La semaine dernière, le célèbre journaliste John Pilger a participé à une série de Questions-Réponses avec Des Freedman (le 18 novembre 2014), membre de la Media Reform Coalition (coalition pour la réforme des média); c’était à l’occasion de la sortie du nouveau livre de Des Freedman «The Contradictions of Media Power» (les contradictions du pouvoir des médias.)
Nous avons extrait les
meilleures citations de cette intervention de John Pilger, ce qui donne
un aperçu de son expérience et de sa compréhension du pouvoir des médias
; nous pouvons tous en apprendre. Et il a véritablement été brillant.
« L’essence des médias n’est pas l’information. C’est le pouvoir. »
Aujourd’hui les médias sont, comme l’avait décrit le père de la propagande, Edward Bernays,
“un gouvernement invisible”. Ils font partie du gouvernement. Ils
défendent les intérêts du gouvernement. Le premier ministre est un
chargé de relation publique de profession, et pas des meilleurs. C’est
tout ce qu’il est. Il ne doit pas être pris au sérieux, c’est juste son
rôle. Cette position lui confère certains aspects du pouvoir. Mais le
véritable pouvoir réside dans la propagande et les médias. C’est
aujourd’hui le cas sur la planète entière.
Durant les prémices de l’invasion de
l’Irak, le journalisme a joué un rôle critique dans la concrétisation de
l’invasion. Particulièrement aux USA, qui ont – selon la constitution –
la presse la plus libre du monde.
Quand je discute de cela avec nombre de
collègues distingués aux Etats-Unis et ici, à la suite de l’invasion,
ils étaient unanimes, si les journalistes aux postes concernés, à la
télévision et dans les journaux (surtout à la télévision, à cause de son
pouvoir), si ils avaient contesté les mensonges, s’ils les avaient
confrontés, s’ils avaient fait ce qu’est censé faire un journaliste,
s’ils avaient, comme le dit Dan Rather de CBS – posé les questions
critiques, au lieu d’amplifier et de faire écho aux mensonges, s’ils
avaient fait leur travail, ils pensent tous que l’invasion n’aurait pas
eu lieu. Le fait qu’ils disent ça, et il s’agit de membres éminent des
médias des deux côtés de l’Atlantique, que si les journalistes avaient
fait leur travail, l’invasion aurait pu ne pas avoir lieu, et des
centaines de milliers de gens seraient encore vivant aujourd’hui. C’est
le véritable pouvoir des médias.
Vous travaillez au sein d’un système qui
est hostile à la vérité par nature. Je ne dis pas ça en tant que
satire, je le pense vraiment. Il est hostile à la vérité. Il suffit de
constater la réaction des médias face aux lanceurs d’alertes comme
Edward Snowden, Julian Assange. La réaction amère de ceux qui font honte
aux médias, tous en chœur.
Il y a ce qu’on appelle la censure par
omission. Vous ne discutez pas de ce que vous choisissez d’ignorer, mais
ça passe à la trappe.
Si vous remontez à 2008, les histoires sur BBC News, dans tous les journaux, les banques étaient soudainement des fraudes. Quand la Northern Rock s‘est effondrée, les banques étaient des escrocs, elles étaient toutes exposées. Le Guardian était rempli d’articles en forme de pierres tombales sur comment les banques étaient pourries de l’intérieur. C’était LA News.
Un aperçu. Cette histoire s’est
essoufflée après trois mois et totalement inversée, ce n’était plus les
banquiers, mais cela découlait en fait d’une dette nationale et d’une
histoire contrôlée qui était la et qui s’appelait austérité et cette
dette devait être payée. Pourquoi? Pourquoi devait-elle l’être? Les gens
que vous citez (46% des gens pensent que l’austérité va trop loin ou
n’est pas nécessaire) c’est une majorité. Si vous obtenez cela dans les
sondages, 46%, c’est une majorité. Cela prouve encore que la plupart des
gens ont cerné les médias. Ils les ont cerné, en terme de guerre,
d’économie, de mode de vie. Donc nous avons entrevu la vérité sur cette
criminalité massive, toute cette architecture pourrie s’était effondrée,
enfin presque. Les banques furent nationalisées, sans conditions. La
conscience des raisons pour lesquelles c’était arrivé, qui fut présente
pendant environ 6 mois, fut, grâce à un système de propagande très
efficace, totalement effacée. Ce n’était plus la faute des banques, mais
« nôtre faute ».
Nous devrions arrêter d’utiliser le
terme mainstream. C’est une appellation erronée. Nous en sommes toujours
à regarder à travers ce prisme qu’on appelle mainstream. Ce n’est pas
du tout mainstream. C’est en réalité extrême. Qu’y-a-t-il de plus
extrême qu’une multitude d’institutions qui propagent des guerres
illégales et voraces, des mensonges sur les politiques économiques.
Qu’y-a-t-il e plus extrême que cela? Il n’y a rien de mainstream
là-dedans.
Le plus grand institut de propagande, en Angleterre, c’est la BBC.
Et ce parce qu’il est le plus connu. Il bénéficie de la plus grande
crédibilité. Sa renommée est mondiale. Par certains aspects ça peut être
mérité. Dans le domaine de l’actualité et des affaires courantes, ça ne
l’est absolument pas. Et, encore une fois, ce n’est pas satirique. Donc
cette idée que l’on se concentre sur les démons, Murdoch, Le Daily Mail (assez mauvais)…d’une certaine façon le Mail et la BBC
se complètent l’un l’autre et se suivent… il s’agit de comprendre le
spectre de la propagande et la façon dont cela nous affecte.
Les journalistes doivent-ils représenter le peuple? Oui, bien sûr, mais comme l’a dit Martha Gelhorn:
« Tout journalisme doit se faire depuis la base, pas depuis le
sommet ». Ce n’est quasiment jamais le cas. Et c’est quelque chose qu’il
faut enseigner aux jeunes journalistes. Ces choses élémentaires que
vous faites, les sources d’informations les plus fiables, la manière de
chercher la vérité, doit se faire depuis la base. C’est mon expérience
en tant que reporter. Et j’ai été amené à me rendre compte que ceux qui
sont au-dessus de la base, particulièrement ceux d’en-haut, n’étaient
pas des sources fiables d’information.
Source: http://realfare.wordpress.com/2014/11/26/real-media-john-pilger-on-the-abc-of-media-power/