Le président de Syrie a été interrogé par « Foreign Affairs » , une émanation du très influent « Council on Foreign Relations » (CFR). Les questions elles-mêmes mériteraient d'être analysées tant elles sont révélatrices de la mentalité dominatrice et égocentrique américaine. Mais tel n'est pas le sujet de cette traduction.

Voici, ci-dessous, l'essentiel de cette passionnante interview, qui, me semble-t-il, n'est parue nulle part en français. La dureté des questions pourrait surprendre, mais elles permettent au président syrien de démasquer la propagande hostile qui sert de justification à la guerre en désignant les pays qui ne veulent pas que la conférence de Moscou aboutisse. La France est citée en tête de ces pays. C'est sans doute la raison pour laquelle les médias français sont si discrets sur la position de Damas. Le fait que le Council on Foreign Relations ait, quant à lui, réalisé cette interview, démontrerait peut-être que la position des USA vis-à-vis du régime syrien aurait tendance à être moins obtuse ces derniers temps? Washington semblant s'être finalement rangé à l'idée de la conférence de Moscou...

Suite aux attentats islamistes qui ont précédé Noël et à ceux de Paris en janvier, la France est directement impactée par la guerre au Proche-Orient et notamment en Syrie. C'est pourquoi il est si important pour nous Français de connaître les véritables responsables de cette guerre. Parce que les responsables de la guerre en Syrie sont également les premiers responsables des attentats islamistes en France. Bachar el Assad apporte des réponses catégoriques à ce sujet.

Cette interview a été réalisée le 20 janvier dernier par Jonathan Tepperman, rédacteur en chef de Foreign Affairs, alors que le conflit syrien dure maintenant depuis prés de cinq ans. Plus de 200 000 personnes ont été tuées, un million de blessés, et plus de trois millions de Syriens ont fui le pays, selon l'ONU.

A noter que tout au long de cette interview, il n'est jamais question de « Daesh » pour désigner l'État Islamique ; Daesh est une pure invention journalistique française, afin de ne pas employer le terme « islamique ». Ce fait a d'ailleurs été avoué par certains journalistes. C'est le fruit d'une concertation entre les journalistes du système. Il est donc préférable de ne pas rentrer dans ce jeu malsain et artificiel. Car il se poursuit même si depuis les attentats de Paris les autorités françaises se sont vues dans l'obligation d'appeler un chat, un chat et des attentats islamistes, des attentats islamistes.

Ne pensez-vous pas que cette guerre se terminera militairement?

Non, toute guerre se terminera par une solution politique.

Votre pays est de plus en plus divisé en trois : un mini État contrôlé par le gouvernement, un contrôlé par l'EI et Jabhat al-Nusra, et un contrôlé par l'opposition sunnite et kurde plus laïque. Comment pourrez-vous jamais rassemblé la Syrie de nouveau ?

Tout d'abord, cette image n'est pas exacte, parce qu'on ne peut pas parler de mini-Etats sans parler des gens qui vivent dans ces États. Le peuple syrien est toujours uni en Syrie ; il soutient encore le gouvernement. Les factions se déplacent d'un endroit à un autre, elles ne sont pas stables, il n'y a pas de lignes claires de séparation entre les différentes forces. Parfois, elles se mêlent les uns avec les autres. Mais la question principale concerne la population. La population soutient toujours l'Etat indépendamment du fait qu'elle le soutienne politiquement ou non ; Je veux dire qu'elle soutient l'État en tant que représentant de l'unité de la Syrie. (...)

Si vous alliez à Damas actuellement, vous pourriez voir les différentes, disons, couleurs de notre société qui vivent ensemble. Ainsi, les divisions en Syrie ne sont pas sectaires ou ethniques. Et même dans la région kurde dont vous parlez, nous avons deux couleurs différentes: nous avons plus d' Arabes que de Kurdes. Donc la question ne porte pas sur l'appartenance ethnique, mais sur les factions qui contrôlent certaines zones militairement.

Il y a un an, l'opposition et les gouvernements étrangers ont insisté pour que vous démissionniez comme condition préalable à des négociations. Ce n'est plus le cas. Les diplomates sont maintenant à la recherche d'un règlement provisoire qui permettrait de vous conserver un rôle. Encore aujourd'hui, le New York Times a publié un article qui parlait de soutien accru des États-Unis pour les initiatives de paix russes et de l'ONU. L'article fait référence à une « retraite tranquille de l'Ouest et de ses exigences sur la démission immédiate du président de Syrie. » Compte tenu de ce changement dans l'attitude de l'Ouest, vous êtes maintenant plus ouvert à une solution négociée au conflit qui mènerait à une transition politique?

