Un « message » des États-Unis à la France, à la manière du « Parrain » (Cercle des volontaires)
Un « message » des États-Unis à la France, à la manière du « Parrain »
    
     | 30 novembre, 2014 | Posté par Benji | 
                 
                        | 
Dans mes deux articles précédents, « Un accident bizarre qui en rappelle un autre » et « Un embarras TOTAL »,
 j’ai souligné les ressemblances entre les circonstances de la 
disparition d’Enrico Mattei, le PDG de la pétrolière nationale italienne
 ENI au début des années 1960, et celle de Christophe de Margerie, le 
PDG de TOTAL, survenue il y a un peu plus d’un mois à l’aéroport 
Vnoukovo de Moscou.
J’ai également démontré que les États-Unis étaient à l’origine de la 
première, et qu’il existait d’excellentes raisons de croire qu’ils 
étaient aussi à l’origine de la seconde. En effet, autant Mattei que de 
Margerie constituaient des menaces claires à leurs intérêts pétroliers 
et financiers, en plus de défier ouvertement leur hégémonie mondiale, et
 la menace posée par de Margerie était sans doute encore beaucoup plus 
existentielle que celle qu’avait posée Mattei, comme nous allons le voir
 un peu plus bas.
Mon intérêt pour cette affaire s’explique à la fois par les 
connaissances que j’ai acquises au cours de ma carrière au service de 
deux grandes multinationales du pétrole, ESSO (maintenant connue sous le
 nom d’Exxon Mobil), et Texaco (aujourd’hui intégrée à Chevron), et par 
celui que j’ai développé pour l’Empire Desmarais, à la tête du grand 
conglomérat financier canadien Power Corporation, associé au groupe 
belge Frère, les deux étant d’importants actionnaires de TOTAL par le 
truchement d’une structure suisse de coparticipation, Pargesa SA, 
constituée par leurs soins.
Au Québec, comme j’ai eu l’occasion de le démontrer dans deux 
ouvrages récents, Desmarais : la Dépossession tranquille, et Henri-Paul 
Rousseau, le siphonneur de la Caisse de dépôt parus respectivement à 
Montréal aux Éditions Michel Brûlé en 2012 et 2014, les visées de 
l’Empire Desmarais sur ces principaux leviers de développement que sont 
Hydro-Québec et la Caisse de dépôt et de placement sont carrément 
prédatrices et spoliatrices.
L’intérêt soulevé par mon second article (repris sur plus d’une 
vingtaine de sites dont vous trouverez les liens à la fin de celui-ci), 
et notamment en Europe, m’a convaincu de pousser plus loin mon enquête, 
en m’intéressant non pas tant aux circonstances de l’accident/attentat –
 aucun nouvel élément n’a été rapporté depuis deux ou trois semaines – 
qu’à la conjoncture géopolitique internationale dans laquelle il est 
survenu, à la place qu’y occupe le pétrole, au rôle qu’y joue TOTAL, et à
 celui qu’y jouait son PDG Christophe de Margerie jusqu’à son décès.
La conjoncture géopolitique actuelle est l’une des plus tendues 
depuis la fin de la guerre froide. Alors que les États-Unis croyaient 
être parvenus, au tournant des années 1990, avec la chute du mur de 
Berlin et la dislocation de l’URSS, à asseoir leur domination sur le 
monde, les voici aux prises avec une concurrence nouvelle animée non 
plus par la recherche d’une confrontation entre deux idéologies 
(capitalisme et communisme), mais plutôt par la vision pluripolaire des 
puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) 
réunies dans le BRICS, et opposées à toute forme d’inféodation, 
politique, économique ou culturelle.
À cette menace politique se rajoute le spectre d’un important déclin 
économique qui ne ferait qu’amplifier la première. En effet, s’étant 
rendus compte au début des années 1980 que leur structure de coûts de 
production était de moins en moins concurrentielle, les États-Unis 
poursuivent depuis lors une politique de libéralisation systématique des
 échanges commerciaux internationaux dont les effets les plus pervers 
ont été la désindustrialisation de leur économie et un appauvrissement 
collectif qui se manifeste dans la disparition rapide de leur classe 
moyenne.
Les bénéfices escomptés de la financiarisation de leur économie ne 
sont pas au rendez-vous. Non seulement alimente-t-elle une 
multiplication de bulles spéculatives qui finissent toutes par éclater 
éventuellement, mais il n’existe aucun mécanisme de redistribution de la
 maigre richesse qu’elle crée, et le fossé des inégalités sociales en 
train de se creuser constitue une menace sérieuse à leur stabilité 
politique à moyen et long terme.
