mardi 14 janvier 2014

Lettre ouverte d’Edward Snowden + Voeux (les crises)

REPRISE : Lettre ouverte d’Edward Snowden + Voeux

Lettre ouverte du grand Edward Snowden aux Brésiliens, du 17/12/2013, où il leur propose de collaborer en échange de l’asile politique.
Demande rapidement refusée : « Le gouvernement brésilien n’est pas intéressé par une enquête sur la NSA (Agence de sécurité nationale) et, pour cette raison, il n’accordera pas l’asile à Edward Snowden […] dans un échange d’informations qui irait dans ce sens.» Le ministère des Affaires étrangères aurait soutenu que le gouvernement brésilien ne serait pas intéressé par une « vengeance » pour les crimes commis par la NSA. Un responsable du ministère a ajouté que Brasilia « n’a aucun intérêt à créer ce genre d’interférences avec la souveraineté des autres pays » et qu’il « ne leur fera pas ce qu’ils nous ont fait ».
A la fin, vous pourrez regarder ses voeux pour 2014.
Cette affaire montre bien l’hypocrisie très profonde de nos sociétés, largement dénoncée par Chomsky par exemple, où un dissident soviétique était accueilli en héros, mais où un dissident américain est poursuivi comme un chien.
Cette affaire Snowden – dont nous parlerons longuement en 2014 – restera un profonde honte ineffaçable pour nos pseudo-démocraties occidentales.
Je défends personnellement l’idée que tout lanceur d’alerte se voit accordé l’asile politique – et, bien entendu, qu’on offre la citoyenneté française à M. Snowden – qui l’a bien méritée…
Il y a six mois, je suis sorti de l’ombre de l’Agence américaine de sécurité nationale (NSA) pour me placer devant la caméra d’un journaliste. J’ai partagé avec le monde entier des preuves montrant que certains Etats travaillent à la mise en place d’un système mondial de surveillance permettant d’espionner comment nous vivons, ce que nous disons et à qui nous le disons.
Je suis allé devant cette caméra en parfaite connaissance de cause, conscient que cette décision allait me couper de ma famille et de mon foyer et mettre ma vie en danger. Ce qui m’y a poussé, c’est la conviction que les citoyens du monde méritent de comprendre le système dans lequel ils vivent.
Ma plus grande crainte était que personne n’écoute cette mise en garde. Jamais je n’ai été aussi heureux de m’être trompé. Les réactions dans certains pays se sont révélées particulièrement encourageantes pour moi, et parmi ces pays figure sans conteste le Brésil.
Quand j’étais à la NSA, j’ai assisté avec une inquiétude croissante à la mise sous surveillance de populations entières, sans qu’aucun soupçon d’acte criminel ne la justifie : cette surveillance constitue la plus grave attaque contre les droits de l’homme de notre temps.
La NSA et les autres agences de renseignements nous expliquent que c’est au nom de notre propre “sécurité” – pour la “sécurité” de Dilma [Rousseff, la présidente du Brésil], pour la “sécurité” de Petrobras [compagnie pétrolière publique brésilienne] – qu’elles ont aboli notre droit au respect de la vie privée pour nous épier en permanence. Et tout cela sans même demander l’autorisation au peuple d’aucun de ces pays, pas même du leur.
Aujourd’hui, si vous vous promenez à São Paulo avec un téléphone portable en poche, la NSA a les moyens de savoir où vous vous trouvez, et elle ne s’en prive pas : elle procède ainsi, chaque jour, à raison de cinq milliards de localisations d’individus dans le monde.
Quand quelqu’un, à Florianópolis, se rend sur un site Internet, la NSA enregistre à quelle heure et ce qu’y a fait cet internaute. Quand une mère de Porto Alegre appelle son fils pour lui souhaiter bonne chance à un examen, l’enregistrement de l’appel peut être conservé par la NSA pendant cinq ans au moins.
L’agence conserve ainsi des preuves de liaison extraconjugale, ou de fréquentation de sites pornographiques, pour le cas où elle aurait besoin plus tard de salir la réputation de ceux qui la gênent.
Les sénateurs américains nous disent que le Brésil n’a pas à s’inquiéter : il ne s’agit pas de “surveillance”, mais de “collecte de données”, et tout cela a pour seul but d’assurer la sécurité des personnes. Ils se trompent.
La différence est énorme entre un programme légal, un espionnage légitime, une action politique justifiée, dans lesquels des individus sont surveillés en raison de soupçons raisonnables et identifiés pesant sur eux, et ces systèmes de surveillance de masse qui, pour mettre en place tout un réseau de renseignement, placent des populations entières sous une surveillance permanente et en conservent pour toujours les traces.
Ces systèmes n’ont jamais eu pour motivation la lutte contre le terrorisme : l’espionnage économique, le contrôle de la société et la manipulation diplomatique, en somme la soif de pouvoir, sont leurs motivations.
De nombreux sénateurs brésiliens partagent cette conviction, et ils m’ont sollicité pour les aider dans leurs investigations sur les crimes qui auraient pu être ainsi commis à l’encontre de citoyens brésiliens.
Comme je l’ai dit, je suis prêt à apporter mon aide dès lors qu’elle est jugée nécessaire et dans un cadre légal. Malheureusement, le gouvernement des Etats-Unis s’évertue à limiter ma capacité à le faire, allant même jusqu’à contraindre l’avion présidentiel d’Evo Morales à atterrir pour m’empêcher de me rendre en Amérique latine !
Tant qu’un pays ne m’aura pas accordé l’asile politique permanent, le gouvernement américain s’évertuera à m’empêcher de m’exprimer.
Il y a six mois, j’ai révélé que la NSA voulait mettre le monde entier sur écoute. Aujourd’hui, c’est le monde entier qui tend l’oreille, et qui prend la parole. Et tout cela n’est pas doux à l’oreille de la NSA.
L’acceptation de la surveillance de masse à l’échelle mondiale, mise à nu lors de débats publics et par des enquêtes de fond sur tous les continents, cède désormais du terrain.
Il y a tout juste trois semaines, la Brésil a été le promoteur à la Commission des droits de l’homme des Nations unies d’une résolution, inédite dans l’Histoire, reconnaissant que le droit à la vie privée ne s’arrête pas là où commencent les réseaux numériques et que la surveillance systématique d’innocents constitue une violation des droits de l’homme [une résolution qui affirme "le droit à la vie privée à l'ère numérique" adoptée par les Nations unies le 26 novembre 2013] .
Le vent a tourné, et nous pouvons enfin imaginer un avenir dans lequel sécurité et vie privée sont conciliables.
Nous ne pouvons tolérer que nos droits soient limités par quelque organisation secrète, ni que les autorités américaines puissent interférer sur les libertés des citoyens brésiliens.
Même les partisans de la surveillance de masse, ceux-là qui sans doute ne sont pas convaincus que les technologies de surveillance enfreignent dangereusement l’exigence de contrôle démocratique, s’accordent aujourd’hui à dire qu’en démocratie la surveillance de la population doit être débattue par la population.
Mon acte de conscience débutait par la déclaration suivante : “Je refuse de vivre dans un monde où tout ce que je dis, tout ce que je fais, tous ceux avec qui je parle, toutes les expressions de créativité, d’amour ou d’amitié peuvent être enregistrés. C’est un système que je ne suis pas prêt à cautionner, ni à construire, ni dans lequel je veux vivre.”
Quelques jours plus tard, j’apprenais que le gouvernement de mon pays avait fait de moi un apatride et voulait me jeter en prison. Ma prise de parole m’a coûté mon passeport, mais je le referais s’il le fallait : je ne fermerai pas les yeux sur le crime au nom de mon confort politique. Je préfère vivre sans patrie que sans voix.
Si le Brésil ne doit entendre qu’une seule de mes paroles, que ce soit celle-ci : quand nous serons tous unis contre les injustices et pour la défense de la vie privée et des droits de l’homme les plus fondamentaux, alors nous serons capables de nous défendre contre les plus puissants des systèmes.


