Les automates supprimeraient
3 millions d’emplois en France d’ici à 2025, selon une étude exclusive
de Roland Berger. Notre modèle social va devoir se réinventer.
Aux caisses des
supermarchés, dans les entrepôts, au chevet des malades à l’hôpital,
dans les cabinets d’avocats, au guichet de Pôle emploi… Ils sont
partout. Des robots qui assurent des tâches jusqu’ici dévolues aux
humains, au cœur d’une ville lambda, dans un futur proche. Certains
hommes décident d’apprendre à vivre avec, d’autres s’y opposent en
créant un mouvement extrême « 100 % humain ». Ce scénario, établi dans
la série suédoise Real Humans (Arte), pourrait devenir bien réel d’ici à dix ans. C’est ce que démontre le cabinet Roland Berger dans une étude dévoilée au JDD.
Son constat est édifiant :
avec 20% de tâches automatisés d’ici à 2025 – un scénario que l’étude
juge tout à fait probable – les robots mettraient sur le tapis plus de
3 millions de salariés en France. Agriculture, bâtiment, industrie,
hôtellerie, administration publique, comme l’armée et la police,
hôtellerie, services aux entreprises et aux particuliers… Tous les
secteurs perdraient des emplois, sauf l’éducation, la santé et la
culture. Le taux de chômage, en pertes brutes, s’élèverait à 18%. Seuls
500.000 postes seraient créés dans le domaine de l’environnement, des
nouvelles technologies, de la relation clients. Les tâches restantes
seraient très polarisées : d’une part, de la maintenance de robots, à
faible valeur ajoutée. D’autre part, des métiers très pointus, avec une
forte compétition au niveau mondial.
Après la mondialisation, le spectre de la robotisation
Cette nouvelle ère
sera-t-elle celle des « robots tueurs »? Pour Hakim El Karoui, associé
au cabinet Roland Berger, qui a piloté l’étude, « la robotisation
pourrait être aux cols blancs ce que la mondialisation fut aux cols
bleus ». « Elle va toucher les classes moyennes, y compris les classes
moyennes supérieures, souligne-t-il. C’est-à-dire certaines professions
intellectuelles, dont on va pouvoir automatiser certaines tâches, comme
les comptables, les juristes, les journalistes… La machine saura faire
sans l’homme à très court terme. »
VIN (Viticulture intelligente naturelle), le robot-vigneron. (Stéphane Audras/REA)
Avec des conséquences en
cascade sur l’économie française. Les robots assurant désormais les
tâches des humains, des gains de productivité seront dégagés : cela
permettra, selon l’étude, d’engranger 30 milliards d’euros de recettes
fiscales et d’économies budgétaires, et de dégager des investissements
privés de l’ordre de 30 milliards d’euros. Les entreprises
mobiliseraient, en outre, quelque 60 milliards pour s’automatiser. Bonne
nouvelle : ce bouleversement libérera également 13 milliards d’euros de
pouvoir d’achat, sous forme de redistribution de dividendes et de
baisse des prix.
Mais la population,
soumise à une inactivité forcée, pourra-t-elle réellement en profiter?
Charles-Édouard Bouée, PDG du cabinet et auteur de l’ouvrage Confucius
chez les automates*, prédit « une énorme déflagration économique ».
« Nous aurons plus de temps libre pour nos loisirs, mais moins de
travail », assure-t-il. Cet accroissement des inégalités pourrait
conduire, si rien n’est fait, à une explosion sociale. « Le numérique
crée peu de croissance – c’est la surprise de la décennie – et peu
d’emplois, complète Hakim El Karoui. Le système fiscal n’est pas adapté
pour prélever une partie de la richesse engendrée ; l’effet de
redistribution est donc très limité. C’est une industrie très
inégalitaire, même si tout le monde peut se lancer en partant de zéro. »
Exemple : l’application américaine de messagerie WhatsApp, qui pèse
19 milliards de dollars et emploie seulement 55 salariés… devenus millionnaires à coup de stock-options!
La presse et la musique, premières victimes
Les défis posés à notre
modèle social sont donc immenses. D’autant que la classe moyenne des
services représente le « cœur de la démocratie », précise Hakim El
Karoui. Selon lui, si on ne fait rien, la défiance envers les élites va
encore augmenter, avec des impacts politiques graves. Le numérique a
déjà remis en cause le modèle de la presse et de la musique. « On fait
comme s’il s’agissait de cas isolés, regrette-t-il. Il n’y a aucun débat
politique sur le sujet, alors qu’il faudrait anticiper, qualifier, dire
la vérité… Il faut créer un électrochoc dans l’opinion dès maintenant,
expliquer qu’un grand nombre de métiers seront potentiellement touchés.
Lorsqu’un élu perdra une entreprise du tertiaire, dans sa ville, à cause
des robots, il réagira peut-être. Mais ce sera trop tard. »