L’absence de croissance économique réelle se reflète dans leur degré 
d’endettement qui se situe désormais parmi les pires du monde développé,
 et ils sont de plus en plus tentés par des aventures militaires 
hasardeuses dont ils pensent qu’ils pourraient sortir à la fois 
vainqueurs sur le plan politique, et renforcés sur le plan économique. 
 Leur situation se complique dès qu’on y introduit la donnée pétrole dont ils ont longtemps contrôlé le marché.
Au début des années 1970, contraints par l’essoufflement budgétaire 
causé par leur engagement au Vietnam de renoncer à l’obligation qu’ils 
avaient acceptée, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, de garantir 
la convertibilité de leur dollar en or au taux fixe de 35 $ l’once dans 
le but de relancer l’économie internationale qu’ils étaient bien placés 
pour dominer, et désireux d’asseoir leur hégémonie économique sur des 
bases encore plus solides, ils concluent une entente avec la monarchie 
régnante en Arabie Saoudite en vertu de laquelle celle-ci, devenue le 
plus important producteur de pétrole, s’engagera à exiger le paiement de
 toutes ses livraisons en dollars US, en contrepartie d’une garantie par
 les États-Unis de la défendre contre toute agression militaire.
C’est le début du règne du pétrodollar. L’or noir se substitue très 
rapidement à l’or métal comme référence dans toutes les transactions 
internationales, et les deux parties à cette entente vont en profiter 
immensément pendant une quarantaine d’années.
Au cours de la dernière année, certains événements sont survenus, 
certains connus, d’autres non, qui ont amené l’Arabie Saoudite à 
remettre en question son soutien jusque là indéfectible aux États-Unis 
et au dollar US. Le résultat se reflète ces jours-ci dans la baisse du 
cours du pétrole. Au moment d’écrire ces lignes, il a perdu près de 40 %
 de sa valeur depuis juin dernier. Vendredi, et, aujourd’hui le cours du
 WTI est passé sous la barre des 65 $ $ US alors que le Brent se situe 
légèrement au-dessus de 70 $.
Un analyste américain allait même jusqu’à prédire ces jours derniers qu’il pourrait même descendre jusqu’à 35 $ l’an prochain si les pays membres de l’OPEP ne parvenaient pas à s’entendre sur une réduction de leurs quotas de production.
Combinés à la remise en question du statut du dollar comme monnaie de
 réserve mondiale depuis quelques années et aux gestes concrets posés en
 ce sens par la Russie, la Chine, l’Iran, et quelques autres depuis un 
an, il est clair que ces événements marquent pour les États-Unis le 
commencement de la fin de leur hégémonie mondiale. Ils ont toutefois 
tellement à y perdre qu’ils vont tenter par tous les moyens de maintenir
 leur emprise, et l’Affaire de Margerie constitue une bonne indication 
des moyens qu’ils sont prêts à prendre pour éviter le sort qui les 
attend.
En effet, de Margerie était le PDG de TOTAL, seule entreprise non 
américaine avec BP à figurer au nombre des « majors » de l’industrie. BP
 est une entreprise britannique qui a perdu le peu d’indépendance qui 
lui restait dans la foulée de l’explosion survenue à l’été 2010 sur la 
plate-forme Deep Horizon dans le Golfe du Mexique, et de la catastrophe 
environnementale qui s’est ensuivie. Sous haute surveillance des 
autorités américaines en raison de l’importance des dommages encore non 
liquidés, l’entreprise est désormais dirigée par un Américain.
En raison de son histoire très complexe et des fusions dont elle est 
issue, TOTAL fait bande à part. Très tôt, elle a été présente au 
Moyen-Orient, notamment en Irak, en Afrique du Nord, et en Afrique 
Équatoriale. Très tôt, son intérêt stratégique pour la France l’a amené à
 développer un réseau parallèle de renseignement qui a très bien servi 
les intérêts de la France, ce qui l’a mise à l’abri des remontrances de 
l’État lorsqu’elle s’engageait dans des coups fourrés, comme ce fut le 
cas en Iran, en Irak et en Libye au cours des dernières années.
Ainsi, on apprenait encore ces derniers jours que TOTAL avait accepté
 de verser 400 millions $ US en guise de pénalité pour avoir enfreint 
l’embargo des États-Unis contre l’Iran au début des années 2000, au 
détriment de l’américaine Conoco. Voici comment Libération présentait 
les faits dans son édition du 26 novembre :
Total sera jugé pour « corruption » en marge de contrats en Iran
Le groupe français Total sera jugé en correctionnelle pour 
« corruption d’agents publics étrangers » en marge de contrats 
pétroliers et gaziers conclus en Iran dans les années 1990.
