Le revenu de base inconditionnel ou l’opportunité d’un nouveau paradigme
Magali Corpataux (AGILE.CH) : En quoi le RBI est-il révolutionnaire?
C’est tout d’abord son aspect inconditionnel, à trois niveaux, qui
est intéressant: il est individuel, c’est-à-dire non lié à la
composition du foyer; il est indépendant du niveau de revenu puisqu’il
intervient en amont de toute autre rentrée d’argent et ne dépend
d’aucune capacité, ou incapacité, à générer ce revenu. Enfin, il n’exige
aucune contrepartie.
La récolte de signatures a été un succès. Surprenant, sachant que l’initiative n’est portée par aucun parti traditionnel?
La récolte a été essentiellement virale, via les réseaux sociaux
notamment. Le fait qu’elle n’ait été orchestrée par aucune formation
politique a évité les débats partisans. Par sa simplicité et son
envergure, la proposition séduit un large public: elle dessine un monde à
venir qui fait envie à beaucoup de gens, notamment aux plus jeunes.
Le RBI répond-il mieux que notre filet social actuel aux risques sociaux du XXIe siècle?
Absolument. Le RBI répond enfin à la seule question réellement
adéquate, c’est-à-dire «Comment compense-t-on la perte de gains des
individus?» et pas «Est-il divorcé, malade ou handicapé?»
En quoi le RBI est-il une solution digne pour les personnes en situation de handicap?
Premièrement, par le régime commun qu’il instaure. Il met les
personnes avec et sans handicap sur un pied d’égalité. Plus besoin de
demander, justifier, argumenter médicalement pour obtenir une rente AI,
par exemple. Soit dit en passant, on a connu mieux, en termes d’estime
de soi, que l’expression même d’assurance invalidité. Deuxièmement, les
nombreuses personnes qui ont légitimement besoin d’aide mais n’entament
aujourd’hui pas de démarches – trop compliquées, trop humiliantes –
recevront elles aussi ce RBI. A ce titre, le RBI est un pas essentiel
vers l’inclusion. Troisièmement, l’AI est un système dépassé à plusieurs
égards, notamment pour les personnes malades psychiquement. Si ces
dernières connaissent souvent un rétablissement total, le chemin vers la
guérison n’est pas un long fleuve tranquille. Aux épisodes de crise
succèdent des périodes de stabilité durant lesquelles un emploi est tout
à fait possible. Or, l’AI n’est pas pensé pour répondre à cette
configuration.
Le RBI ne tend-il pas la perche aux employeurs peu pressés
d’embaucher des personnes en situation de handicap? Il sera facile
d’invoquer cette allocation pour renoncer à tout aménagement en faveur
d’employés handicapés.
Eh bien disons que si les patrons solidaires se pressaient au
portillon actuellement, on discuterait (rires)! Plus sérieusement, les
employeurs préfèrent depuis longtemps payer leurs charges sociales
qu’intégrer des personnes handicapées. Actuellement, avec le chômage de
masse, il est illusoire d’imaginer une amélioration probante de la
situation de ces personnes sur le marché du travail. Marché du travail
qui, rappelons-le, porte aujourd’hui particulièrement mal son nom. Comme
tout marché, il est censé répondre aux lois de l’offre et de la
demande: or, il n’a jamais été aussi asymétrique, entre des employés qui
ont désespérément besoin d’un emploi pour vivre et des employeurs en
position de force qui peuvent se permettre de choisir dans un vivier
inépuisable! Actuellement, on fait appel à la responsabilisation de gens
qui n’ont pas le choix. A ce titre, la garantie d’un revenu
inconditionnel est un réel empowerment pour tout être humain – qu’il
soit en bonne santé ou pas!
«Le travail fut sa vie» a longtemps fait figure d’hommage posthume suprême. Terminée, la valeur sacrée du travail?
Le RBI ne concerne que l’emploi salarié, qui n’est qu’une infime
partie de ce qu’on appelle travail! Je conçois que pour beaucoup,
l’emploi salarié jouisse d’un statut de légitimité absolue comme moyen
d’assurer sa subsistance. Pour ceux-là, percevoir un revenu sans se
plier à cette norme est inenvisageable. Pourtant, cette hégémonie du
salariat est assez récente dans l’Histoire. En redonnant à chacun le
choix d’un emploi salarié, le RBI redonne au contraire toute son aura au
travail dans son sens le plus noble. C’est un concept qui libère
totalement la notion de travail.
Certains considèrent le RBI comme une alternative au modèle capitaliste en déroute…
Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. Le RBI, en soi, ne
porte aucun modèle sociétal! Il propose simplement de sortir du salariat
traditionnel – et le moment est opportun: si on est au bout de quelque
chose, c’est bien des longues carrières, de l’unique métier appris à
quinze ans pratiqué dans une même entreprise durant cinq décennies!
Révolu également, le modèle familial à la figure paternelle pourvoyant
aux besoins de Madame et de leurs 2.5 enfants durant 60 ans de vie
commune. Or, combien de familles monoparentales ou recomposées se
retrouvent dans la pauvreté, notamment parce que la femme a consacré des
années à l’éducation des enfants et qu’elle n’est plus – ou
difficilement – réintégrable sur le marché du travail? Clairement, le
RBI répond à ce genre de contexte ; au-delà, il n’y a aucun modèle
«voulu» par le RBI.
A quel coût est estimé le RBI? Y a-t-il des pistes pour son financement?
Le coût dépendra évidemment du montant retenu pour la rente, mais si
on reste sur la piste de 2500 francs par adulte et le quart par enfant,
on évoque quelque 200 milliards soit le tiers du PIB: les richesses
nécessaires sont donc là. Attention à ne pas l’envisager comme «une
politique à 200 milliards»: il s’agit d’une redistribution des cartes!
Des transferts importants vont par exemple s’effectuer, notamment de
l’AVS et l’AI vers le RBI. Le mode de financement devra être décidé par
le parlement.
Où en sont les réflexions des partis sur ce thème?
Aucun parti ne soutient officiellement l’initiative, même si au sein
des formations, certaines personnalités y sont favorables. Quelques
groupes écologiques ont signifié leur intérêt.
Question subsidiaire: on vote demain. Quel argument massue assénez-vous aux indécis?
Aïe! Difficile de n’en donner qu’un, chacun étant sensible à des
arguments différents. Mais soit: j’aimerais vraiment dire à quel point
le RBI est une solution pragmatique – et pas du tout utopique comme on
le prétend souvent. Aujourd’hui, le revenu de base garanti existe,
puisque d’une manière ou d’une autre la constitution veille à ce que
chacun dispose du minimum existentiel. Toutefois, cette garantie-là
intervient a posteriori. Le RBI l’offre a priori. Avec un intérêt
majeur: la façon dont on attribue la richesse compte ici autant que la
richesse elle-même. Jusque-là, on a procuré la sécurité de façon
aliénante. Le RBI, lui, est définitivement un outil de liberté et de
dignité.
Pour aller plus loin:
- www.bien.ch, Basic Income Earth Network– Switzerland. On y trouve notamment le blog de Julien Dubouchet Corthay
- www.inconditionnel.ch, site du comité d’initiative
- www.rbi-oui.ch