samedi 3 janvier 2015

Le gouvernement ukrainien prépare des mesures d’austérité extrêmes [WSWS] (Les moutons enragés)

Par David Levine
27 décembre 2014

Plus tôt ce mois-ci, le premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk a présenté le nouveau programme économique de son gouvernement pour 2015-2020 à la Verkhovna Rada, le parlement du pays. Les législateurs ont adopté le programme le jour même.
Le programme propose de mettre en œuvre des politiques d’austérité extrêmes dictées par le Fonds monétaire international (FMI) et autres créanciers internationaux. Dans ses remarques devant le Parlement, Iatseniouk a affirmé que «Personne ne nous aidera gratuitement. Afin d’obtenir de l’aide, nous devons effectuer les mêmes réformes difficiles dont nous avons parlé pendant les élections.»
Selon le premier ministre, l’Ukraine a reçu en 2014 «un total de 9 milliards de dollars en aide financière du FMI, de la Banque mondiale et autres institutions financières, mais dans l’ensemble a dépensé 14 milliards de dollars pour le service de ses dettes. Nous aurons besoin de plus de 15 milliards de dollars l’an prochain», a-t-il souligné.
Dans le programme récemment dévoilé, «la débureaucratisation, la décentralisation, la déréglementation et la responsabilisation» sont déclarées comme les principes directeurs de la politique de l’État. Les objectifs de cette dernière comprennent le doublement du volume des exportations en 2019, «la privatisation à grande échelle des biens de l’État dans les conditions économiques appropriées», la «démonopolisation de l’économie», la «capitalisation des banques d’État», la «restructuration financière de Naftogaz, l’entreprise d’État de pétrole et de gaz», la restructuration du système judiciaire, la réforme des forces de l’ordre et des efforts pour atteindre «l’indépendance énergétique».
Globalement, le budget de l’État doit être réduit en deux ans d’une somme équivalente à 10 % du produit intérieur brut du pays. La plupart des compressions seront effectuées dans le secteur dit social. Il s’agit notamment de la mise à pied de 10 % des employés du secteur public du pays et la privatisation partielle des soins de santé et de l’éducation. Le marché des produits pharmaceutiques doit être déréglementé. Ce qui reste des subventions et des contrôles sur les prix du gaz et de l’électricité, les avantages sociaux dits «inefficaces» et les pensions dites «spéciales» doivent être supprimés.
Le directeur de Naftogaz, Andriy Kobolev, a déclaré que l’élimination des contrôles sur les prix conduira à une augmentation du prix du gaz de trois à cinq fois pour les consommateurs et celle-ci viendra s’ajouter aux grandes hausses de prix dans les services publics déjà mises en œuvre cette année.
Une «réforme» à grande échelle de l’industrie du charbon sera entreprise, comprenant la fermeture définitive de 32 mines non rentables et la fermeture temporaire de 24 autres, ainsi que la privatisation de 37 autres de 2015 à 2019.
Dans le même temps, un certain nombre de taxes et d’organismes réglementant l’activité des entreprises seront abolis. Les impôts sur les bénéfices et sur les petites et moyennes entreprises seront réduits.
Iatseniouk a grondé la population à l’avance d’oser exprimer la moindre opposition à son programme. «Ne pleurez pas. N’ayez pas peur et ne demandez rien», a-t-il déclaré. Le programme est si extrême que certains membres de l’opposition parlementaire et même un membre du parti au pouvoir l’ont qualifié de «génocidaire».
Au moment même où il procède à une razzia sur les conditions de vie des populations déjà pauvres de l’Ukraine, le régime de Kiev augmente ses dépenses militaires et policières, qu’il prévoit porter à l’équivalent de 5 % du produit intérieur brut (PIB). Le gouvernement a dit qu’il renoncera à son statut de «pays non aligné» et cherchera à «se conformer aux normes de l’OTAN».
Parallèlement à la militarisation de la société ukrainienne, le gouvernement encourage le nationalisme et un certain nombre de politiques de maintien de l’ordre visant à attiser les sentiments de droite et à écraser toute dissidence. Un nouveau bureau des enquêtes de l’État doit être créé et on prévoit construire un mur de sécurité le long de la frontière russe. Des classes d’«éducation patriotique nationale» deviendront une composante obligatoire des programmes éducatifs scolaires.
Des «instructions» de 120 pages du gouvernement produites par le ministère des Finances et largement diffusées sur Internet ont révélé certaines des mesures d’austérité plus spécifiques actuellement à l’étude. Il s’agit notamment d’amendements constitutionnels faisant passer de onze à neuf le nombre d’années d’éducation gratuite et de scolarité obligatoire, l’abolition des garanties constitutionnelles des droits à l’éducation et aux soins de santé gratuits, et la réduction du nombre des députés de 450 à 150.
