Les contre-vérités de Caroline Fourest sur Frédéric Taddeï
“Invités sulfureux”, “thématiques complotistes”, “manque d’informations”, passé “rouge-brun”. Caroline Fourest charge Frédéric Taddeï mais ses violentes attaques passent difficilement l’épreuve du fact-checking.
C’est désormais acté. Après les cathos intégristes, les radicaux islamistes et le Front national, Caroline Fourest part en croisade contre Frédéric Taddeï.
Alors qu’elle boycotte le plateau de Ce soir (ou jamais !) depuis quatre ans, l’essayiste s’est longuement épanchée dans Le Supplément de Canal + en déclarant :
“C’est du cynisme dandy. C’est toute cette nébuleuse des rouges-bruns que l’on a trouvés chez Jean-Edern Hallier qui l’a beaucoup influencé. Au nom d’une posture très parisienne, très chic, je me demande si Frédéric Taddeï ne pense pas que le totalitarisme, c’est de l’art contemporain, en fait. Tellement, pour lui, toutes les idées se valent, surtout les plus cyniques, c’est quand même ses préférées (…). Les gens que l’on met sur le plateau comme de simples experts sont en fait des paranoïaques conspirationnistes qui ont eu des écrits haineux et racistes mais ce n’est jamais dit. Et donc le principe de l’émission de Frédéric Taddeï, c’est ce vieil adage qui dit : ‘Cinq minutes pour les Juifs, cinq minutes pour Hitler.’ Je crois que dans le cas de Frédéric Taddeï, c’est même six minutes pour Hitler”.
Ce mardi, Caroline Fourest a développé ses critiques dans sa chronique hebdomadaire sur France Culture.
“Une trentaine d’extrémistes qui ont leur rond de serviette”
Dans sa chronique, Caroline Fourest déclare que l’émission est composée : “d’une bonne tranche de paranoïaques et de complotistes qui n’affichent pas la couleur, mais qui incarnent l’antisystème, face à des journalistes établis, si possible juifs et conservateurs, qui incarneront merveilleusement le système.” Et l’essayiste d’ajouter qu’une “trentaine d’extrémistes ont leur rond de serviette ” en citant pêle-mêle : Alain Soral, Dieudonné, Jean Bricmont, Michel Collon ou bien encore Alain de Benoist.
Du coup, nous avons fait le compte des invités depuis la création de l’émission en 2006. Sur 650 émissions, Alain Soral a été invité 3 fois (dont la dernière fois en 2011), Dieudonné 3 fois, Jean Bricmont 3 fois, Michel Collon 6 fois et enfin Alain de Benoist 3 fois. Il est donc erroné de parler d’invités récurrents. Parmi les autres personnes citées par Caroline Fourest : l’écrivain Marc-Edouard Nabe, Tariq Ramadan ou bien encore la porte-parole du parti des Indigènes de la République Houria Bouteldja comptabilisent en revanche 10 invitations.
Mais les véritables “rond de serviette” ne sont pas ceux-là. Parmi les personnes qui comptent plus d’une vingtaine d’invitations, on retrouve plutôt : Emmanuel Todd, Michel Maffesoli, Thierry Lévy ou bien encore Jean-Didier Vincent. Et plus d’une quinzaine d’invitations pour Daniel Cohen, Cynthia Fleury, Eric Fassin, Alain Finkielkraut, Bernard Stiegler ou bien encore Jacques Attali. Des invités qu’il serait difficile de qualifier d’“extrémistes” ou de “complotistes paranoïaques”.
Même s’il se dit choqué de n’avoir pas été prévenu de l’invitation surprise de Nabe, le président de la Licra Alain Jakubowicz, présent sur le plateau le 8 janvier, estime que les attaques sur la politique d’invitation de Taddeï sont disproportionnées :
“J’aime bien Caroline Fourest mais lorsqu’elle dit que cette émission c’est 5 minutes pour Hitler, 5 minutes pour les Juifs, je ne suis pas d’accord. Je trouve qu’elle me dépeint en faire-valoir d’Hitler en disant cela. Ce soir (ou jamais !) est un espace de liberté nécessaire.”
“On les invite comme experts sans les présenter, pour les laisser parler de tout et de n’importe quoi”
Autre reproche de taille. Caroline Fourest estime que Frédéric Taddeï élève au rang “d’expert” des invités sulfureux, sans préciser leur pedigree. Cet argument ne tient pas. Lorsque l’on revisionne les trois émissions où Alain Soral a été invité, on se rend compte que son passage au Front national est à chaque fois mentionné. Même chose concernant Alain de Benoist qui est présenté comme “le théoricien de la Nouvelle Droite dans les années 70”.
Spécialiste de l’extrême droite et chercheur associé à l’Iris, Jean-Yves Camus estime que le procès en “contextualisation” est un faux procès :
“On ne peut pas demander à un présentateur de télévision de dire : ‘Alain de Benoist, théoricien de la Nouvelle Droite, fondateur du Grece, éditorialiste à Eléments sous le pseudonyme de Robert de Herte, etc. Une introduction télévisée, ce n’est pas une fiche de police ou un dictionnaire antifasciste (…) Quand Taddeï présente Soral comme membre du comité central du FN, le téléspectateur sait à qui il a affaire. Préciser qu’il serait antisémite c’est prendre le risque d’un procès pour injure publique.”
