« Je ne suis pas vaccinée, mais je suis en parfaite santé, et très rarement malade », sourit Ophélie, 14 ans, surprise de l’intérêt qu’elle suscite. Cette jeune sportive, championne départementale de tennis, ne se sent pas différente des autres élèves de troisième.
« Mes copines ne me parlent pas de vaccination. On n’aborde jamais le sujet », explique timidement l’adolescente. Pourtant, au collège Marcel-Gambier de Lisieux (Calvados), la plupart des élèves sont au courant de son histoire, car il y a dix ans, « l’affaire Bessin » a fait grand bruit.
A la naissance de sa fille, en 2000, Jacques Bessin, 43 ans, adepte du bio, pense que la vaccination est dangereuse, et refuse d’y soumettre Ophélie tant que les services de santé ne lui auront pas donné la garantie de l’innocuité des produits injectés. Impossible : les vaccins, comme les médicaments, peuvent déclencher des effets secondaires indésirables, et le risque zéro n’existe pas. A l’âge de 11 mois, Ophélie tombe malade. Une anorexie du nourrisson, qui la conduit pendant près de quatre mois à l’hôpital.
« Au lieu d’attendre qu’elle soit remise sur pied, la seule chose à laquelle pensait le pédiatre, c’était vacciner notre fille. Du grand n’importe quoi ! », se souvient Jacques Bessin, avec amertume. En France, les vaccinations contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP) sont obligatoires. Mais le père tient bon. Il a la loi de son côté, provisoirement. Rien n’oblige en effet à vacciner un enfant avant 18 mois. C’est lorsqu’Ophélie sort de l’hôpital que les évènements se précipitent. La justice, prévenue par le pédiatre, ordonne le placement de la fillette pour refus de vaccination et maltraitance.
Jacques Bessin panique. Il décide de cacher sa femme et sa fille chez un oncle, dans le centre de la France, jusqu’à ce que les soupçons de maltraitance soient levés, quelques jours plus tard. Mais les parents restent soumis à l’obligation vaccinale. Le Code de la santé publique prévoit 6 mois de prison et 3 750 euros d’amende à l’encontre de ceux qui s’y refusent.
La machine juridique est lancée. Jacques Bessin est bien décidé à se battre pour que sa fille ne soit pas vaccinée. Dès 2002, il peut se référer à la loi Kouchner, qui autorise le refus d’un acte médical. Il médiatise l’affaire et s’entoure d’experts, d’avocats, de médecins et d’associations. En 2005, après quatre ans de procédure, la juge des enfants de Caen décide d’un non-lieu et classe l’affaire. Ophélie ne sera jamais vaccinée. Valentin, son petit frère, non plus.
Jacques Bessin se rappelle cette période avec fierté, même s’il a beaucoup perdu.
« J’ai dû fermer mon commerce, déménager, et reprendre un poste à l’éducation nationale. Maintenant, je suis mis au placard à un poste d’accueil. » Le plus difficile ?
« Les soupçons de maltraitance. Je ne donnais même plus le bain à ma fille de peur que l’on m’accuse d’autre chose. » Pendant ces quatre ans, il se renseigne, s’appuie sur des documentaires comme «
Silence on vaccine« , et sur des ouvrages antivaccination écrits par des médecins. Peu à peu, il acquiert une réelle expertise et construit son argumentation. De ce fait, il refuse d’être taxé « d’antivaccin », et se voit comme un
« citoyen éclairé ».
Une attitude qui ne surprend pas le docteur Bourez, médecin dans l’Eure et membre du Syndicat des médecins généralistes :
« Je suis très souvent confronté à ces patients-experts, informés par internet. Le problème, c’est qu’ils mettent sur un pied d’égalité différentes sources d’informations, dont certaines ne sont absolument pas scientifiques ou reconnues. »
Depuis la fin du procès, Jacques Bessin milite pour la levée de l’obligation vaccinale. Devenu président de
l’Union nationale des associations citoyennes de santé, il se bat auprès de familles qui, comme lui, refusent de faire vacciner leurs enfants. Selon lui, elles seraient
« plus de 100 000″ à être dans l’illégalité,
et
« beaucoup trichent en falsifiant le carnet de santé », car pour toute entrée en collectivité, la vaccination DTP est obligatoire. Au ministère de la Santé, on minimise ce chiffre : d’après le dernier point de situation de l’Institut de veille sanitaire (InVS), au 30 juin 2014, 91,7% des enfants ont effectué l’ensemble du schéma vaccinal, c’est-à-dire ont reçu toutes les doses de vaccins DTP obligatoires.
Jacques Bessin milite également pour que la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques soit engagée lorsque de graves effets secondaires à la vaccination se déclarent. Il a par ailleurs lancé depuis peu une collecte de vaccins
« prescrits de force par les médecins » mais inutilisés.
« Pour dire au gouvernement : arrêtez de nous obliger à nous faire vacciner, on ne le fera pas et on vous le prouve », explique-t-il, amusé devant les dizaines de doses envoyées anonymement.
« A quarante euros le vaccin, il y en a pour plusieurs milliers d’euros, » souligne-t-il.
S’il est difficilement quantifiable, le « mouvement antivaccin » est une réalité et gagne du terrain, notamment sur internet, où les antivaccins donnent de la voix et s’organisent sur des dizaines de forums, sur des sites « éco-bio » et via des associations comme la
Ligue nationale pour la liberté des vaccinations. En France, selon les chiffres d’IMS Health, une entreprise qui fournit des études aux acteurs de la santé, la période 2008-2012 a vu les ventes
d’unités de vaccin chuter de 12% toutes catégories confondues, y compris pédiatriques, et jusqu’à 40% pour la rougeole. Et la défiance des Français à l’égard des vaccins ne cesserait de progresser. D’après un sondage BVA pour l’assurance-maladie, une personne sur cinq considère que
le vaccin contre la grippe est plus dangereux que le mal lui-même.
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