Les autres «réformes» législatives proposées comprennent l’augmentation de l’âge de la retraite à 65 ans pour les deux sexes et la fermeture d’établissements d’enseignement et de bibliothèques. Les prestations sociales devant être abolies comprennent les repas gratuits pour les enfants à l’école et les patients hospitalisés, les traitements en camp de santé gratuits pour les enfants, l’accès gratuit dans les centres jeunesse de sport, la plupart des bourses financées par l’État et les coûts réduits pour les étudiants et les enseignants dans les transports en commun. L’indexation des salaires des travailleurs du secteur public sur l’inflation doit être suspendue. Le contrôle des prix sur les médicaments doit être supprimé.
De nombreuses prestations sociales doivent être «monnayées» – c’est-à-dire que les avantages en nature doivent être remplacés par des subventions de trésorerie qui seront à la traîne de l’inflation. Les prestations sociales aux mères célibataires et à diverses catégories de retraités doivent être «révisées». Les pensions pour travailleurs retraités doivent être réduites de jusqu’à 90 %, et le moratoire sur l’indexation au taux d’inflation des prestations de retraite va se prolonger indéfiniment.
Les avantages pour les victimes de la catastrophe de Tchernobyl de 1986 seront coupés et les limites de la zone de danger radioactive officiellement désignée seront révisées. Les militaires ne recevront plus de prestations au logement et pour l’achat d’une habitation ou d’uniformes et l’État ne paiera plus les employeurs pour conserver les emplois des travailleurs conscrits.
Le document du ministère des Finances recommande également que le nombre d’heures de temps de classe des enseignants passe de 18 à 20 heures par semaine en 2015, puis à 25 heures par semaine en 2016. Le Syndicat des travailleurs de l’Éducation et de la Science d’Ukraine a publié une lettre ouverte au président Petro Porochenko l’avertissant que cette mesure se traduirait par la mise à pied d’environ 100 000 enseignants en 2015-2016. Une partie importante des autres travailleurs de l’éducation du pays perdront également leur emploi dans les années à venir.
Le parlement devait examiner un budget du Ministère de Finances basé sur ces recommandations le 23 décembre. Selon le projet actuellement à l’étude, environ 400 écoles comptant un faible nombre d’étudiants doivent être fermées en zones rurales. Les dépenses en éducation doivent être sabrées d’environ 20 %, tandis que les dépenses en soins de santé doivent être réduites d’environ 40 %. L’étendue réelle des compressions pourrait être encore plus grande en raison du taux d’inflation très élevé du pays.
Le budget de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine (ANSU) sera également réduit de 25 %. Le président syndical de l’ANSU, Anatoly Shirokov, a noté que l’académie est actuellement financée à seulement 65 % de son exigence minimale, et que les scientifiques «ne pourront tout simplement pas être en mesure de survivre aux réductions de financement proposées».
Le politicien ukrainien Volodymyr Oliynyk, un ancien membre du parlement et allié de l’ex-président Viktor Ianoukovitch, a commenté que les politiques d’austérité proposées vont inévitablement conduire à une «explosion sociale».
Déjà des manifestations ont eu lieu à propos des arriérés de salaires que connaissent différentes sections de travailleurs. Dans la ville de Ternopil en Ukraine occidentale, les enseignants ont organisé une manifestation le 4 décembre pour dénoncer le défaut des autorités de payer les salaires et les primes qui leur sont dues. Les autorités provinciales de Ternopil ont expliqué par la suite qu’elles n’ont pas les fonds pour payer les salaires dus aux enseignants.
Les enseignants ont également protesté la semaine dernière à Ivano-Frankivsk contre les réductions proposées. Les travailleurs des transports publics de Kiev se sont mis en grève au même moment, exigeant le paiement des arriérés de salaires. Des protestations d’étudiants et de professeurs universitaires étaient prévues pour le 23 décembre à Kiev.
L’urgentiste de Kiev Ihor Khlobov a confié à Vesti, «Ils nous versent certes nos salaires, mais en partie seulement, et pas tous à la fois. Ils promettent de payer tous les salaires avant la fin de l’année.» Khlobov a expliqué que les travailleurs des services médicaux d’urgence sont souvent mis à l’amende par leur employeur, par exemple, lorsque leur ambulance prend plus de 10 minutes pour atteindre sa destination.
(Article paru d’abord en anglais le 23 décembre 2014)
Source : WSWS