mercredi 24 décembre 2014

Santé : c’est la privatisation qui coûte cher (Marianne)

Noam Ambrourousi*

Pour Noam Ambrourousi, haut-fonctionnaire et membre de la commission Santé du Parti de gauche, l'objectif du gouvernement de réduire "les dépenses de l'assurance maladie de 10 milliards d’euros sur trois ans" est "absurde". "Ce n'est pas le périmètre de l'Assurance maladie qu'il faut réduire, écrit-il, mais bien celui du secteur privé" car "le gaspillage est le fait de la privatisation croissante du secteur de la santé".


POUZET/SIPA
POUZET/SIPA
Le plan d'économie de 50 milliards d’euros, annoncé par le Premier ministre au mois d'avril 2014, fixe un objectif de réduction des dépenses de l'assurance maladie de 10 milliards d’euros sur trois ans. Ceci se traduit dès aujourd'hui dans le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale avec, pour la seule branche maladie, un objectif d'économies fixé à 3,2 milliards d’euros.

Pour justifier de telles mesures, les tenants de l’austérité invoquent le coût élevé de notre système de santé, n’hésitant pas, à l’image du député PS Pascal Terrasse, à promouvoir un retrait de l’Assurance maladie au profit des complémentaires santé.

De telles mesures sont absurdes : ce n'est pas le périmètre de l'Assurance maladie qu'il faut réduire mais bien celui du secteur privé. En effet, le gaspillage est le fait de la privatisation croissante du secteur de la santé.

La France se situe, dans le groupe de tête, avec l'Allemagne et les Pays-Bas, en matière de dépenses de santé rapportées au PIB (autour de 12 %), bien loin cependant des Etats-Unis (plus de 17 % du PIB). Toutefois, si l'on compare le niveau de dépense par habitant, celui-ci n'apparaît pas particulièrement élevé, contrairement à ce qui est affirmé. Il n'en reste pas moins que s'il existe des dépenses inutiles, il convient de les identifier afin que ces montants puissent être utilisés pour améliorer l'état de santé de nos concitoyens, qui n'est pas particulièrement reluisant (augmentation des inégalités de santé, diminution de l'espérance de vie en bonne santé...).

Or, une analyse objective conduit à la conclusion suivante : les dépenses de santé inutiles sont très majoritairement la conséquence de la mise de notre système de santé au service d'acteurs privés, dont le poids ne cesse de s'accroître.

Parmi les dépenses superflues dont le seul but est d'assurer les rentes d'intérêts particuliers, on peut citer les dépenses de médicaments et les dépassements d'honoraires. On consomme en France plus de médicaments et souvent des médicaments plus coûteux que dans les autres pays de l'Union européenne. Ceci est le résultat du lobbying intensif des laboratoires pharmaceutiques qui, selon un rapport de l'IGAS, consacrent plus de 25 000 euros par an et par médecin généraliste, à la promotion du médicament. La création d'un pôle public du médicament ainsi qu'une formation continue de qualité et indépendante, destinée aux prescripteurs, constituerait un moyen de réduire ces dépenses inutiles.

S'agissant des dépassements d'honoraires pratiqués par les professionnels de santé libéraux, ceux-ci représentaient en 2012 plus de 7 milliards d’euros. Au-delà de ces milliards dépensés en pure perte, de telles pratiques favorisent le renoncement aux soins ainsi que l'augmentation du coût des complémentaires santé.

Le système « libéral » de notre médecine de ville engendre également de nombreux surcoûts. Responsable, du fait de la liberté d’installation, de l'apparition de véritables déserts médicaux, il provoque également une multiplication d'actes inutiles et favorise les dépassements d'honoraires dans les zones surdotées. Le paiement à l'acte possède de plus un caractère inflationniste. Par ailleurs, l'existence de déserts médicaux, les dépassements d'honoraires et les difficultés d'imposer des obligations de service public au secteur de la médecine de ville, entraînent le développement de pathologies lourdes et contribuent à la désorganisation des services d’urgence de l'hôpital public, qui sont obligés de prendre en charge des personnes relevant de la médecine de ville. La création de centres de santé publics où les médecins seraient salariés (comme ils le sont par exemple au Royaume-Uni) éviteraient tous ces surcoûts, pour le plus grand bénéfice de la santé de nos concitoyens.

Autre vecteur de dépenses inutiles et d'accroissement des inégalités : le recul continu de l'Assurance maladie au profit des complémentaires santé. Depuis 1980, la part des dépenses de santé prises en charge par l'Assurance maladie n’a cessé de reculer, au profit des complémentaires santé. En ne considérant que les soins courants, ce sont seulement 55 % des dépenses qui sont couvertes par l’Assurance maladie. Cette coexistence entre Assurance maladie et complémentaires santé est non seulement porteuse d'inégalités mais elle engendre de plus des surcoûts, les dossiers étant traités deux fois avec, pour les complémentaires santé, des frais de gestion bien supérieurs à ceux de l’Assurance maladie. Le remboursement des soins à 100 % par l’Assurance maladie permettrait donc d’en finir avec le renoncement aux soins et contribuerait à réduire significativement les coûts de gestion.

A travers ces exemples, on voit donc que c’est la privatisation du système de santé qui favorise le gaspillage, au détriment de la santé de nos concitoyens. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les pays dont le système de santé repose le plus sur le financement public offrent les soins les moins coûteux et les plus efficaces.

Si le recul de la dépense publique en matière de santé permet de satisfaire l'appétit des investisseurs privés, une telle politique est en revanche nocive pour la collectivité, qui paiera de plus en plus cher pour des soins de plus en plus médiocres. Encore une fois, ce gouvernement sacrifie l’intérêt général au profit d’un intérêt très particulier, celui du capital.
 
* Noam Ambrourousi, haut-fonctionnaire, membre de la commission Santé du Parti de gauche.