Si l’on en croit les réactions dont font état les agences de presse,
la planète a presque à l’unanimité salué comme une « décision
historique » l’annonce du rétablissement des relations diplomatiques
entre Washington et La Havane. Les Cubains n’ont pas manqué de se
réjouir des perspectives qu’ouvrait cette annonce. Mais la nouvelle n’a
pas eu la même tonalité aux États-Unis et à Cuba.
Pour les Cubains, le premier motif de réjouissance a été la
libération de trois hommes qui avaient été arrêtés en septembre 1998 et
condamnés à de longues peines de prison aux États-Unis au terme de
procès truffés d’irrégularités. Les appels n’avaient rien changé à leur
condamnation. Leur seul délit était d’avoir infiltré des groupes
anticastristes afin de déjouer des attentats à Cuba, des attentats qui
ont fait plus de 3000 morts depuis 1960 et qui ont été commandités et
planifiés depuis le territoire des États-Unis. Un vaste mouvement
international s’était formé il y a plus de dix ans pour réclamer leur
libération. Deux camarades arrêtés en même temps qu’eux avaient recouvré
leur liberté récemment après avoir purgé toute leur peine. Ces cinq
Cubains étaient considérés à Cuba comme des « héros » et leur libération
était une priorité nationale. Le retour de Geraldo, Ramón et Antonio y a
été célébré comme une victoire. C’est d’ailleurs en annonçant leur
retour que Raúl Castro a ouvert son discours à la nation.
Dans un discours parallèle, Barack Obama a parlé de la nécessité d’adopter une « nouvelle approche ». Il a qualifié comme « dépassée » la
politique suivie à l’égard de Cuba, comme un vestige de la guerre
froide. Après tout, a-t-il rappelé, les États-Unis entretiennent des
relations avec la Chine communiste et avec le Vietnam. Et d’annoncer une
série de mesures visant à la normalisation des relations avec l’île,
dont la plus importante sera la réouverture de l’ambassade des
États-Unis à La Havane, fermée depuis janvier 1961. D’autres gestes
seront posés qui faciliteront les échanges de tous ordres entre les deux
pays et qui pourraient aboutir, si le Congrès emboîte le pas, à la
levée de l’embargo décrété en 1962.
Il y avait plusieurs mois que se multipliaient aux États-Unis les
signaux en faveur d’un changement de cap. Tous les sondages révélaient
qu’une majorité des citoyens souhaitait la levée de l’embargo. Les
dirigeants de grandes sociétés et certaines de leurs organisations
s’élevaient contre une politique qui les excluait du marché cubain. Le New York Times a
publié récemment trois éditoriaux collectifs rappelant au public à quel
point la politique d’hostilité avait échoué à induire un changement de
régime à La Havane et avait isolé Washington face à la communauté
internationale. Chaque année depuis 1992, les États-Unis voyaient une
majorité de pays voter une résolution cubaine dénonçant le blocus. À
nouveau cette année ils furent les seuls avec Israël à voter contre la
résolution. Et les pays d’Amérique latine avaient décidé d’inviter Cuba
au Sommet des Amériques qui se tiendra à Panama en avril prochain. La
position de Washington était devenue indéfendable.
Les États-Unis s’étaient placés depuis un demi-siècle du mauvais côté
de l’histoire. Le gouvernement Obama a eu le courage d’engager une
rupture. Le moment était opportun, à un mois de l’entrée en fonction du
nouveau Congrès, à deux ans de son retrait de la vie publique. Cuba lui
fournissait l’occasion d’amorcer un virage indispensable et de marquer
sa présidence.
L’objectif à Cuba, a rappelé Raúl Castro, demeure inchangé : « construire un socialisme prospère et durable ». « Nous devons apprendre l’art de coexister, de façon civilisée, avec nos différences » qui
concernent la souveraineté nationale, la démocratie, les droits de la
personne, la politique étrangère. Cuba sait que le blocus ne disparaîtra
pas du jour au lendemain. Au moins n’est-il plus présenté par la
Maison-Blanche comme un levier pour imposer le changement à Cuba. De
même, Barack Obama prend ses distances à l’endroit des actions
clandestines qui ont visé le même objectif depuis cinq décennies. Rien
n’indique cependant que les États-Unis ont renoncé à induire ce
changement par d’autres moyens. Ils croient que le soft power pourrait
réussir là où l’usage de la force a échoué. C’est, à mon avis, la
raison qui guide ce qui n’est au fond qu’un changement de stratégie.
Claude Morin – Professeur honoraire, Université de Montréal