Grèce : une ONG au coeur des réseaux de financement de Radovan Karadžić
Par Takis Michas et Kostas Yannakidis, vu sur le Courrier des Balkans
C’est un énorme scandale de détournement de fonds publics et de blanchiment d’argent, qui éclabousse directement le PaSok, le parti socialiste grec au pouvoir dans les années 2000. Au moins neuf millions d’euros ont été détournés par une ONG supposée se livrer à des activités de déminage en Bosnie-Herzégovine, avec la complicité active de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères… En réalité, les sommes auraient servi à alimenter les réseaux de soutien à Radovan Karadžić.
Au bout de vingt mois d’enquête, la police grecque a annoncé la mise en examen de neuf personnes dans une affaire de fraude à grande échelle. Le Centre international de déminage, une ONG désormais fermée, est basée à Athènes, aurait touché des subventions du ministère des Affaires étrangères à hauteur de 8,9 millions d’euros.
L’ONG travaillait pour le compte de l’ONU en Bosnie, au Liban et en Irak. L’argent reçu du ministère grec provenait de sommes communautaires versées à notre pays pour l’aide humanitaire entre 2000 et 2004. Les responsables de cette ONG, en lien avec des cadres du ministère des Affaires étrangères sous le gouvernement PaSoK, auraient massivement détourné ces fonds.
La police grecque a également enquêté pour voir si certains de ces déminages n’étaient pas uniquement « de façade ». Les données exigées par la police n’ont pas été présentées au prétexte que « l’ONG avait fermé et que la plupart des dossiers avaient été jetés à la poubelle » ! Son président, Konstantinos Tzévélékos, a été présenté à la justice le 12 février et aussitôt placé en détention provisoire. La justice doit encore se prononcer sur le sort de ses coaccusés, à savoir son épouse, ancienne fonctionnaire, trois diplomates en activité, dont deux ambassadeurs, et trois fonctionnaires en retraite qui, pendant la période concernée, travaillaient pour le Service de coopération internationale, et le Service du contrôle financier du ministère des Affaires étrangères. Ils sont accusés de délit de fraude à l’encontre de l’Etat grec, association de malfaiteurs, blanchiment d’argent, fausse déclaration et malversations à répétitions.
Selon les enquêteurs, l’ensemble des subventions a été encaissé de façon illégale car les conditions requises n’étaient pas remplies. Selon les contrats de programmes d’aide au développement, 25% des ressources d’une ONG doivent provenir de ses ressources propres. Or, l’ONG a fait référence des dons fictifs pour gonfler son budget. Les travailleurs étrangers des programmes de déminage rendaient à l’ONG sous la forme de dons 20 à 30% de leurs honorais, que l’organisation ne répertoriait pas comme il l’aurait fallu dans ses livres de comptes, mais présentait au contraire comme des contributions volontaires, s’assurant ainsi davantage de subventions.
Par ailleurs, d’autres règles n’ont pas été respectées : la réalisation des opérations sur le terrain n’a pas été confirmée par les ambassades grecques, tandis que le contrôle des données soumises à la direction compétente du Service du développement de la coopération internationale était inexistant. Enfin, les sommes reçues n’auraient pas toujours servi à remplir les buts énoncés, mais des dépenses personnelles du président.
Les amis grecs de Radovan Karadžić
Sur le site d’informations Protagon, Takis Michas explique que l’affaire ne s’arrête pas à une simple affaire de corruption. Il raconte ainsi : « Karadžić, à l’époque où il était en fuite et recherché, était entouré par un cercle d’amis et de soutiens, qui avaient créé autour de lui un réseau de protection destiné à l’informer des mouvements de ses poursuivants, l’aidait à se cacher et à lui trouver des ressources financières pour satisfaire ses nombreuses dépenses ».
Un des hommes-clé de ce réseau était Dušan Tešić, garde du corps et fidèle de Karadžić, arrêté en 2005 par la SFOR quand la force internationale cherchait à démenteler ce réseau protecteur autour du fugitif. Or, ce Tešić s’est avéré être également conseiller de l’ONG grecque qui s’occupait, en apparence bien sûr, de déminage dans la région. Un Bosniaque, ancien collaborateur de l’ONG, confirme que son directeur, Konstantinos Tzévélékos, était en contact étroit avec Tešić, et que leurs réunions ne se déroulaient qu’en présence d’un traducteur venu spécialement d’Athènes, et de personne d’autre. Cette ONG était par ailleurs en contact avec la société UNIPAK, qui la fournissait en personnel, et dont le directeur n’était autre que Radomir Kojić, ancien directeur de la police serbe de Bosnie-Herzégovine, nommé par Karadžić. En 2003, l’UE avait interdit à cet homme l’entrée sur son territoire en raison de son action dans le réseau Karadžić. A partir du moment où UNIPAK a fourni du personnel à l’ONG grecque, le personnel, jusqu’alors multiethnique, est devenu uniquement serbe, tous les Croates et Bosniaques ayant été remerciés.
« Terminons par ceci, ajoute Takis Michas, aucun média grec n’a jamais voulu parler de cette affaire. A chaque fois que j’ai voulu écrire sur les liens entre cette ONG et Karadžić, la réponse a toujours été : ’Niet’ ».
Toujours sur Protagon, Kostas Yannakidis replace l’affaire dans son contexte : « Konstantinos Tzévélékos a créé son ONG en 2000, alors qu’il était marié à la sœur de l’ambassadeur de Grèce à Sarajevo. On ne peut dire dans quelle mesure ce lien de famille a joué dans les subventions reçues par l’ONG. Mais on sait qu’une telle organisation ne peut recevoir d’argent sans l’accord de l’ambassade du pays où elle va intervenir. En revanche, le contrôle de son travail se fait par le Service de développement de la coopération internationale du Ministère des affaires étrangères. Or, en 2000, il était dirigé par Alex Rondos, très proche de Yorgos Papandréou et fervent défenseur de la diplomatie par ONG interposées. 398 ONG ont alors vu le jour sous sa direction. J’ai demandé à un cadre du ministère, à l’époque, de m’expliquer pourquoi une telle inflation. La réponse fut embarrassée mais en reconnaissant ceci : beaucoup d’ONG ont été créées pour promouvoir des intérêts nationaux ; en gros, pour régler des problèmes en intervenant auprès de ministres d’un pays tiers, par exemple. »
Par Takis Michas et Kostas Yannakidis
Traduit par Laurelou Piguet
Source: Le Courrier des Balkans