Le nôtre est un chemin de survie pour la planète entière
Alors que la coupe du monde bat son plein au Brésil, le shaman Yanomami Davi Kopenawa parle à Liam J. Shaughnessy du monde, différent, où il habite, dans les profondeurs de la forêt amazonienne ; un monde d’esprits lumineux, de savoirs ancestraux et d’harmonie avec la nature. Un monde en danger.
Les yeux tournés vers le Brésil pour une
dose du « jeu magnifique », c’est aisément qu’on oublie que pour la
plupart des Brésiliens, la coupe du monde n’est rien de plus qu’un décor
onéreux.
Davi Kopenawa fait partie de ceux-là.
Davi Kopenawa, un chaman révéré du peuple Yanomami de l’Amazonie
brésilienne, ardent défenseur des droits des indigènes du monde entier –
le dalaï-lama de la forêt tropicale, est un homme à cheval entre deux
mondes très différents.
Pendant les
qualifications pour la coupe du monde, Davi parti sur les routes afin
d’alerter sur les menaces de plus en plus importantes qui pèsent sur
l’Amazonie, pour ses ressources – le pétrole, les minerais, la terre,
l’hydroélectricité.Avec l’aide de
Survival International, j’ai pu m’entretenir avec lui via Skype depuis
son premier arrêt, à San Francisco – pour parler football, chamanisme et
esprit de l’histoire.
Ma voie se trouve dans la forêt
Je n’ai jamais été passionné de
football, me dit Davi, l’air détendu. C’est un jeu, un jeu inventé pour
oublier les problèmes – les problèmes que vous avez dans la tête, les
problèmes des gens qui se battent, qui s’endettent, qui s’inquiètent
pour l’argent et tous les problèmes qu’ils ont dans les villes.
Le football aide les gens à oublier
cela, et en ce sens c’est une chose magnifique. Mais je n’aimerais
jamais cela parce que ma voie se trouve dans la forêt.
Les Brésiliens rêvent de gagner, c’est cela que le gouvernement brésilien veut montrer au monde, pas les autres choses.
- Quelles autres choses?
Ce qui se passe en Amazonie, les
gens ne le voient pas parce que c’est loin de chez eux mais il y a de
nombreux problèmes sur nos terres et dans nos communautés. Il y a des
mineurs d’or, des éleveurs de bétails, des chasseurs – toutes sortes de
gens envahissent notre terre, causant des dommages et détruisant les
animaux et la forêt.
Et il y a des activités minières importantes. Des nouvelles arrivent concernant une demande importante pour cela.
Si nous voulons vivre bien, nous devons apprendre à dialoguer tous ensemble.
En effet, les ambitions du gouvernement
brésilien d’ouvrir d’immenses bandes de l’Amazonie ancienne aux
activités minières et hydroélectriques sont de sérieuses menaces pour la
forêt et ses peuples.
Le Brésil, ainsi que le reste du monde,
fait face au challenge de gestion d’avancées matérielless pour les
populations urbaines florissantes tout en tenant compte des réalités du
changement climatique et des dégradations environnementales. Mais
existe-t-il une alternative ? Pouvons-nous apprendre des savoirs
indigènes de Davi et des Yanomami ?
Je crois que les gens de la ville
peuvent apprendre de nos coutumes et de notre façon de considérer la
terre. Les leaders des villes et des forêts doivent se rassembler et se
comprendre d’avantage afin que nous puissions montrer notre voie aux
gens de la ville, parce que la nôtre est un chemin de survie pour la
planète entière.
Il doit y avoir un dialogue sur la
nature et l’esprit de la Terre. L’Ouest parle de progrès mais il s’agit
d’un progrès basé sur la destruction, sur l’extraction des richesses de
la Terre – ce qui entraine des combats et des guerres. Si nous voulons
vivre bien nous devons dialoguer tous ensemble.
Les anciens gouvernements sont
maintenant dépassés et oubliés, et il y a de nouveaux politiciens, donc
c’est un nouveau chemin que nous empruntons. Nous, les gardiens de la
forêt devons dialoguer avec les Blancs et ils doivent nous consulter en
retour. »
Quand je rêve, je vois une planète malade.
Pour beaucoup, ce progrès économique
et technologique représente le cœur de l’histoire humaine. Avec une
population grandissante, quelle alternative y a-t-il au développement et
à l’utilisation des ressources naturelles ?
Le monde non-Indien vit d’une
manière très différente que celle des peuples indigènes, les gens de la
ville en particulier. Ils pensent que le mieux c’est d’avoir la
croissance, de construire de plus grandes maisons, d’avoir de plus en
plus d’habitants.
Ils veulent que les autres voient ce
qu’ils créent et le regardent avec admiration. Mais à quoi sert de
construire des immeubles de plus en plus grands si on ne prête pas
attention à la Terre ?
Les gens de la ville utilisent la
terre, les pierres, le sable, l’huile, le gaz, le pétrole, la
technologie pour construire leurs villes. Ils continuent à détruire,
tout cela parce que cela les maintient riches. Mais les villes ne
rendent les gens ni heureux ni en bonne santé. C’est une déception et
quand je rêve je vois une planète malade.
Nous devons protéger la Terre.
