En Turquie, le pape veut opposer « la solidarité de tous les croyants » au fondamentalisme
Le Monde.fr |
Par Cécile Chambraud
Au premier jour de son voyage en Turquie, vendredi 28 novembre, le pape François a appelé à opposer « la solidarité de tous les croyants », sur la base du « respect de la vie humaine » et de « la liberté religieuse », « au fanatisme et au fondamentalisme, aux phobies irrationnelles qui encouragent incompréhensions et discriminations ».
Dans un discours prononcé peu après son arrivée à Ankara, en milieu de journée, en présence du président Recep Tayyip Erdogan, le chef de l’Eglise catholique a plaidé, dans ce pays à 98 % musulman, pour un « dialogue interreligieux et interculturel » qui permette de « bannir toute forme de fondamentalisme et de terrorisme, qui humilie gravement la dignité de tous les hommes et instrumentalise la religion ».« Nous ne pouvons nous résigner » aux conflits au Moyen-Orient
La guerre en Syrie et en Irak était au cœur du premier jour de ce voyage, qui aura aussi une dimension œcuménique avec la rencontre, samedi et dimanche, à Istanbul, avec le patriarche orthodoxe Bartholomée. Le pape a déploré les « guerres fratricides » qui ensanglantent le Moyen-Orient « depuis trop d’années, qui paraissent naître l’une de l’autre, comme si l’unique réponse possible à la guerre et à la violence devait toujours être une nouvelle guerre et une autre violence ». « Nous ne pouvons nous résigner à la continuation des conflits comme si une amélioration de la situation n’était pas possible ! », a lancé François.Devant le président turc, qui l’a accueilli dans l’immense – et controversé – palais présidentiel qu’il a fait construire, le pape a déploré qu’en Syrie et en Irak, « la violence terroriste ne semble pas s’apaiser. On enregistre la violation des lois humanitaires les plus élémentaires à l’encontre des prisonniers et de groupes ethniques entiers ». « Il y a eu, et il y a encore, de graves persécutions aux dépens de groupes minoritaires, spécialement – mais pas seulement – les chrétiens et les yézidis », a dénoncé le pape, qui, à plusieurs reprises ces derniers mois, a englobé ces conflits, et d’autres, sous l’expression « troisième guerre mondiale par morceaux ».
« Aider » la Turquie à accueillir les réfugiés
Une paix solide, a fait valoir le pape, ne peut se construire sans « respect des droits fondamentaux ». Dans un pays où les chrétiens sont aujourd’hui moins de 100 000, il a affirmé qu’à cette fin, « il est fondamental que les citoyens musulmans, juifs et chrétiens jouissent – tant dans les dispositions des lois que dans leur application concrète, des mêmes droits et respectent les mêmes devoirs ». C’est la seule manière, a lancé l’évêque de Rome, de « dépasser les préjugés et les fausses peurs ».François a demandé à la communauté internationale « d’aider » la Turquie à faire face à l’accueil sur son territoire de centaines de milliers de réfugiés syriens et irakiens. Mais il l’a aussi exhortée à ne pas se contenter de cela. Répétant qu’« il est licite d’arrêter l’agresseur injuste, cependant toujours dans le respect du droit international », il a affirmé qu’on ne pouvait « confier la résolution du problème à la seule réponse militaire ». Tout son propos consistait à affirmer qu’une paix durable ne pourrait s’instaurer sans « une rencontre de civilisations ».
« Communauté spirituelle » entre chrétiens et musulmans
Peu après, le pape a repris le thème de « l’importance » des « bonnes relations et du dialogue » entre chefs religieux en période de crise dans son second discours devant le président du conseil turc pour les affaires religieuses (Diyanet), Mehmet Görmez. Ces relations « représentent un message clair adressé aux communautés respectives, pour exprimer que le respect mutuel et l’amitié sont possibles, malgré les différences. Cette amitié () acquiert une signification spéciale et une importance supplémentaire en un temps de crises comme le nôtre, crises qui deviennent dans certaines régions du monde de véritables drames pour des populations entières. »Le chef de l’Eglise catholique a évoqué en termes très vifs la situation humanitaire « tragique » et « angoissante » en Irak et en Syrie, dénonçant les actes commis par le groupe Etat islamique, sans cependant prononcer son nom : « Une préoccupation particulière vient du fait que, surtout à cause d'un groupe extrémiste et fondamentaliste, des communautés entières, spécialement mais pas seulement les chrétiens et les yézidis, ont subi et souffrent encore des violences inhumaines à cause de leur identité ethnique et religieuse. Ils ont été chassés de force de leurs maisons, ils ont dû tout abandonner pour sauver leur vie et ne pas renier leur foi. La violence a frappé aussi des édifices sacrés, des monuments, des symboles religieux et le patrimoine culturel, comme si on voulait effacer toute trace, toute mémoire de l’autre. »
Le pape a affirmé que les « chefs religieux » ont à ses yeux « l’obligation de dénoncer toutes les violations de la dignité et des droits humains. La vie humaine, don de dieu créateur, possède un caractère sacré. Par conséquent, la violence qui cherche une justification religieuse mérite la plus forte condamnation. (…) Le monde attend, de la part de tous ceux qui prétendent l’adorer qu’ils soient des hommes et des femmes de paix, capables de vivre comme des frères et des sœurs, malgré les différences ethniques, religieuses, culturelles ou idéologiques. »
La sortie de ce type de conflit, a affirmé François, ne sera pas trouvée sans « la collaboration de toutes les parties : gouvernants, leaders politiques et religieux, représentants de la société civile, et tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté. » « Nous, musulmans et chrétiens », a lancé le pape, devons « reconnaître et développer cette communauté spirituelle ».
Discutant avant le pape François, le président Erdogan a dit « partager exactement les mêmes vues » que lui sur tous les sujets qu’ils avaient évoqués. Il a affirmé que cette visite du chef de l’Eglise catholique avait une importance « pour tout le monde musulman et chrétien ». M. Erdogan a dénoncé le développement, dans les pays occidentaux, d’une « haine islamophobe » et d’une « intolérance croissante vis-à-vis des musulmans », assimilant parfois « musulmans et terroristes ».