L’armée française grince des dents. Du grade le plus humble à celui le plus élevé, celle que l’on surnomme « Grande Muette » n’en finit plus de gronder. Partout, on déplore un manque de moyens de plus en plus problématique. Sur ce sujet, nous avons recueilli le témoignage édifiant de « François Fier »*, Commandant de l’Armée française en opération extérieure.
Cercle des Volontaires : vous nous avez
contacté pour tirer la sonnette d’alarme concernant l’Armée française.
Quel est l’état actuel des forces françaises ?
François Fier : le bilan est le suivant : le constat
est alarmant. Nos forces françaises fonctionnent en flux tendu, sur le
fil du rasoir au niveau du matériel, avec un manque d’approvisionnement
chronique, et surtout un manque d’équipements. Le paiement des soldes de
nos soldats s’effectuent avec des retards de plusieurs mois. En cause,
le logiciel « Louvois », qui gère également le paiement aux
fournisseurs de l’Armée. Du coup, cela entraîne aussi un problème au
niveau des fournitures, de l’armement, car beaucoup d’entreprises, dont
des entreprises d’armement, ne sont pas payées. Ceci est un petit point
de détail important ! La situation est donc la suivante : nos soldats se
retrouvent sur le terrain avec une pénurie d’équipements. Nos soldats
vont en opération avec des Rangers trouées, avec des rations de combat
périmées, et des « appuis-feux » durant vingt minutes. Au-delà de ce
laps de temps, ils sont en pénurie complète, et donc ne disposent pas
d’une couverture aérienne adéquate pour les couvrir en cas de pépins et
d’accrochages.
CdV : Les soldats français n’ont ni le
matériel, ni les appuis aériens nécessaires pour mener à bien leurs
missions, si je comprends bien. Est-ce un phénomène accidentel, ou bien
est-ce un problème structurel ?
FF : C’est quelque chose de structurel, nous avions
déjà constaté ce phénomène en Yougoslavie, en Afghanistan… En
Yougoslavie, nos troupes ont du régulièrement aller « s’approvisionner »
chez nos vois alliés… En Afghanistan, on a eu de telles pénuries que
nos soldats ont été obligés d’aller piquer du papier toilette à nos amis
américains… C’est quand-même symptomatique d’une situation gravissime !
CdV : Si l’Armée française a de moins en moins de moyens, c’est peut-être parce qu’elle est de moins en moins sollicitée ?
FF : Au contraire, la France est de plus en plus
engagée à l’étranger, dans des missions de plus en plus périlleuses et
de plus en plus longues. Prenez le conflit afghan, par exemple : nos
dernières troupes, officiellement, ont quitté l’Afghanistan il y a plus
d’un an, nos autorités l’ont crié haut et fort. En réalité, les derniers
soldats français viennent de partir il y a quelques jours ; soit 13
années d’engagement militaire.
CdV : Quels sont les autres théâtres d’opération, actuellement, de l’Armée française ?
FF : Officiellement, nous avons 8 000 soldats en « opex »
[opérations extérieures, ndj], dont 5 000 soldats au Mali et ailleurs
au Sahel. Nous avons également des soldats engagés dans différentes
missions d’opérations de « maintien de la paix » menées par l’OTAN et
par l’ONU, en ex-Yougoslavie, au Liban également, et dans d’autres pays.
CdV : En Centrafrique également ?
FF : Tout-à-fait. C’est la même situation. Je tiens à
signaler que nos musées militaires sont en train de fermer, ou d’être
revendus au secteur privé. Ceci est très grave, car ces musées servaient
à financer les hôpitaux militaires de nos soldats en opex, ainsi que la
prise en charge des blessés.
CdV : Vous souhaitez donc envoyer un signal d’alerte face à cette situation ?
FF : C’est même un cri d’alarme que je lance ! C’est
simple : si nos troupes françaises doivent faire face à une grosse
offensive dans le sud Sahel au Mali, menée avec du matériel lourd, nous
n’aurons pas assez de matériel pour la repousser (bien que notre
matériel soit plus moderne que celui des combattants adverses). Je
tiens à dire que nos soldats sont extraordinaires. Ce sont des hommes
courageux, qui se battent dans des conditions extrêmement difficiles.
Lorsque des drames surviennent, comme en Afghanistan, où un soldat a
perdu la vie justement à cause de manque de matériel, parce qu’on
n’avait pas assez d’hélicoptères pour protéger nos gars. On a retrouvé
nos gars obligés de se défendre au couteau, comme au plus vieux temps.
Oui, vous avez bien lu, au couteau ! Je trouve ça lamentable.
CdV : Effectivement, la situation est dramatique…
FF : Imaginez le désarroi de nos camarades, quand on
sait que les femmes de nos camarades se retrouvent elles-aussi dans des
situations dramatiques, quand nos soldats ne sont pas payés pendant des
mois, partis en opération extérieure. Certaines femmes en sont venues à
défiler seins nus, pour revendiquer les salaires de leurs maris, car
elles n’avaient même pas de quoi subvenir aux besoins élémentaires de
leurs familles (nourriture, loyer, électricité, …). Comment voulez-vous
que nos soldats aient l’esprit serein ?
CdV : Ce manque de moyens fait-il courir «
seulement » le risque à l’armée française de perdre des batailles, ou
bien peut-il également nous conduire à perdre des guerres ?
FF : Perdre des batailles, très certainement, oui,
mais cela peut également nous conduire à perdre des guerres.
Souvenez-vous de la bataille de Dien Bien Phu. Le soldat
français fera toujours tout son possible pour soutenir son camarade et
son compagnon de combat. Le problème, c’est que l’opinion publique ne
voit pas à quel point nos conditions de « travail » sont déplorables.
Nos politiques, eux, sont parfaitement au courant. Leur comportement est
criminel dans cette affaire, car ils détériorent sciemment nos
conditions de vie et nos conditions d’opération sur le terrain.
CdV : Comment expliquez-vous que, d’un côté,
les politiques allouent de moins en moins de budget au Ministère de la
Défense, et que d’un autre côté, ils vous sollicitent de plus en plus ?
FF : Le dernier recours pour exister en tant que
Nation, c’est d’envoyer son armée en opération à l’extérieur du pays.
L’image de la France est véhiculée par son armée, son soldat « Mc Gyver
», touche-à-tout du combat… Le soldat français est connue pour tenir le
choc. Quelle que soit la situation, on a montré, dans notre histoire (et
on le montrera encore à l’avenir), même lâchés par nos politiques, nous
serons toujours capables de tenir nos positions.
CdV : Une dernière question, plus politique :
ne pensez-vous pas que les missions qu’on vous demande d’accomplir
démontrent que les politiciens français, les décideurs français sont
aujourd’hui sous influence étrangère ?
FF : tout-à-fait. Ils sont sous l’influence des
détenteurs de grands capitaux, des grands industriels étrangers, et de
gens issus de la philosophie de bas-étage…
Propos recueillis par Raphaël Berland, pour le Cercle des Volontaires* Le nom a été modifié