Dès le début, nous étions ouverts. Nous nous sommes engagés dans un dialogue avec toutes les parties en Syrie. (...) aussi longtemps qu'on parle d'un problème national, tout Syrien doit avoir son mot à dire. Lorsqu'il est question de dialogue, ce n' est pas entre le gouvernement et l'opposition ; c'est entre les différentes parties et entités syriennes. Voilà comment nous regardons dialogue. C'est le premier point. Deuxièmement, quelle que soit la solution qu'on veuille, à la fin, il faut retourner au peuple par voie de référendum ; lorsqu'on parle de la constitution, de la modification du système politique, peu importe. On doit retourner au peuple syrien. Donc, s'engager dans un dialogue n'est pas la même chose que prendre des décisions..

Donc, vous dites que vous seriez d'accord avec n'importe quel type de transition politique sauf s'il n'y a pas de référendum pour le soutenir ?

Exactement. Le peuple doit trancher, pas quelqu'un d'autre. « On doit séparer le national et les marionnettes d'autres pays ».

Est-ce que cela signifie qu'il n'y a pas de place pour les négociations?

Non, nous allons aller en Russie, nous irons à ces négociations, mais il y a une autre question: avec qui allons-nous négocier ? En tant que gouvernement, nous avons des institutions, nous avons une armée, et nous avons une influence, positive ou négative, dans n' importe quelle direction, à tout moment. Tandis que les gens avec qui nous allons négocier, qui représentent-ils? C'est la vraie question. Quand vous parlez de l'opposition, cela doit avoir un sens. L'opposition a en général des représentants dans l'administration locale, au Parlement, dans les institutions ; elle doit avoir des fondements pour représenter en son nom. Dans la crise actuelle, vous devez poser des questions sur l'influence de l'opposition sur le terrain.

Vous devez revenir à ce que les rebelles ont annoncé publiquement, quand ils ont dit à plusieurs reprises que l'opposition ne les représentent pas ; ils n'ont aucune influence. Si vous voulez parler de dialogue fructueux, cela va se passer entre le gouvernement et les rebelles. C'est un autre point: opposition signifie nationale ; cela signifie travailler pour les intérêts du peuple syrien. Cela ne peut pas être une opposition s'il s'agit d'une marionnette du Qatar ou de l'Arabie saoudite ou ne importe quel pays occidental, y compris les États-Unis. L'opposition doit être syrienne. Nous avons une opposition nationale. Je ne le nie pas. Je ne dis pas que toute opposition n' est pas légitime. Mais on doit séparer le national et les marionnettes. Tout dialogue n'est pas fructueux.

Est-ce que cela signifie que vous ne voudriez pas rencontrer les forces de l'opposition qui sont soutenues par les pays du dehors?

Nous allons rencontrer tout le monde. Nous ne posons pas de conditions.

Pas de conditions?

Pas de conditions.

Vous souhaitez rencontrer tout le monde?

Oui, nous allons rencontrer tout le monde. Mais il faudra demander à chacun d'entre eux : Qui représentez-vous? C'est ce que je veux dire.

Si je ne me trompe, le député représentant de l'ONU Staffan de Mistura est maintenant en Syrie. Il propose comme mesure provisoire un cessez-le-feu et un gel à Alep. Accepteriez-vous cela?

Oui bien sûr. Nous avons facilité la mission à laquelle de Mistura a été affecté. Nous l'avons introduit dans une autre ville appelée Homs, une autre grande ville. Nous avons arrangé cela à des échelles plus petites dans différents, disons, banlieues, villages, et ainsi de suite, et il a réussi. Donc, l'idée est très bonne, mais cela dépend des détails. De Mistura est venu en Syrie avec des titres. Nous nous sommes entendus sur certains titres, et maintenant nous attendons de lui un plan détaillé ou un calendrier. Nous discutons de cela avec son adjoint.

Dans le passé, vous avez insisté, comme condition préalable à un cessez-le-feu, pour que les rebelles déposent les armes en premier lieu, ce qui, évidemment, de leur point de vue était voué à l'échec. Est-ce toujours votre condition?

Nous choisissons différents scénarios ou différents rapprochements. Dans certaines régions, nous leur avons permis de quitter les zones habitées afin d'éviter des victimes parmi les civils. Ils ont quitté ces zones avec leurs armements. Dans d'autres régions, ils ont abandonné leurs armements et ils sont partis. Cela dépend de ce qu'ils offrent et de ce qu'on leur propose.(...)

