Existe-t-il encore une liberté thérapeutique ?
Le coup de gueule d’une médecin spécialiste du cancer
Les études de médecine sont encore longues mais servent-elles encore à soigner ?
Non pas vraiment, d’ailleurs on vous démontrera que l’on peut
supprimer les docteurs dans beaucoup de taches et les remplacer par des
personnes ayant fait des études beaucoup plus courtes et
hyperspécialisées sans le background global qui faisait la différence.
On en revient aux « officiers de santé » moins chers à former et plus
obéissants et rapidement aux robots puisque nous devons et devrons de
plus en plus appliquer les traitements prescrits par les ordinateurs
dans lesquels vous aurez entré les données prévues par le logiciel (et
rien d’autre). Grand avantage pour les décideurs, les robots ne pensent
pas et ne donnent comme solutions que celles qu’on a autorisées dans la
machine.
Nous avons devant nous un grand combat pour effacer les méfaits de
quarante ans de pensée unique au service des intérêts commerciaux et
financiers qui manipulent la science.
Comme le démontre magistralement Stéphane Foucart dans La Fabrique du
mensonge1, la science a été « institutionnalisée » par les champions
toutes catégories en ce domaine, l’industrie du tabac, puis celles de
l’amiante, des pesticides, du pétrole, des médicaments, du climat, etc.
Big Tobacco, l’industrie du tabac, a constitué un vivier
d’individualités qui « sans nécessairement être corrompues prêtent une
plus haute attention aux intérêts industriels qu’à l’intérêt général ».
Ils ont créé des écuries « d’experts » selon leurs propres termes,
car Big Tobacco a compris dès les années 1950 « qu’en injectant de
l’argent dans la recherche, il obtiendrait des résultats qui lui
seraient plus favorables ». Big Tobacco avait bien rationalisé le
« funding effect » c’est-à-dire l’influence du financeur sur les
résultats et leur interprétation. « Aujourd’hui toute l’expertise
sanitaire est fondée sur des études financées voir conduites par les
industriels eux-mêmes. » Ce mécanisme pervers est devenu « une norme de
fonctionnement » dans tous les domaines de la science.
Ces analyses fondamentales ne nous éloignent pas du sujet de cet
article sur la liberté thérapeutique mais nous y ramènent au contraire
expliquant le pourquoi de cette privation de liberté des médecins et
donc des patients qui a détruit notre métier en quarante ans.
En effet, l’alliance médico-politico-financière a imposé le joug de
l’industrie pharmaceutique dans nos pratiques médicales conduisant à
entrer de plus en plus de patients dans les essais thérapeutiques, à
obéir aux recommandations thérapeutiques nationales et internationales
élaborées par des groupes de travail appliquant le dogme de la
« médecine par les preuves ».
Cette « évidence base medicine », élaborée par les mêmes groupes,
soumis à l’industrie ne reconnaît comme source scientifique que les
publications basées sur des essais cliniques randomisés (groupes tirés
au sort). Ces essais, pour être reconnus valables, reposent sur de
grands effectifs de patients et leur élaboration nécessitent des fonds
importants que seule l’industrie pharmaceutique possède.
Ainsi, la quadrature du cercle est complète. Big Pharma élabore et
subventionne les essais, publie ceux qui sont favorables à ses intérêts
et dissimule les autres. Sous prétexte de propriété intellectuelle, les
données et les résultats des essais lui appartiennent et dans aucun pays
la publication légale de tous les essais, quels que soient leurs
résultats n’a pu être obtenue.
Cette perversion fondamentale du système explique les scandales
meurtriers tels que celui du Vioxx qui fit près de 40 000 morts aux USA
par accidents cardiaques, car les problèmes cardiaques survenus lors des
essais avaient été soustraits des résultats lors des publications.
Mais truquer les informations en imposant la médecine par les preuves
comme source du savoir, réfuter l’expérience clinique et les études
« pilote », réalisées par les cliniciens sur leurs patients en étudiant
rigoureusement effets secondaires et résultats à long terme de schémas
thérapeutiques publiés, ne suffisait pas au pouvoir médico-industriel et
à ses lobbies.
Classées comme bas niveau de preuve par les « experts » appartenant
aux « écuries » des labos2, ces études sur lesquelles avaient reposé
tous les progrès en médecine jusqu’en 1985 environ ne furent
progressivement plus acceptées dans les revues dites de haut niveau
(dont les comités de lecture sont tenus par les mêmes) ni même en
communication dans les congrès scientifiques (eux aussi très largement
subventionnés par Big Pharma).