Les vœux de Noël d’Edward Snowden par lemondefr
«Bonjour et Joyeux Noël
Je suis honoré d’avoir la chance de m’adresser à vous et votre famille cette année.
Récemment, nous avons appris que nos gouvernements ont travaillé ensemble pour créer un système mondial de surveillance massive, afin de surveiller tout ce que nous faisons.
Le Britannique George Orwell nous a averti des dangers de ce genre de surveillance. Les outils utilisés dans son livre –les micros, les caméras, les télés qui nous surveillent– ne sont rien à côté de ce qui est utilisé de nos jours: nous avons des capteurs dans nos poches qui nous traquent où que nous allions.
Pensez à ce que cela signifie pour la vie privée d’une personne lambda. Un enfant né aujourd’hui grandira sans conception aucune de la vie privée. Il ne saura jamais ce que c’est d’avoir un moment rien qu’à lui, une pensée non enregistrée, non analysée. Et c’est un problème, parce que la vie privée est importante. La vie privée est ce qui nous permet de déterminer qui nous sommes et qui nous voulons être.
La conversation qui a lieu en ce moment déterminera à quel point nous pouvons faire confiance à la technologie qui nous entoure et au gouvernement qui la régule.
Ensemble nous pouvons trouver un meilleur équilibre, mettre fin à la surveillance de masse, et rappeler au gouvernement que s’il veut vraiment savoir ce que nous ressentons, demander est toujours moins cher qu’espionner.
A tous ceux qui me regardent, merci, et joyeux Noël.»
Enfin, un beau papier de synthèse d’Arrêts sur Images sur les débats autour de Snowden ici.

“Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.” [Benjamin Franklin]