“Le débat du 8 mars a tourné autour du débat sur les chiffres du viol qui n’était pas un peu truqué”
Pour démontrer que l’émission vire souvent au complot, Caroline Fourest cite celle du 8 mars 2013 dans laquelle un invité aurait remis en question les chiffres officiels sur le viol. L’invité en question est Thierry Lévy, célèbre avocat pénaliste, qui a remis en cause le chiffre de 150 000 viols par an en France donné par la psychiatre Muriel Salmona. Contacté par Les Inrocks, il précise sa pensée :
“Je n’ai jamais remis en question les chiffres du ministère de l’Intérieur sur le viol, il suffit de revisionner l’émission pour s’en convaincre. J’ai simplement contesté le chiffre donné par Muriel Salmona qui correspond à une extrapolation dix fois supérieure aux chiffres officiels sur le nombre de viols déclarés en France par an.”
“Rouge-brun de L’Idiot international”
Au début de sa carrière, Frédéric Taddeï est passé par Maintenant, Actuel ou encore Radio Nova mais Caroline Fourest insiste sur sa participation à L’Idiot international (un journal pamphlétaire français fondé en octobre 1969 et dirigé par le polémiste Jean-Edern Hallier) pour mieux lui accoler le qualificatif de “rouge-brun”.
Pourtant en parcourant L’Idiot international, une anthologie (Albin Michel) qui raconte l’histoire du journal, la présence de Frédéric Taddeï est pour le moins fugitive. L’animateur de Ce soir (ou jamais !) aurait simplement écrit trois articles sur des livres entre janvier et février 1990 et une critique cinéma en février 1991. Frédéric Taddeï confie d’ailleurs n’avoir jamais assisté à aucun conseil de rédaction et n’avoir jamais été payé pour ses piges. Enfin, avoir écrit à L’Idiot international ne suffit pas à être qualifié de “rouge-brun” sinon Olivier Poivre d’Arvor, Roland Castro, Philippe Sollers, Michel Houellebecq, Frédéric Beigbeder le sont aussi…
“Le pire c’est que cette recette n’est même pas porteuse, puisque Ce soir (ou jamais !) réalise depuis sept ans des audiences très confidentielles…”
Pour clôturer son intervention, Caroline Fourest s’en prend aux audiences de l’émission. Mais là aussi, le jugement se révèle légèrement hâtif. La récente émission consacrée à l’affaire Dieudonné n’est pas la seule à avoir dépassé le million de téléspectateurs. A plusieurs reprises dans son histoire, Ce soir (ou jamais !) a atteint cette audience. En 2009, lorsque Caroline Fourest avait été opposée à Tariq Ramadan, Taddeï avait réuni près de 1,2 million de téléspectateurs, soit près de 10 % de parts d’audience.
“Une émission internet”
Enfin, on ne peut s’empêcher de relever cette assertion légèrement webophobe de Fourest :
“Au fond Ce soir (ou jamais !) c’est une émission Internet, au lieu de profiter de la seule case longue qu’offre le service public pour déconstruire les fantasmes reproduits sur n’importe quel forum, eh bien, elle copie ces codes et conforte ce confusionnisme en privant le service public d’un endroit où on pourrait organiser des débats contradictoires tout en veillant à informer sur la désinformation, puisque Frédéric Taddeï refuse de le faire.”
En déclarant cela, Caroline Fourest donne l’impression que le web se réduit aux rumeurs et au complotisme et offre une lecture pour le moins “confusionniste”.
Caroline Fourest n’est pas la seule à relayer des contre-vérités sur l’émission. Dans une chronique récente sur Le Plus (Nouvel Observateur), Bruno Roger-Petit a écrit que Frédéric Taddeï a des “chroniqueurs permanents” alors qu’il n’en a aucun. Il affirme également que l’animateur défend “une liberté d’expression totale”, alors que ce dernier a toujours déclaré qu’il était pour la liberté de parole, tant que personne ne tombait sous le coup de la loi.
Des attaques inévitables
Les polémiques seraient-elles inhérentes aux émissions de débat ? C’est l’avis de Bernard Pivot qui raconte avoir connu le même type d’attaques lorsqu’il animait Apostrophes :
“Ça fait partie du commun usage de ce genre d’émission. Il y aura toujours ce type de polémiques.”
Tandis que le philosophe Régis Debray (invité régulier) estime que ces critiques sont inévitables :
“Cette émission est à mes yeux l’honneur de la télévision publique française. La liberté a son prix et le prix à payer, c’est que l’on a les cons contre soi.”
Papier mis à jour le mercredi 29 janvier 2014 à 17h avec l’ajout du nombre d’invitations pour Marc-Edouard Nabe, Houria Bouteldja et Tariq Ramadan.
Suite à la publication de cet article, Frédéric Taddeï a été invité par le médiateur de France Culture.