Entre 1990 et maintenant les congrès jadis scientifiques se
transformèrent en grande foire commerciale comme le Salon de
l’agriculture (avec les mêmes déviances) ou la Foire de Paris.
Ce nouveau système n’a pas apporté de progrès significatifs aux
malades ainsi que L’institut-Gustave Roussy vient de l’avouer lors de
son appel aux dons pour la cancérologie pédiatrique « devant l’absence
de progrès dans cette discipline depuis quinze ans » selon leurs propres
termes. C’est pourtant la volonté intransigeante – et on le voit tous
maintenant, injustifiée – d’imposer à tous les onco-pédiatres
l’inclusion de tous les enfants atteints de tumeurs solides dans des
essais (Sommel et rapport au Sénat 2000) qui explique la guerre contre
notre unité depuis trente ans. Nous souhaitions simplement ne pas
inclure les enfants dans les essais, lorsqu’il existait un traitement
éprouvé efficace. Crime de lèse-majesté !
Théoriquement nous aurions pu continuer à traiter nos patients avec
les anciens schémas éprouvés et efficaces, mais en plus de la
persécution des hérétiques au système condamnés à disparaître par
départs progressifs des générations plus âgées et refus de nomination de
jeunes qui n’accepteraient pas ses lois, l’industrie fit disparaître du
marché nombre de médicaments trop bon marché et les faisant remplacer
par de nouveaux dix fois plus chers et souvent plus toxiques. Surtout
les lobbies médico-industriels très efficaces au ministère parvinrent in
fine à interdire de fait la pratique traditionnelle des médecins selon
Hippocrate en leur âme et conscience, en fonction de l’état de la
science et uniquement pour le bien du malade.
Le totalitarisme en cancérologie érigé en loi (circulaire 2004, 2005 et décrets 2007)
Le plan cancer constitue le modèle du genre imposant à tous les mêmes
traitements, le plus souvent essais thérapeutiques à tous les malades
atteints de cancer. Un système totalitaire dont j’ai détaillé les
rouages dans Le Cancer, un fléau qui rapporte chez Michalon, février
2013.
Le plan cancer de conception autocrate, conçu par trois cancérologues
respectivement directeur de la fédération des centres anticancéreux,
des centres privés et de la collégiale des oncologues de l’APHP, mis en
place en 2003 fit naître, du fait du prince, l’institut national du
cancer (INCA) qui s’autoproclama grand chef de la cancérologie et pas
seulement de l’organisation mais aussi des traitements.
Ceux–ci sont transmis aux médecins sous forme de recommandations
nationales que doivent appliquer TOUS les centres traitant des cancers,
publics et privés . Pour être sûr qu’aucun malade n’échappera au système
monopolistique, les centres organisés obligatoirement en
« réseaux » seront accrédités par la Haute Autorité de Santé selon les
critères décidés par l’INCA, on reste entre soi et les conflits
d’intérêt à tous étages ne semblent gêner personne !
Si vous n’acceptez pas cet ukase, votre réseau n’est pas accrédité et
vous ne pouvez plus traiter de cancer. Les réunions pluridisciplinaires
de concertation sont obligatoires et chaque patient doit y être
« discuté ». De fait ces réunions se transforment en chambre
d’enregistrement dans laquelle chacun surveille l’autre afin qu’aucun
patient n’échappe à la décision collégiale conforme aux injonctions de
l’INCa de faire entrer le maximum de malades possibles dans les essais
thérapeutiques (cf. site de l’INCA).
Le réseau du traitement du cancer est déjà un réseau fermé dans
lesquels de plus les cancérologues n’ont ni accepté ni rejeté le
contrat. Il n’y en a pas eu : il s’agit d’un régime autocrate dont la
constitutionnalité reste à prouver, tant devant le Conseil d’état que
devant la Cour européenne. De fait, nous sommes dans une société
libérale et le « commerce » du cancer ne devrait pas pouvoir échapper
aux lois internationales sur la concurrence signée par la France. La
question méritera d’être posée.
En France la liberté de soigner les malades atteints de cancer
n’existe plus. On peut craindre que ce système ne s’étende rapidement à
l’ensemble de la profession médicale. Les psychiatres ont communiqué à
propos des injonctions thérapeutiques en matière d’autisme par exemple.
Il est grand temps que les médecins osent parler sans crainte, car sans
résistance ouverte à ce système dictatorial, c’est la fin de toute
médecine humaine qui se prépare. La reconstruire sera long et difficile.
Nicole Delepine, oncologue