Nous devons veiller sur la Terre,
voilà l’objectif des peuples indigènes. Vivre en paix et vivre bien – et
ce n’est pas basé sur l’exploitation et l’extraction des ressources de
la Terre.
Ce n’est pas nécessaire de tout
extraire de la Terre, laissez-nous œuvrer pour la santé et le bonheur
plutôt. Si les Yanomami n’œuvraient pas pour la forêt et ses richesses,
la ville les aurait rasées il y a longtemps.
Les nouvelles générations de politiciens sont à l’écoute de votre message?
Les grands politiciens sont tous
complices, chaque région, chaque territoire, tous les gouvernements du
monde sont alliés. Ce n’est pas juste au Brésil mais aussi aux
Etats-Unis, en Europe, partout.
Et de cette alliance provient
l’exploitation, ils veulent juste exploiter. Ils ne sont intéressés que
par la marchandise. Ils veulent juste s’accaparer, extirper les
richesses naturelles de la Terre.
Pour eux, nous ne sommes qu’un tout petit groupe d’individus.
Alors où est le problème? Est-ce seulement une question d’impératif économique ou est-ce un problème plus profond?
Pour les peuples indigènes il semble
que les autorités de tous les pays se sont égarées, ils sont sur
d’autres voies. Leur voie suit une politique de destruction de la nature
et de son sous-sol et l’extraction de minerais précieux, comme
l’uranium pour leurs machines de guerre.
Guidés par les Esprits
Quelles perspectives votre chamanisme vous offre-t-il dans ce combat entre la ville et la foret ?
Davi se penche vers la camera. Je vais vous parler du Shapiri Chamanique – les anciens esprits du chamanisme Yanomami.
Les Shapiri ne sont pas comme les
esprits des églises et des religions des Blancs, ils sont les esprits
lumineux de la forêt et de la Terre.
Mais il vous faut étudier pour
connaître les Shapiri. Vous devez passer un mois en Yaqoana, à attendre
que les esprits se rapprochent. Pendant cette période vous ne devez
presque pas manger et boire, et vous devez garder un silence absolu –
pas de bruit.
Après cela vous entrez dans une
phase de rêve, et quand cela commence les Shapiri arrivent dans la
lumière, et avec eux une grande maison. Et bien que les Shapiri soient
petits ils ont la force de transporter cette immense maison, qui semble
flotter dans l’air, comme la Lune.
C’est ainsi que nous apprenons des
esprits. Et il existe beaucoup d’autres peuples avec leurs propres
traditions de chamanisme. Mais vous devez souffrir pour être un chaman.
C’est processus long et difficile.
Cela sonne comme un cliché…
Pour des Occidentaux, entendre parler de
Yaqoana et de voyage dans le monde des esprits est devenu, au fil des
ans, une sorte de cliché. Un morceau simplifié de l’histoire des
« savoirs ancestraux » qui réduit les traditions en platitudes gravés
sur des bibelots pour magasins touristiques.
Le véritable chamanisme est totalement
interdit au Royaume-Uni – par le décret de 2005 “Drugs Act” qui
criminalise la cueillette et la consommation de champignons anglais
endémiques (magic mushrooms).
Davi, est-ce que le fait que le monde
moderne soit profondément aliéné du genre de chamanisme que vous
décrivez peut expliquer les problèmes qu’ont nos sociétés à cohabiter
avec la nature?
Nos anciens nous racontent qu’à la
création du monde, au début des temps, les non indien utilisaient aussi
le Yaqoana. Mais par la suite ils créèrent des écoles et oublièrent
leurs traditions. Les anciens disent que vos peuples, par le passé, se
sont perdus en chemin, mais qu’avant vous utilisiez les mêmes médecines
que nous, et qu’elles étaient importantes pour vous.
Et à mesure que vous perdiez vos
traditions, vous avez commencé à développer d’autres médecines, des
médecines qui n’étaient plus basées sur les forces de la Nature. Nous,
les Yanomami, sommes les derniers gardiens de ces traditions, dans les
profondeurs du Brésil, et nous essayons d’expliquer cela aux non-Indiens
afin qu’ils comprennent mieux.
La voie de la connaissance, de la Planète Terre.
Si vous venez dans mon village, vous
verriez ce que le chamanisme est vraiment. Vous comprendriez qu’il ne
s’agit pas d’être drogué. Cela n’a rien à voir.
Être un chaman vous permet d’accéder
à une grande lumière. A travers les esprits chamaniques vous découvrez
la voie de la connaissance, et de la Planète Terre. Nous avons gardé
cela et ne voulons pas le perdre. Grace à ce processus nous soignons les
femmes, les enfants et les anciens dans nos communautés, lorsqu’ils
tombent malade.
Et nous régulons les forces de la
Nature. Quand il fait trop chaud, qu’il pleut trop, ou qu’il y a trop de
vent, ou que la marée monte, nous les chamans veillons là-dessus, afin
que l’équilibre de l’univers se maintienne. Vous aviez ces
connaissances, dans le monde non-indien, mais vous les avez perdues.
Article original: http://www.theecologist.org/Interviews/2441048/ours_is_a_path_of_survival_for_the_whole_planet.html