Son ancien PDG, Christophe de Margerie, avait également été renvoyé 
pour ce même chef le 15 octobre, a indiqué mardi à l’AFP une source 
judiciaire, confirmant une information de Charlie Hebdo. Mais les 
poursuites le concernant se sont terminées avec son décès quelques jours
 plus tard à Moscou.
Cette enquête ancienne porte sur un peu plus de 30 millions de 
dollars qui auraient été versés à partir d’octobre 2000 en marge de deux
 contrats du géant français en lien avec l’Iran dans les années 1990, 
sur fond d’embargo américain.
Le principal contrat, d’une valeur de 2 milliards de dollars, avait 
été conclu le 28 septembre 1997 avec la société pétrolière nationale 
iranienne NIOC et concernait l’exploitation – par une coentreprise 
réunissant Total, le russe Gazprom et le malaisien Petronas – d’une 
partie du champ gazier de South Pars au large de l’Iran, dans le Golfe. 
Washington avait menacé les pétroliers de sanctions pour ces 
investissements.
Le second contrat visé par l’enquête avait été conclu le 14 juillet 
1997 entre Total et la société Baston Limited. Il était lié à un 
important accord conclu deux ans plus tôt, le 13 juillet 1995, pour 
l’exploitation des champs pétroliers iraniens de Sirri A et E, également
 dans le Golfe.
Total avait alors bénéficié du retrait de l’Américain Conoco, 
contraint de céder la place après que l’administration Clinton eut 
décrété un embargo total sur l’Iran.
Dans l’enquête ouverte en France fin 2006, Christophe de Margerie 
avait été mis en examen en 2007 par l’ancien juge d’instruction Philippe
 Courroye pour « corruption d’agents publics étrangers » et « abus de 
biens sociaux ». M. de Margerie était à l’époque des faits directeur 
pour le Moyen-Orient du géant français.
 « Réels problèmes juridiques » –
 « Réels problèmes juridiques » –
Les juges d’instruction ont finalement ordonné en octobre le renvoi 
en correctionnelle de Total et de Christophe de Margerie pour les faits 
de « corruption d’agents publics étrangers », selon la source. Ils n’ont
 pas retenu l’abus de biens sociaux contre le patron du groupe.
Christophe de Margerie a péri dans la nuit du 20 au 21 octobre quand 
son Falcon a percuté un chasse-neige au décollage à l’aéroport Vnoukovo 
de Moscou.
Deux intermédiaires iraniens sont également renvoyés pour 
complicité : l’homme d’affaires et lobbyiste Bijan Dadfar, qui 
travaillait pour Baston Limited, et Abbas Yazdi, un consultant 
pétrolier.
Interrogé sur cette affaire en juin 2013, alors que le parquet de 
Paris venait de requérir son renvoi et celui de Total, Christophe de 
Margerie avait réfuté les accusations de versement « de pots-de-vin » ou
 de « rétrocommissions » : « ce que nous avons fait dans les années 90 
était effectivement conforme à la loi », avait-il déclaré au Grand Jury 
RTL/Le Figaro/LCI.
Sollicité par l’AFP, l’avocat de Total, Me Daniel Soulez-Larivière, a
 estimé mardi que ce dossier posait « de réels problèmes juridiques ».
D’une part parce que les contrats sont antérieurs à l’entrée en 
vigueur en France en 2000 de la convention de l’Organisation de 
coopération et de développement économiques (OCDE) prohibant la 
corruption d’agents publics étrangers.
D’autre part parce que, visé par des poursuites aux Etats-Unis pour 
ces contrats, Total a accepté en 2013 de transiger pour clore la 
procédure, moyennant le versement de près de 400 millions de dollars. 
Or, selon la règle dite du « non bis in idem », nul ne peut être 
poursuivi ou puni plusieurs fois pour les mêmes faits, relève l’avocat.
Première entreprise de l’Hexagone par les bénéfices et deuxième par 
la capitalisation boursière, Total avait bénéficié en juillet 2013 d’une
 relaxe dans le procès « pétrole contre nourriture ». Mais le parquet a 
fait appel de cette décision.
L’invocation de la règle « non bis idem idem » paraît un argument 
bien faiblard à l’avocat québécois que je suis dans la mesure où les 
faits reprochés à TOTAL tombent sous le coup des lois de deux pays 
différents, qu’ils ne sont pas de même nature dans les deux pays, et 
qu’aux États-Unis, un règlement négocié est intervenu sans qu’un 
jugement de culpabilité n’ait été prononcé. Mais bon, je ne prétends pas
 connaître le droit français.
Source et nombreux liens connexes sur Reseauinternational.net