Seulement 2 250 agents de contrôle pour 1,8 million d’entreprises en France : l’inspection du travail est un «petit Poucet» face à une mission gigantesque.
Or, ce déséquilibre s’aggrave avec une réforme intégrée au projet de loi relatif à la formation professionnelle. Ce texte, présenté en urgence, avait initialement pour objet de transposer un accord national interprofessionnel sans rapport avec l’inspection du travail.
Malgré une parodie de dialogue social, il n’a reçu le soutien d’aucun syndicat au ministère du Travail. Car la priorité de Michel Sapin ne va pas au renforcement des contrôles, mais au «pilotage» de l’activité des inspecteurs et contrôleurs du travail.

Nouvelle couche hiérarchique

Des directeurs d’unités de contrôle (DUC) vont être mis en place, nouvelle couche hiérarchique entre les directeurs adjoints et les inspecteurs du travail, à raison d’un poste pour 8 à 12 agents. Finies les actuelles sections d’inspection – service de proximité qui regroupe un inspecteur et deux contrôleurs sur un même secteur géographique.
Au final, moins d’agents sur le terrain, car une bonne partie de ces DUC sera prélevée sur le vivier des inspecteurs, et quatre fois plus de managers.
Le tout masqué par un écran de fumée communicante sur le «ministère fort» qui promeut les contrôleurs du travail en inspecteurs. Or, seuls 15% des contrôleurs seront concernés, les autres stagneront dans un corps de catégorie B pendant au moins 10 ans. Et, pendant ce temps, le ministère «plus fort» continue à baisser ses effectifs de référence (-311 d’ici 2015) !
Ce sur-encadrement hiérarchique va pousser à concentrer l’action sur quelques axes jugés prioritaires comme la sécurité dans le BTP, la négociation collective obligatoire sous contrainte de pénalité financière ou la lutte contre le travail illégal. Les sollicitations étrangères à ces thématiques sont pourtant légion : salariés payés en dessous des minimas, heures supplémentaires non payées, risques psychosociaux ou emplois précaires…

Métier de cœur

Faut-il renvoyer les salariés vers des conseils de prud’hommes surchargés, sachant que la plupart seront découragés par les délais, la complexité ou la crainte des représailles ? Quid de ce qui fait notre cœur de métier ? Métier qui a aussi du cœur, certains ont tendance à l’oublier.
Ce projet de réforme dessine une inspection du travail méconnaissable, technocratique, voire monstrueuse. Des agents de contrôle moins nombreux, isolés, soumis à une pression hiérarchique grandissante, donc plus que jamais en difficulté pour assurer le respect du droit du travail dans les entreprises.
Et, cerise sur le gâteau empoisonné, des agents invités à convaincre leurs directeurs régionaux de sanctionner un employeur. Sous prétexte que certains «manquements fréquents [nécessitent] une action plus rapide que la réponse judiciaire», on préfère confier à de hauts fonctionnaires le pouvoir de prononcer des amendes administratives, quitte à se priver des garanties liées au procès équitable.

Patchwork

Dans certaines matières où seul le pénal reste prévu, les directeurs régionaux auront la possibilité de passer un deal avec les entreprises : l’abandon des poursuites contre une amende transactionnelle. Sanctions administratives ou transaction pénale, le pouvoir de décision sera placé entre les mains d’un fonctionnaire directement rattaché au ministre, perméable à l’action des lobbys.
Malgré quelques avancées, ce projet n’est qu’un patchwork de mesures disparates avec pour seul fil conducteur un renforcement sans précédent de la ligne hiérarchique, du ciblage des contrôles jusqu’aux sanctions. Il oublie le plus essentiel : la demande sociale et les garanties d’indépendance prévues par la convention n°81 de l’OIT pour tendre à l’application de toutes «les dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs».
Le «pacte de responsabilité» avec les employeurs comporte-t-il des clauses secrètes visant à diminuer l’autonomie d’action de l’inspection du travail ? Dans un pays aux rapports sociaux déséquilibrés, l’inspection du travail constitue souvent le «dernier rempart», notamment pour les plus précaires. A trop le malmener, le conte de fées pourrait bien se transformer en cauchemar pour 18 millions de salariés.
Par François Stehly, Pierre Meriaux (inspecteurs du travail), Brigitte Cazon (contrôleur du travail), Jean-Pierre Terrier (directeur-adjoint), tous militants au SNU TEFE FSU.