Entretien avec Dr. Nicole Delépine
« Mes » méthodes sont éprouvées…
Le 10 juillet 2014
Entretien réalisé par Gabrielle Cluzel
Docteur Nicole Delépine, votre service d’oncologie pédiatrique à Garches (Hauts –de-Seine) fait
actuellement la une des journaux. Menacé de fermeture, parce que vos méthodes sont jugées « controversées »,
des parents d’enfants
cancéreux ont fait une grève de la faim pour réclamer son maintien
et celui des méthodes que vous préconisez. Ils ont été délogés dimanche
par la force alors qu’ils s’étaient réfugiés dans la
chapelle.
Pouvez-vous expliquer brièvement ce qu’il en est ?
Ces méthodes dont
vous parlez ne sont pas « mes » méthodes. Ce sont des méthodes
prouvées, éprouvées par le passé, dans le cadre d’une
médecine classique répondant au serment d’Hippocrate et visant à
soigner les patients et non en premier objectif à faire avancer la
recherche. Je n’ai pas de méthodes
« personnelles ».
Dans la plupart
des autres services (d’autres services font l’objet des mêmes mesures
que le nôtre, mais on n’en entend pas parler, nous sommes
les seuls à nous défendre, en tout cas de façon un peu audible !),
le « Plan cancer » exige que les patients soient intégrés dans des
essais thérapeutiques, que l’on appelle
pudiquement « protocoles », ou « tests », standardisés.
L’absence de possibilité de choisir le traitement le mieux adapté viole
le serment Hippocrate, viole le code de déontologie qui doit garantir l’indépendance
professionnelle, viole le code de santé publique
– selon lequel un malade peut opter pour le médecin de son choix (mais
si les patients ne
sont pas informés qu’il existe d’autres traitements ailleurs, et si
tous les médecins leur proposent les mêmes protocoles, où est le
choix ?), viole enfin le code de Nuremberg qui établit que tout médecin doit privilégier le soin du malade et non la recherche clinique.
Nous ne sommes pas, bien sûr, contre les essais thérapeutiques mais
contre les essais thérapeutiques « d’emblée »… que l’on « vend » au
malade en lui
laissant imaginer qu’il aura ainsi LE traitement en pointe.
Quelle est votre analyse ?
Le « Plan
cancer » stipule qu’il faut une acculturation, un changement de
paradigme, une rupture avec des traitements classiques
empiriques personnalisés qui ont fait leurs preuves à travers le
monde. En 1985 avant l’ère des grands essais systématiques on guérissait
3/4 des patients en cancérologie pédiatrique et 50 %
chez les adultes. Actuellement les résultats des essais cliniques
récents ne sont pas publiés… Et pourquoi changer ce qui fonctionnait
sinon pour faire marcher à plein l’industrie
pharmaceutique ?
Vous considérez donc que vous devez faire face à un diktat commercial
des laboratoires ?
Complètement. Car
le véritable problème de fond est là : Toutes les molécules innovantes,
(fondées essentiellement sur la génétique)
coûtent 2 milliards d’euros par an pour l’oncologie, remboursées par
la Sécurité sociale AVANT leur mise sur le marché (« liste en sus »
payée directement par la Sécurité sociale aux
labos alors qu’il s’agit de recherche). Là où un traitement coûtait
500€, il faut à présent 10000€… Prenez l’exemple du vaccin Gardasil (censé lutter contre le cancer du
col de l’utérus dans trente ans), c’est une catastrophe et pourtant on continue de le recommander… et le
Plan cancer 2014 tente de le généraliser. C’est l’industrie
pharmaceutique qui décide de ce que doivent faire les médecins, et la
Sécurité sociale est au service des labos.
Les parents en grève de la faim ont dû trouver refuge ailleurs.
Comment envisagez-vous aujourd’hui la suite ?
J’espère que les nombreuses mises au point sur les médias, y compris maintenant les chaînes de télévision, associées aux multiples actions juridiques en cours vont amener le pouvoir politique à réfléchir aux conséquences d’une fermeture à la hussarde d’un service inauguré en grande pompe par le ministère de la Santé lui-même en 2006.
Ne pas respecter
l’ensemble des procédures institutionnelles de l’AP-HP (Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris), ni celles imposées par les ARS
(Agences régionales de santé), par de nombreux textes,
déstabiliserait ces institutions en même temps qu’elle priverait les
parents de liberté de choix thérapeutique de fait en cancérologie
pédiatrique, toutes conséquences susceptibles de recours juridique
devant l’Europe.
Je suis
résolument optimiste. Le bon sens devrait l’emporter et l’excitation de
ces jours-ci, pour désespérer personnels et patients par des
mesures coercitives injustes, illégales et d’allure carcérale
(vigiles à toutes les entrées, interdiction de visites aux familles
etc.), prouve bien que l’institution joue la montre pour
démoraliser l’ensemble des acteurs , oubliant que l’internet des
patients prime et que la guerre des nerfs inique (dont aucun n’assume la
décision de surcroit) ne saurait entamer notre
détermination à sauver la liberté de soigner et la démocratie.
Source : Boulevard Voltaire