Êtes-vous optimiste sur les négociations de Moscou?

Ce qui va se passer à Moscou ce ne sont pas des négociations sur la solution ; ce ne sont que les préparatifs de la conférence.

Alors des négociations sur les négociations?

Exactement! Il s'agit de préparer les pourparlers. Ainsi, lorsqu'on commence à parler de la conférence, il s'agit des mises au point de la conférence? Je vais revenir au même point. Permettez-moi d'être franc: certains groupes sont des marionnettes, comme je le disais, d'autres pays. Ils doivent mettre en œuvre leur programme, et je sais que de nombreux pays, comme la France, par exemple, n'ont pas intérêt à faire réussir cette conférence. Alors, ils vont leur donner des ordres pour la faire échouer. Certaines personnes ne représentent qu'elles-mêmes ; elles ne représentent personne en Syrie. Certaines d'entre elles n'ont jamais vécu en Syrie, et elles ne savent rien du pays. Bien sûr, il y a d'autres personnes qui travaillent dans l'intérêt national. (...) Donc, l'optimisme serait exagéré. Je ne dirais pas que je suis pessimiste. Je dirais que nous avons de l'espoir, dans chaque action.

Il semble que ces derniers jours, les Américains sont devenus plus favorables aux pourparlers de Moscou. Au départ, ils ne l'étaient pas. Hier, le secrétaire d'État Kerry a suggéré que les États-Unis espèrent que les négociations avancent et qu'elles réussissent.

Ils parlent toujours, mais c'est ce qu'ils feront qui compte. Et vous savez, il y a de la méfiance entre les Syriens et les États-Unis Il suffit donc de patienter jusqu'à ce que nous voyons ce qui se passera lors de la conférence.

Donc, que voyez-vous comme le meilleur moyen de parvenir à un accord entre les différentes factions en Syrie?

C'est de traiter directement avec les rebelles, mais vous avez deux types différents de rebelles. Actuellement, la majorité font partie d'al-Qaïda, l'ISIS (l'Etat-Islamique en Irak et au Levant Ndlr) et al-Nusra, avec d'autres factions semblables qui appartiennent à al-Qaïda, mais qui sont plus petites. Maintenant, ce qu'il en reste, ce qu'il en est du « fantasme » d' Obama, -ce qu'il a appelé «l'opposition modérée» - il n'y a pas d' opposition modérée: ce sont des rebelles. La plupart d'entre eux ont rejoint al-Qaïda, et certains d'entre eux ont rejoint l'armée récemment. Durant la dernière semaine, beaucoup d'entre eux ont quitté ces groupes et sont rentrés dans l'armée.

S'agit-il d'anciens transfuges qui sont revenus?

Oui, ils sont revenus à l'armée. Ils ont dit, « Nous ne voulons plus nous battre. » Donc il reste très peu de ceux-ci. A la fin, peut-on négocier avec Al-Qaïda, et les autres? Ils ne sont pas prêts à négocier ; ils ont leur propre plan. Le rapprochement que nous avons commencé et M. de Mistura va continuer, c'est la solution pratique sur le terrain. C'est le premier point. Deuxièmement, on a à mettre en œuvre la résolution du Conseil de sécurité, N° 2170, sur al-Nusra et ISIS, qui a été publiée il y a quelques mois, et cette résolution est très claire quant à empêcher quiconque de soutenir ces factions militairement, financièrement ou logistiquement. Pourtant, c'est ce que font encore la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar. Si cela n'est pas mis en œuvre, nous ne pouvons pas parler d'une vraie solution.(...). Donc, comment faire pour entamer le processus. Troisièmement, les pays de l'Ouest devraient leur supprimer leur protection, ce qui est encore appelé par certains: « soutenir l'opposition modérée. » Ils savent que nous avons principalement Al-Qaïda, ISIS, et al-Nusra.

Seriez-vous prêt à prendre toutes les mesures pour renforcer la confiance avant les pourparlers? Par exemple, des échanges de prisonniers, ou mettre fin à l'utilisation de bombes, ou libération des prisonniers politiques, afin de renforcer l'idée chez vos adversaires, que vous êtes prêt à négocier de bonne foi?

Ce n'est pas une relation personnelle ; il s'agit de mécanismes. En politique, on ne parle que de mécanismes. On n'a pas à faire confiance à quelqu'un pour qu'il fasse quelque chose. S'il y a une procédure claire, on peut parvenir à un résultat. C'est ce que veut le peuple.. Donc la question est, quelle est la procédure qu'on va pouvoir mettre en place? Cela nous ramène à la même question: Qui sont-ils? Que représentent-ils? Quelle est leur influence? Quel est l'intérêt de bâtir la confiance avec des gens sans influence?

