samedi 31 janvier 2015

Les Portugais levés contre la braderie de leur économie (L'Humanité)

François Leclerc

Vendredi, 30 Janvier, 2015
Humanité Dimanche

Photo AFP
Scandales financiers, corruption, privatisation d’entreprises d’intérêt public... la coupe libérale est pleine au Portugal ! une mobilisation doit se tenir le 31 janvier à Lisbonne contre la privatisation de la compagnie aérienne TAP. Sous tutelle de la troïka, puis d’un gouvernement corrompu, le pays refuse de payer encore le surcoût social et humain de l’austérité. Reportage.
Correspondance particulière. Rien ne transparaît dans les rues pittoresques de Lisbonne ou de Porto, envahies par des touristes de plus en plus nombreux qui en apprécient les charmes. Mais dans la discrétion qui les caractérise, entre eux, les Portugais ont dans les quartiers périphériques, où nul étranger ne va jamais, renoué avec une misère qu’ils pensaient révolue ; et les classes moyennes, qui le dissimulent du mieux qu’elles le peuvent par dignité, ont été durement atteintes par les restrictions qui se sont accumulées.
Les jeunes s’interrogent sur leur futur, subissant un chômage chiffré à plus de 35 % chez les moins de 25 ans. Inversant le mouvement de retour au pays des jeunes Portugais nés à l’étranger qui s’était dessiné, ils renouent avec la tradition d’émigration de leurs aînés.
En guise d’assurance sur l’avenir, ils se précipitent sur les formations aux langues étrangères, car ils savent que leurs diplômes ne seront pas synonymes nécessairement d’emploi et qu’il faut envisager le départ. L’expatriation est comparable par son ampleur à celle des années 1960, selon un r y thme men sue l moyen de 10 000 personnes : ces 3 dernières années, 350 000 Portugais auraient quitté le pays, qui comptait 10,46 millions d’habitants en 2013. Celui-ci est considéré comme un bon exportateur de main-d’oeuvre, car ceux qui s’expatrient sont sou-vent infirmiers, médecins, ingénieurs, techniciens supérieurs ou architectes. Cette saignée s’apparente à une braderie sociale. N’empêchant pas tous ceux qui restent de s’interroger eux aussi sur leur avenir et de le manifester : le taux de natalité est le plus bas d’Europe et les femmes ont leur premier enfant de plus en plus tard.
SCANDALES ET NON-LIEUX
La crise ne s’est pas seulement traduite par un lourd tribut de pertes d’emplois, de précarité, de diminution des salaires et des retraites et de ponctions sur les programmes d’aide sociale, ponctuée par des manifestations monstres à répétition mais sans effet. Elle a aussi été l’occasion d’une série impressionnante de révélations à propos de la corruption et a créé autant de chocs dans l’opinion publique.
L’arrestation et la mise en détention préventive fin novembre dernier de José Socrates, l’ancien premier ministre socialiste, ont accrédité la conviction déjà bien établie que le phénomène est généralisé, et que le monde politique, celui des affaires et celui de la justice, fait preuve de connivence. Paulo Portas, le vice-premier ministre actuel, a bénéficié d’un non-lieu à propos de commissions dans l’achat de sousmarins, pour lequel les vendeurs allemands ont été condamnés dans leur pays, et cela a été assimilé à une « bonne manière » de plus. Un dernier scandale touchant les protagonistes d’une opération dite des « visas en or » – opération qui permet aux riches étrangers d’acheter un francisco ticket d’entrée permanent dans l’espace Schengen – a abouti à l’ar-restation puis à l’assignation à résidence de rien de moins que le directeur de la police des frontières, la secrétaire générale du ministère de la Justice et le président de l’Institut des notaires...
CHÂTEAU DE CARTES
L’écroulement brutal comme un château de cartes du groupe financier historique Espirito Santo, miné par les dettes et dont la fortune remontait à l’époque du dictateur Salazar, a symbolisé la fin d’une période en raison de son omniprésence dans le tissu économique, témoignant de la duplicité de tous ceux qui savaient et n’ont rien fait. Le groupe est désormais vendu par appartements sur le marché international.
La décision de privatiser les deux tiers du capital de la TAP, la compagnie d’aviation portugaise, prend valeur de symbole, ainsi que la vente à Altice, la maison mère de Numericable-SFR, des actifs portugais de Portugal Telecom. Après avoir subi la tutelle de la troïka, les Portugais voient le contrôle de l’économie du pays changer de main, l’assimilant à une perte de plus de leur identité. L’addition est lourde et il ne faudra pas beaucoup pousser les Portugais pour qu’ils sortent ce qu’ils ont sur le coeur, en partage avec les Espagnols et les Grecs.