Prise entre le marteau US et l’enclume russe, et ne sachant que faire de ses Mistral, la France pleurniche
Résumé des épisodes précédents : selon les contrats en
vigueur, la France est tenue de livrer le premier vaisseau Mistral ;
sous les pressions US, Paris reporte la livraison ; la Russie insiste
pour que la France honore le contrat, ou s’acquitte des pénalités
contractuellement prévues. Et Paris se plaint de ce qu’il s’agirait là de menaces injustes de la part de la Russie.
Ceux qui suivent les alertes internet concernant le sujet en question
(et il a sa propre communauté, de partisans comme d’opposants) ont
immédiatement réagi lorsque l’identification octroyée par le MMSI (l’administration des identifications de navires à la mer)
a changé, désignant le navire non plus comme un bâtiment de « France »,
mais de « Russie ». Instantanément, les spéculations se sont déchaînées
sans modération.
Le groupe des « pour » jubilait, quoique de façon mesurée,
considérant que ce n’était que le résultat logique auquel il fallait
s’attendre.
Après tout, le contrat avait été signé dans un cadre tout à fait
légal, et avait même été salué comme marquant la fin de la pratique
russe consistant à acheter systématiquement du matériel « de seconde
zone » manufacturé par une entreprise d’État, désuet dès la livraison et
techniquement déclassé.
Plus récemment, la question est devenue l’os à ronger des États-Unis.
Ceux-ci ont vu la suspension de la livraison comme une victoire
politique, victoire qu’Obama et l’Amérique attendaient si désespérément.
En effet l’image de cette dernière en tant que « presseur de bouton »
imperturbable, à même de réaliser n’importe quoi n’importe où, s’était
trouvée quelque peu écornée depuis quelque temps.
Pour cette raison, le camp du « contre » était hors de lui.
La conversion du code d’identification (MMSI) français en son
équivalent russe n’est probablement qu’une formalité requise pour la
mise en condition légale de navigabilité du navire, comme l’indique la Direction des Constructions navales, propriétaire des chantiers navals de Saint-Nazaire, d’où est sorti le VLADIVOSTOK.
Mais cela n’a pas vraiment calmé les ardeurs de ceux qui pensent que
les vaisseaux achetés légalement par la Russie, et pour lesquels elle a
dûment rempli ses obligations contractuelles, devraient être retenus à
quai afin de « donner une leçon à Poutine », même si la « preuve » de
l’« ingérence » russe en Ukraine s’est révélée, depuis lors, avoir été
forgée de toutes pièces d’une façon qui apparaît de plus en plus comme
le comble du ridicule. À tel point que le conseil ukrainien NSDC,
dénonçant récemment la présence russe, a fait état
de l’existence d’une colonne de blindés et d’artillerie en déplacement…
qui s’est révélée n’être autre qu’une de ses propres colonnes, tout ce
qu’il y a d’ukrainienne.
D’aucuns avancent que le département d’État US tient le
gouvernement français « par la peau du dos », le harcelant
quotidiennement pour qu’il ne cède pas, insistant pour qu’il suspende la
livraison du VLADIVOSTOK et de son jumeau, et allant même jusqu’à
suggérer des alternatives assez surprenantes, comme l’achat par l’OTAN
de ces deux vaisseaux, pour son usage propre.
Ma foi, oui, ce serait une bonne affaire pour la France, n’est-ce
pas ? Elle pourrait d’un côté recevoir de l’argent de l’OTAN (enfin
peut-être…) et de l’autre rembourser les Russes, tant des avances qu’ils
ont versées que de la plus grosse part des pénalités dues pour rupture
du contrat.
L’OTAN récupèrerait deux vaisseaux conçus spécifiquement pour la
marine russe, ce qui impliquerait, si elle voulait les rendre
opérationnels et utilisables pour son usage à elle, de coûteuses et
longues adaptations.
Je suppose que lorsqu’on se raccroche à l’illusion de disposer de
lignes de crédit illimitées (grâce à la maîtrise de la monnaie
fiduciaire servant de réserve mondiale), le sens commun en matière
financière commence à ressembler à une matière visqueuse, du genre de
celle qui s’échappe du cerveau et se répand sur l’oreiller quand on dort
trop longtemps.
Tout le pathétique de la situation tient dans une saynète que l’on peut voir sur Yahoo, où le Premier ministre français fait le coq en
clamant que la France « ne se laisse dicter sa conduite par personne »,
pour faire suite aux avertissements par lesquels la Russie a fait
savoir qu’elle exigera des compensations, si la France ne livre pas à la
date prévue.
La parodie suit de près la comédie, puisque l’article soutient que
l’intention de Moscou de récupérer la « marchandise » pour laquelle elle
a passé contrat et qu’elle a dûment payée, est en fait une façon
d’« enfoncer le coin entre la France et ses alliés », et qu’elle agit en
sachant parfaitement que si la France manque de livrer les vaisseaux,
cela pourrait nuire à sa réputation. Foutus Ruscoffs… !
Oui, Moscou devrait tenir compte de l’image de la France. Après tout,
par le passé, celle-ci s’est toujours comportée en fidèle défenseur de
l’image de la Russie. Retourner sa veste fait partie du jeu, et faire
preuve de prudence ne saurait faire de mal. Forest Gump aurait sûrement pour cela une de ces phrases dont il a le secret.
Lorsqu’on a signé un contrat stipulant que le fournisseur s’engage à
concevoir et réaliser un vaisseau conforme à toutes les exigences de
l’art, et que l’on s’est mis d’accord sur une date réaliste de
livraison, il est clair comme du cristal que le vaisseau commandé doit
être achevé, jusqu’au dernier rivet et au dernier câble d’acier.
Il est clair également que c’est uniquement sous l’influence
extérieure du département d’État américain (qui devient de plus en plus
le méchant du film, et d’une façon qui restera dans les annales) que la
finalisation de la transaction est suspendue, et que les motifs invoqués
pour agir ainsi sont purement politiques, et fondés sur des preuves
artificielles.
Et pourtant, aussi incroyable que cela paraisse, la France aurait
maintenant le sentiment que son cocontractant fait preuve de dureté à
son égard en exigeant d’elle qu’elle remplisse sa part du marché.
À quel niveau de décadence et de corruption le système de valeurs de
l’Ouest est-il descendu ! Est-il possible de couler davantage : il y a
lieu de s’interroger.
Car l’on peut vraiment se demander si l’absolue déchéance est encore loin…
Mark ChapmanTraduit par Geoffrey, relu par Goklayeh
Source : Caught Between US and Russian Pressure Over Mistral Warships, France Whines (Russia-insider.com, anglais, 24-11-2014)
Pour approfondir sur le sujet de ces contrats
- En reportant sine die la livraison des Mistral, la France fait preuve d’une couardise déshonorante (vineyardsaker.fr, français, 26-09-2014)
- Le limerick du jour : Mistral (vineyardsaker, français, 08-09-2014)
- Mistral perdant : la honte d’être français (vineyardsaker, français, 04-09-2014)
- Le limerick du jour : Saint-Nazaire (vineyardsaker, français, 04-09-2014)
- Ce n’est pas seulement le Mistral qui est visé par les USA, mais le Rafale (vineyardsaker, français, 23-07-2014)
- Livraison des Mistral à la Russie : un enjeu de souveraineté nationale pour la France (vineyardsaker, français, 22-07-2014)