Lorsque deux parties se rencontrent, il est souvent très utile pour une partie de montrer à l'autre qu'elle tient vraiment à faire des progrès en prenant des mesures de manière unilatérale pour tenter de faire baisser la température. Les mesures que j' ai décrites auraient cet effet.
On a quelque chose de concret, et c'est la réconciliation. Les gens ont abandonné leurs armements ; nous leur avons donné l'amnistie ; ils vivent une vie normale. C'est un exemple réel. Donc, c'est une mesure de confiance. D'autre part, quelle est la relation entre cette opposition et les prisonniers? Il n'y a aucun rapport. Ils ne sont pas leurs prisonniers de toute façon. Donc, c' est tout à fait une question différente.

Alors avez-vous offert l'amnistie aux combattants?

Oui, bien sûr, et nous l'avons fait à plusieurs reprises.

Combien? Avez-vous le nombre ?

Je n' ai pas les chiffres précis, mais ils se comptent en milliers, pas des centaines, mais des milliers de rebelles.

Et êtes-vous prêt à dire à toute l'opposition que s'ils déposent leurs armes, ils seront en sécurité?

Oui, je l'ai dit publiquement dans un de mes discours.

Permettez-moi de modifier légèrement le sujet. Hezbollah, la Force Qods de l'Iran, et les milices chiites iraniennes jouent désormais un rôle important dans la lutte contre les rebelles ici, en Syrie. Compte tenu de cet engagement, êtes-vous inquiet de l'influence de l'Iran sur le pays? Après tout, l'Irak ou même le Liban montre qu'une fois qu'une puissance militaire étrangère s'installe dans un pays, il peut être très difficile de les amener à le quitter.

(...) la réponse à votre question est, l'Iran n'a pas d'ambitions en Syrie, et en tant que pays, comme la Syrie, nous ne saurions jamais permettre à tout pays de s'immiscer dans notre souveraineté. Nous ne saurions l'accepter, et les Iraniens ne le veulent pas non plus. Nous permettons la coopération. Mais s'il était permis à n'importe quel pays d'exercer son influence, pourquoi ne pas permettre aux Américains d'avoir une influence en Syrie? C'est le problème avec les Américains et avec l'Occident: ils veulent s'immiscer sans coopération.

Permettez-moi de vous pousser un peu plus loin. La semaine dernière, un commandant de la Garde révolutionnaire iranienne (...), a déclaré dans une interview à Der Spiegel que le dirigeant suprême de l'Iran a ordonné à ses forces de construire et exploiter des usines de missiles en Syrie. Cela suggère que l'Iran joue un rôle plus important ?

Non, non. Jouer un rôle grâce à la coopération est différent de jouer un rôle grâce à l'hégémonie.

Donc, tout ce que l'Iran est en train de faire ...?

Bien sûr, en pleine coopération avec le gouvernement syrien, et c'est toujours le cas. (...) Mais vous avez aussi des milices, qui sont des acteurs infra étatiques et donc plus compliqués. Un problème de travail avec ces groupes est que, contrairement à un gouvernement, ils peuvent ne pas être disposés à coopérer et il n' est pas toujours clair de savoir à qui parler. Êtes-vous inquiet au sujet de votre capacité à contrôler ces forces et à les freiner en cas de besoin? Et, une question connexe, cette semaine, Israël a attaqué les forces du Hezbollah dans le plateau du Golan, et les Israéliens suggèrent qu'ils les ont attaqués parce que le Hezbollah préparait une attaque contre Israël à partir du territoire syrien. N'est-ce pas aussi mettre en évidence le danger de laisser les milices avec leurs propres agendas, pas nécessairement votre agenda, intervenir dans la guerre?

Voulez-vous dire des milices syriennes, ou toutes les autres en général?

Je veux dire en particulier le Hezbollah et les milices chiites irakiennes. (...) avoir des milices qui soutiennent le gouvernement est un effet secondaire dans la guerre. Il faut essayer de contrôler ces effets secondaires. Personne ne se sentira aussi à l'aise que s' ils ont affaire avec les institutions gouvernementales, y compris l'armée et la police et ainsi de suite. Mais parler de ce qui s' est passé à Quneitra est quelque chose de complètement différent. Il n'y a jamais eu d' opération contre Israël qui se soit passée à travers les hauteurs du Golan depuis le cessez-le-feu en 1974. Cela n'est jamais arrivé. Donc pour Israël alléguer une opération qui est bien loin de la réalité, n'est juste qu'une excuse, parce qu'ils voulaient assassiner quelqu'un du Hezbollah.

