dimanche 2 juin 2013

Déculottage (La plume d'Aliocha)

01/06/2013

Déculottage

 
C’est fascinant la politique. Tenez, prenons l’exemple de mon ennemie la finance. Pas la mienne d’ennemie, mais celle du candidat François Hollande, vous vous souvenez ? On allait voir ce qu’on allait voir si l’hypothèse"Moi Président" devenait réalité. Elle allait marcher au pas, la diablesse, matée par le fouet de la nouvelle majorité.
Hélas, nous voyons.
Dans un entretien accordé aux Echos le 23 mai dernier, notre ministre de l’économie Pierre Moscovici a annoncé qu’il n’y aurait finalement pas de loi sur la gouvernance des entreprises et donc sur la rémunération des patrons. C’est quoi la gouvernance, demanderont certains ? Un ensemble de principes qui organisent le fonctionnement des pouvoirs dans les entreprises pour s’assurer que chacun tient son rôle, que l’organisation est fiable, transparente, et qui encadrent notamment le délicat sujet de la rémunération des dirigeants. Quelques unes de ces règles sont fixées par la loi, mais la majorité relève de ce qu’on appelle l’auto-régulation, c’est-à-dire d’un code rédigé par les associations d’entreprise. En France, il s’agit du Medef et de la discrète mais puissante AFEP (Association française des entreprises privées) qui rassemble la crème des sociétés cotées. Celle-ci pèse des centaines de milliards et…beaucoup d’emplois, ce qui lui confère entre autres avantages, quelques biscuits de fort bonne qualité quand il s’agit de négocier avec le pouvoir.
"J’ai choisi d’agir dans le dialogue"
A la place de la loi ? Deux choses. D’abord le retour de la taxe à 75%, qui sera prélevée durant deux ans, auprès des entreprises et non des heureux bénéficiaires, sur les salaires supérieurs à un million d’euros. C’est de la mesure emblématique ça, coco. 75% c’est un chiffre drapeau, une promesse présidentielle, celle de tondre les trop riches, de raboter les inégalités, de fesser les impudents sous les applaudissements enthousiastes de ceux qui bouffent du symbole quand ils n’ont plus rien d’autre à se mettre sous la dent. Ensuite, le gouvernement va surveiller l’AFEP et le MEDEF pour qu’elles rédigent un nouveau code de gouvernance plus exigeant. Remise de la copie d’ici quelques semaines et gare aux insuffisances, le législateur est en embuscade. Au moindre signe de faiblesse ou d’auto-complaisance, il frappera. En fait, il ne frappera rien du tout. Chacun a compris qu’on assistait comme toujours à une représentation de Guignol. Comment en est-on arrivé là ? Eh bien figurez-vous que sur ce dossier – contrairement à celui du mariage pour tous, au hasard – le gouvernement a consulté les parties concernées pendant des mois avant de rédiger un projet. Et savez-vous ce qui est arrivé ? Je vous le donne en mille ! L’AFEP et le MEDEF ont refusé qu’on impose à leurs chers membres de nouvelles obligations légales, les deux associations préfèrent se surveiller et s’encadrer elles-mêmes, c’est plus cool. Ce qui fait dire à notre ministre dans l’interview citée plus haut que finalement il a choisi d’opter pour le dialogue, plutôt que la loi. Choisir l’option qu’on vous impose un couteau sous la gorge, est-ce vraiment choisir ? Sans doute pas, mais il faut bien sauver les apparences. Car un gouvernement de gauche à la botte des grands patrons, ça fait un peu mauvais genre, même si tout le monde a compris que l’exercice du pouvoir ramenait forcément les doux rêveurs à la dure réalité. Mais au fait, me direz-vous, c’est un recul ou pas ? Oui, c’en est un et parmi les plus discutables qu’on puisse imaginer.
Murmures menaçants…
En février dernier, une mission parlementaire a publié un long rapport sur l’amélioration de la gouvernance des entreprises dans lequel elle présente plusieurs propositions, dont certaines impliquent l’intervention du législateur. Le rapport est accessible ici. Les députés attendaient le projet du gouvernement avec la ferme intention d’y apporter leurs propres améliorations. Nous tenions donc une chance d’encadrer les rémunérations, de mettre un peu plus d’ordre dans les entreprises, en particulier les très grandes, bref, de faire avancer l’économie dans le sens de l’éthique, de la transparence et de la démocratie. Tout ceci dans le but encore et toujours de tirer les leçons de la crise et de faire en sorte qu’elle ne se reproduise pas. Les députés d’ailleurs n’étaient pas les seuls à miser sur cette loi. L’Autorité des marchés financiers (AMF), autrement appelée le gendarme de la bourse, attendait aussi une intervention législative de pied ferme. Pourtant, on ne peut pas dire que cette institution, en charge de la surveillance des marchés financiers, soit un repaire d’altermondialistes. C’est même tout le contraire. Son collège est composé de magistrats, de hauts fonctionnaires et de professionnels de l’économie et de la finance. Autant vous dire que si l’AMF elle-même juge nécessaire de légiférer, c’est que ça urge. Le discours du président de l’AMF, prononcé le jour même de l’interview de Pierre Moscovici, est accessible ici. Le ton en est prudent, voire franchement langue de bois, mais la plupart des améliorations demandées par l’intéressé nécessitent une loi, il faut donc lire en filigrane un discret appel du pied au législateur.
Las ! Il faut croire que lorsque l’AFEP et le MEDEF murmurent des menaces, leur bruit – si léger soit-il- couvre la voix du gendarme boursier et des élus de la Nation. Au final, nous aurons donc une mesurette symbolique d’urgence (les 75%), mais le vrai dossier, celui qui aurait permis une amélioration sur le long terme du fonctionnement de nos entreprises, plus de démocratie, des rémunérations maîtrisées, des zones de risques consolidées, continuera longtemps encore de dormir dans un placard. Notez, on dit que les gouvernements de gauche sont particulièrement sensibles au sort des minorités, il est donc logique que le nôtre se penche avec sollicitude sur les états d’âme des patrons du CAC40 qui ne sont en effet que…40. Peut-on rêver minorité plus minoritaire et donc plus digne d’intérêt que celle-ci ? Evidemment, quelques esprits chagrins songeront, en observant l’actualité de près, que les lobbys ont pris le pouvoir et qu’il vaut mieux être une toute petite minorité puissante et organisée qu’une majorité silencieuse. Ah, les vilains esprits…