte le présupposé que chacun est en partie responsable de la crise, on crée un contexte dans lequel la punition collective est acceptable. C’est tout le danger de cette fausse équivalence.
On assiste à un effort concerté à créer une équivalence, qui est fausse entre un individu qui a une petite dette de consommateur et une banque qui se mobilise. C’est une comparaison scandaleuse. Mais malheureusement c’est la façon dont sont discutées les politiques économiques dans nos cultures, avec ce genre d’équivalence : entre la dette d’une famille et la dette d’un Etat. «Géreriez-vous votre foyer comme ça ? » C’est une comparaison ridicule parce que gérer un foyer ça n’a rien à voir avec gérer un Etat. « Nous l’avons tous mangé ensemble », ça veut dire que maintenant on doit tous se serrer la ceinture. Mais bien sûr, nous savons que tout le monde ne se mettra pas à la diète imposée…
Le journaliste qui a publié les noms de la liste Lagarde, Kostas Vaxevanis, a déclaré dans une interview au Guardian que les Grecs devaient lire la presse étrangère afin de savoir ce qui se passaient dans leur propre pays. Quel est le rôle de la presse face à la doctrine du choc ?
L’information est une forme de résistance au choc. L’état de choc, qui est si facile à exploiter est un état de confusion. C’est un manque d’explication sur ce qui se passe, la panique qui s’installe, les choses changent très très vite. Et dans ces moments précisément, nous avons besoin des médias plus que jamais. C’est la manière collective de nous redonner du sens. De nous raconter nous-mêmes, de rester orientés sur notre histoire – si, bien sûr, nous avons de bons médias.
Ce n’est pas parce que quelque chose de mal arrive que ça signifie qu’on a affaire à un choc. Un choc arrive quand on perd le fil. Quand on n’arrive plus à comprendre où on se situe dans l’espace-temps. Quand on ne sait plus quelle est notre histoire. Et ça nous rend beaucoup plus vulnérable vis à vis de quelqu’un qui arrive et qui nous dit « voilà ce qui se passe. »
Cette situation ne peut pas arriver sans la complicité des médias. Des médias ayant la volonté de travailler avec les élites et de diffuser la peur. C’est la peur qui alimente ce système, la peur de s’effondrer, la peur de sortir de l’Europe, la peur de devenir un pays en voie de développement. Les politiciens n’ont pas la capacité de répandre cette peur tous seuls. Ils ont besoin de commentateurs. Ils ont besoin que cette peur soit la star des talk-shows.
Les journalistes doivent savoir que rien de tout cela ne peut arriver sans eux. Nous ne somme pas que des observateurs. Dans ces moments où tout prête à la peur et à la désorientation, à la perte de sens, nous sommes acteurs et nous avons le choix. Allons-nous aider les gens à ne pas perdre l’équilibre ou allons-nous être les outils des élites ?
Que ce soit la peur des immigrés ou de n’importe quelle supposée calamité à venir qui empêche les gens de voir la calamité qui est, les désastres sont déjà là. Il y a une dépression. Mais en disant constamment aux gens que le pire reste à venir, on les aveugle sur la situation, ils ne voient plus les attaques scandaleuses et masochistes qui sont infligées aujourd’hui au pays.
La situation aujourd’hui trouve sa source dans la crise financière de 2008. Et tous les journalistes qui n’ont pas posé cette question, la question des origines, au début, on nourrit tout ce battage médiatique qui allait durer éternellement et qui n’allait jamais aborder cette question.
Nous en sommes là. Nous créons le contexte pour qu’un crash économique s’installe et nous devenons les outils des élites quant à la manière de répondre à ce crash.
Source : EnetEnglish via OkeaNews – Traduction d’OkeaNews