Mais les Israéliens ont fait très attention depuis la guerre de ne pas s'impliquer, sauf quand ils estiment que leurs intérêts ont été directement menacés.

Ce n' est pas vrai, parce qu'ils attaquent la Syrie depuis près de deux ans, sans aucune raison.

Mais dans chaque cas, ils disent que l'Iran fournit des armes via la Syrie.

Ils attaquent les positions de l'armée. Quelle est la relation entre le Hezbollah et l'armée?

Ce sont les cas où l'armée aurait accidentellement bombardé ...

Ce sont de fausses allégations.

Alors, que pensez-vous du rôle d'Israël ?

Ils soutiennent les rebelles en Syrie. c'est très clair. Parce que chaque fois que nous faisons des progrès dans un certain endroit, ils attaquent afin de saper les progrès de l'armée. C'est très clair. C'est pourquoi certains en Syrie plaisantent: « Comment pouvez-vous dire que al-Qaïda n'a pas d'armée de l'air? Ils ont l'armée de l'air israélienne. » (Israël vient d'ailleurs de donner le coup d'envoi avec ses hélicoptères de combat qui sont allés décapiter un état major ennemi dans le Golan, en territoire syrien. Ndlr)

Pour revenir à ma question sur les milices, êtes-vous sûr que vous serez en mesure de les contrôler quand cette guerre se terminera? Parce qu'après tout, pour avoir une souveraineté effective, tout gouvernement doit avoir ce qu'on appelle le monopole de la force, et c'est très difficile quand vous avez des groupes armés indépendants.

C'est évident : l'État ne peut s'acquitter de son engagement envers la société, s'il n' est pas le seul maître de l'ordre.

Mais vous voyez en Irak combien c'est difficile. Il est maintenant très difficile pour le gouvernement de contrôler toutes les milices chiites qui ont été habilités pendant la guerre.

Il y a une raison très importante en Irak : c'est parce que Paul Bremer (gouverneur américain en 2003 Ndlr) n'a pas créé une constitution pour l'État ; il en a créé une pour les factions. Alors qu'en Syrie, pourquoi l'armée est demeurée ferme durant quatre ans, en dépit de l'embargo, de cette guerre, des dizaines de pays à travers le monde qui attaquent la Syrie et qui soutiennent les rebelles? Parce qu'elle a une véritable constitution, une vraie constitution laïque. C'est la raison. L' Irak est sectaire. Quand vous parlez d'une constitution sectaire, ce n'est pas une constitution.

Mais qu'allez-vous faire au sujet de ces milices, lorsque la guerre se terminera?

Les choses devraient revenir à la normale, comme avant la guerre.

Et vous êtes confiant ...?

Oui. Nous n'avons pas d'autre option. C'est le rôle du gouvernement. C'est évident.

Quel impact la chute des prix du pétrole ont-ils sur la guerre en Syrie? Après tout, vos deux plus proches alliés et sympathisants, l'Iran et la Russie, sont très dépendants des prix du pétrole, et ils ont subi des revers considérables dans leurs budgets ces derniers mois lorsque le prix du pétrole a chuté. Ne vous inquiétez-vous pas au sujet de leur capacité à continuer à vous aider?

Non, parce qu'ils ne nous donnent pas d'argent, donc il n'y a pas d'effet sur la Syrie. Même s'ils devaient nous aider, ce serait sous la forme de prêts. (...)

Mais leur soutien militaire leur coûte de l'argent, et s'ils ont moins d'argent pour payer leurs propres forces armées cela ne va-t-il pas devenir un problème?

Non, parce que quand vous payez pour l'armement ou toute autre marchandise, vous n'avez aucun problème. (...)

Vous avez dit dans des interviews passées que vous et votre gouvernement avez fait des erreurs au cours de la guerre. Quelles sont ces erreurs? Y a-t-il quelque chose que vous regrettez?

Chaque gouvernement, chaque personne, fait des erreurs, de sorte que c'est évident ; Mais si on parle des erreurs politiques, on doit se demander, quelles sont les principales décisions qui ont été prises depuis le début de la crise? Nous avons pris trois décisions principales: tout d'abord, d'être ouvert à tout dialogue. Deuxièmement, nous avons changé la constitution et la loi selon ce que beaucoup dans l'opposition prétendaient, que c'était la raison de la crise. Troisièmement, nous avons pris la décision de défendre notre pays, de nous défendre nous-mêmes, de lutter contre les terroristes. Donc, je ne pense pas que ces trois décisions peuvent être décritess comme erronées ou erreurs. Si vous voulez parler de la pratique, un fonctionnaire dans n'importe quel endroit peut faire des erreurs, mais il y a une différence entre les erreurs pratiques et les erreurs politiques.

Pouvez-vous décrire certaines des erreurs pratiques?

Je dois retourner aux fonctionnaires sur le terrain ; il n'y a rien dans mon esprit. Je préfère parler de politiques.

Vous sentez-vous responsable de certaines erreurs de politiques?

J'ai mentionné les grandes décisions.

Mais vous avez dit que ce ne sont pas des erreurs.

Pour défendre le pays contre le terrorisme? Si je disais qu'il s'agit d'erreurs, alors il serait correct de soutenir les terroristes.

Je me demande s' il y a quelque chose que vous avez fait mais qu'avec le recul vous auriez fait différemment ?

En ce qui concerne ces trois principales décisions, elles étaient correctes, et je suis confiant à ce sujet.

En termes d'erreurs pratiques de niveau inférieur, les gens étant tenus pour responsables, par exemple, pour les violations des droits de l'homme, par l'utilisation excessive de la force, ou le dénigrement systématique des civils, ce genre de choses?

Oui. Certaines personnes ont été arrêtées parce qu'elles ont violé la loi à cet égard, c'est ce qui se passe bien sûr dans de telles circonstances.

En termes de traitement des civils ou des manifestants, est-ce à cela que vous faites allusion?

Oui, lors des manifestations au début, oui.

Depuis les États-Unis ont commencé leur campagne aérienne contre l'État islamique, la Syrie, et les États-Unis sont devenus des sortes d'étranges partenaires et ont effectivement coopérer dans cet aspect de la lutte. Voyez-vous le potentiel pour une coopération accrue avec les États-Unis?

Oui, le potentiel est certainement toujours là, parce que nous avons demandé la coopération internationale contre le terrorisme depuis 30 ans. La question que nous avons est : les États-Unis combattent-ils vraiment le terrorisme sur le terrain? Jusqu'à présent, nous n' avons rien vu de concret en dépit des attaques sur ISIS dans le nord de la Syrie. Il n'y a rien de concret. Ce que nous avons vu jusqu'à présent est juste, disons, une vitrine, rien de réel. Depuis le début de ces attaques, ISIS a continué à gagner du terrain en Syrie et en Irak.

Qu'en est-il des frappes aériennes sur Kobani? Celles-ci ont été efficaces dans le ralentissement d'ISIS.

Kobani est une petite ville, avec environ 50 000 habitants. Cela fait plus de trois mois depuis le début des attaques, et elles ne sont pas terminées. Sur les mêmes zones, face aux mêmes factions d'Al-Qaïda l'armée syrienne a libéré le terrain en moins de trois semaines d'occupation. Cela signifie qu'ils ne sont pas sérieux au sujet de la lutte contre le terrorisme.

Donc, vous dites que vous voulez une plus grande implication des États-Unis dans la guerre contre ISIS?

Ce n'est pas une plus grande implication de l'armée, parce qu'il ne s'agit pas seulement de l'armée ; il s'agit de politique. Jusqu'à quel point les États-Unis veulent influencer les Turcs. Parce que si les terroristes peuvent résister aux frappes aériennes durant cette période, cela signifie que les Turcs leur envoient de l' armement et de l'argent. Les États-Unis ont-ils mis quelque pression sur la Turquie pour arrêter son soutien à Al-Qaïda? Non, non. Donc,le problème n'est pas seulement à propos de l'engagement militaire. Il s'agit en premier de politique. Deuxièmement, si vous voulez parler de l'engagement militaire, les responsables américains reconnaissent publiquement que sans troupes sur le terrain, ils ne peuvent rien réaliser de concret.

Donc, vous suggérez qu' ils devraient envoyer des troupes sur le terrain?

Pas de troupes américaines. Je parle du principe, le principe militaire. Je ne dis pas les troupes américaines. Si vous voulez dire qu'il faut faire la guerre contre le terrorisme, il faut avoir les troupes sur le terrain. La question que vous devez demander aux Américains est, sur quelles troupes pouvez-vous compter ? Certainement, ce doit être sur les troupes syriennes. C'est notre terre ; c'est notre pays. Nous sommes responsables. Nous ne demandons pas de troupes américaines du tout.

Alors, que voulez-vous des États-Unis? Vous avez mentionné plus de pression sur la Turquie ...

Pression sur la Turquie, sur l'Arabie saoudite, sur le Qatar, pour arrêter de soutenir les rebelles. Deuxièmement, faire de la coopération juridique avec la Syrie et commencer par demander la permission à notre gouvernement de faire de telles attaques. Ils n' ont rien demandé, c'est donc illégal.

Je suis désolé, ce point n'est pas clair. Vous voulez qu'ils fassent une demande juridique ...?

Bien sûr, si on veut faire n'importe quel type d'action dans un autre pays, on demande sa permission.

Je vois. Ainsi, un accord formel entre Washington et Damas pour permettre des frappes aériennes?

Le format nous pouvons en discuter plus tard, mais il faut commencer avec la permission. existe-t-il un accord? existe-t-il un traité?

Et seriez-vous prêt à prendre des mesures pour rendre plus facile la coopération avec Washington?

Avec n' importe quel pays qui est sérieux au sujet de la lutte contre le terrorisme, nous sommes prêts à faire de la coopération.

Quelles mesures seriez-vous prêt à prendre pour montrer à Washington que vous êtes prêt à coopérer?

Je pense que ce sont eux qui doivent montrer leur volonté. Nous sommes déjà combattus sur le terrain ; nous n'avons rien à montrer.

Les États-Unis forment 5,000 combattants syriens qui sont programmés pour entrer en Syrie en mai. Toutefois, le général américain John Allen a a pris la précaution de dire que ces troupes ne seront pas dirigées contre le gouvernement syrien, mais seront dirigées sur ISIS seul. Que ferez-vous quand ces troupes entreront dans le pays? Allez-vous leur permettre d'entrer? Allez-vous les attaquer? Les troupes qui ne travaillent pas en collaboration avec l'armée syrienne sont illégales et doivent être combattues. C'est très clair.

Même si cela vous met en conflit avec les États-Unis?
Sans coopération avec les troupes syriennes, elles sont illégales et sont des marionnettes d'un autre pays, elles seront combattues comme toute autre milice illégale qui combat contre l'armée syrienne. Mais cela amène une autre question, à propos de ces troupes. Obama a dit qu'elles sont un fantasme. Comment deviendraient-elles réalité?

Je pense avec ce genre de programme de formation.

Mais on ne peut pas faire de l'extrémisme modéré.

Il y a encore des membres modérés de l'opposition. Ils sont de plus en plus faibles avec le temps, mais je pense que le gouvernement américain s'assure très soigneusement que les combattants qu'il entraine ne sont pas radicaux.

Mais la question est, pourquoi « opposition modérée »? Si vous les appelez opposition, nous, nous les appelons rebelles. Pourquoi sont-ils de plus en plus faibles? Ils sont de plus en plus faibles en raison de l'évolution de la crise syrienne. Apporter 5000 combattants de l'extérieur aboutira à ce que la plupart d'entre eux rejoignent ISIS et d'autres groupes, c'est ce qui est arrivé au cours de la dernière année. Donc, c'est pourquoi j'ai dit que c'est encore illusoire. Il n'y a d'ailleurs pas que les 5000 qui sont illusoires, mais l'idée elle-même est illusoire.

Une partie de ce qui fait que Washington est si réticent à coopérer avec vous sont les allégations de graves violations des droits de l'homme par votre gouvernement. Ces allégations ne viennent pas seulement du gouvernement américain ; elles viennent aussi de la Commission des Nations Unies Droits de l'Homme, la Commission spéciale d'enquête indépendante de l'ONU. Vous êtes familier de ces allégations, j'en suis sûr. Parmi eux il y a le refus de l'accès des secours aux camps de réfugiés, le bombardement aveugle de cibles civiles, des preuves par les photos du transfuge dont le nom de code est César, qui a fait une présentation au Congrès américain montrant de terribles tortures et abus dans les prisons syriennes. Êtes-vous prêt à prendre des mesures sur ces questions afin de rendre la coopération avec les États-Unis plus facile?

Le plus drôle de cette administration est que c'est la première de l'histoire à prendre ses les médias sociaux. Nous appelons cela une administration sociale des médias, qui n'est pas politique. Aucune de ces allégations que vous avez mentionnés sont en béton ; elles sont toutes les allégations. Vous pouvez apporter des photos de quelqu'un et dire que c'est de la torture. Qui a pris les photos? Qui est-ce? Personne ne sait. Il n'y a aucune vérification de toute ces preuves, ce sont donc toutes des allégations sans preuve.

Mais les photos de César ont été examinées par les enquêteurs indépendants européens.

Non, non. Il est financé par le Qatar, et ils disent que c'est une source anonyme. Donc rien n'est clair ou avéré. Les photos ne sont pas claires, on ne sait pas quelle personne elles montrent. Ce ne sont que des images d'une tête, par exemple, avec des crânes. Qui a dit que cela a été fait par le gouvernement, et non par les rebelles? Qui a dit qu'il s'agit d'une victime syrienne et non de quelqu'un d'autre? Par exemple, les photos publiées au début de la crise venaient d'Irak et du Yémen. Deuxièmement, les États-Unis en particulier et l'Occident en général ne sont pas en mesure de parler des droits de l'homme. Ils sont responsables de la plupart des meurtres dans la région, en particulier les États-Unis après avoir agressé l' Irak, et le Royaume-Uni après avoir envahi la Libye et provoqué la situation au Yémen, ils sont responsables de ce qui est arrivé en Égypte avec leur soutien aux Frères musulmans, et du terrorisme en Tunisie . Tous ces problèmes ont eu lieu par la faute des États-Unis. Ils ont été les premiers à fouler aux pieds le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité, pas nous.

Ce qui est ou n'est pas vrai, mais ce sont des questions distinctes qui n' exonèrent pas de la responsabilité de votre gouvernement.

Non, non. Les États-Unis nous accusent, donc nous devons répondre à cette partie. Je ne dis pas que le gouvernement n'a aucune responsabilité. C'est une autre question. La deuxième partie de votre question porte sur les allégations. Ce sont toujours allégations. Si vous voulez que je réponde, je dois répondre à quelque chose de concret, prouvé et vérifié.

Êtes-vous prêt à nier catégoriquement qu'il y a de la torture et des mauvais traitements sur les prisonniers en Syrie?

S'il existe une façon impartiale et équitable de vérifier toutes ces allégations, bien sûr, nous sommes prêts. Ce serait dans notre intérêt.

Quel impact un accord nucléaire américano-iranien aurait sur la Syrie?

Aucun, parce que la crise ici n'a jamais fait partie des négociations, et l'Iran a refusé de le rendre tel, n'est-ce pas ? Parce qu'il n'y a pas de lien entre les deux.

Mais beaucoup aux États-Unis prévoient que si l'Iran et les États-Unis concluent un accord, la coopération entre les deux pays sera beaucoup plus facile. Les gens se demandent donc si l'Iran pourrait décider de réduire son soutien à la Syrie comme une faveur au gouvernement américain.

Nous n'avons jamais eu d' informations positives sur une telle chose, jamais. Je ne peux pas discuter de quelque chose que j'ignore.

Pensez-vous que la guerre se passe bien du point de vue du gouvernement. Des analystes indépendants ont suggéré que votre gouvernement contrôle actuellement 45 à 50 pour cent du territoire de la Syrie.

Tout d'abord, si vous voulez décrire le contexte, ce n'est pas une guerre entre deux pays, entre deux armées avec une incursion et avec une partie du territoire à reprendre. Ce n'est pas comme ça. Nous parlons de rebelles qui s' infiltrent dans des zones habitées par des civils. Vous avez des terroristes syriens qui soutiennent des terroristes étrangers à venir et à se cacher parmi les civils. Ils lancent des attaques de guérilla. C'est la forme de cette guerre, de sorte que vous ne pouvez pas l'observer comme relevant d' une question de territoire. Deuxièmement, partout où l'armée syrienne a voulu aller, elle a réussi à aller. Mais l'armée syrienne ne peut pas être présente sur chaque kilomètre du territoire syrien. C' est impossible. Nous avons fait quelques progrès dans les deux dernières années. Mais si vous voulez me demander, « Est-ce que ça va bien? » Je dis que toute guerre est mauvaise, parce qu'on perd toujours, il y a toujours de la destruction dans une guerre. La question principale est, qu'avons-nous gagné dans cette guerre? Ce que nous avons gagné dans cette guerre c'est que le peuple syrien a rejeté les terroristes ; le peuple syrien soutient son gouvernement davantage ; le peuple syrien soutient son armée davantage. Avant de parler de territoire gagné, il faut parler de gagner les cœurs et les esprits et le soutien du peuple syrien. C' est ce que nous avons gagné. Ce qui reste est d'ordre logistique; c'est technique. C'est une question de temps. La guerre se déplace d'une manière positive. Mais cela ne signifie pas qu'on n'est pas perdant sur le plan national.

Le problème, c'est qu'ils ont encore cette alimentation continue, principalement en provenance de Turquie.

Exactement. Oui.