dimanche 4 janvier 2015

Les salaires des PDG sont sans rapport avec leurs performances (Les crises)

Pour la première fois en France, une grande école de management ose analyser les rémunérations des PDG de grandes entreprises.

Patrick Fauconnier
Patrick Fauconnier
L’enquête a passé 132 entreprises au crible. (DPA / MaxPPP)
“Quatre patrons français distingués parmi les 100 meilleurs PDG mondiaux”, a récemment titré notre confrère “Le Monde”. Un titre qui soulève une vaste question : qu’entend-on par “meilleur PDG” ? Celui qui a prouvé une judicieuse vision stratégique sur le long terme ? Qui innove ? Qui crée de l’emploi ? Celui dont l’entreprise a pris la plus grande valeur en bourse ? Ce dernier critère, très quantitatif, est celui du classement cité par Le Monde : il a été établi par l’Insead, une grande business school internationale, à partir des performances financières des entreprises sur plusieurs années. Les 100 meilleurs patrons ont accru la valeur de leurs entreprises de 40 milliards de dollars, les 100 moins bons ont fait baisser cette valeur de 14 milliards.

 132 entreprises passées au crible

Cette façon d’évaluer la performance des dirigeants incite à penser que leurs salaires, souvent exorbitants pour cause de primes sur résultats, sont indexés sur leurs performances. Sauf que cela restait à prouver. A ce jour, aucune grande école française de management n’avait osé publier un travail de recherche sur cette question. C’est désormais chose faite avec les trois études qu’ont publié deux chercheurs de  l’Ecole de Management de StrasbourgGéraldine Broye et Yves Moulin. Après avoir épluché manuellement les rapports annuels de 132 entreprises françaises cotées en bourse au SBF 120, ils ont publié trois papiers de recherche consacrés aux rémunérations des administrateurs, des présidents non exécutifs, et des P-DG (ou Chief Executive Officers – CEO -en anglais), ce dernier papier ayant été publié dans la revue de recherche Finance Contrôle Stratégie.

Ces travaux aboutissent à trois conclusions qui interpellent :

1 – Il n’existe pas de corrélation entre la rémunération des P-DG et les performances financières de leurs entreprises.
2 – Le fait qu’une entreprise crée en interne un Comité des Rémunérations a plutôt pour effet de faire monter le salaire des dirigeants.
3 – La présence d’administrateurs indépendants au CA de l’entreprise ne garantit aucunement une modération du salaire du P-DG.
Géraldine Broye, spécialiste de la gouvernance des entreprises et professeur des universités à l’EM de Strasbourg, reconnaît :
Ce sujet était jusqu’ici plutôt tabou en France, alors qu’il fait l’objet de nombreux travaux dans les pays anglo-saxons”.
L’étude de ces deux chercheurs montre que la mise en place de nouveaux mécanismes de gouvernance et de contrôle (notamment la Loi Breton de 2005 imposant plus de transparence dans les rémunérations) n’ont pas eu d’effet modérateurs sur les politiques de rémunérations des dirigeants. Ils montrent notamment que :
Les P-DG français bénéficient de salaires moyens parmi les plus importants d’Europe, devant la Belgique, les Pays Bas, la Suède, mais derrière le Royaume Uni ou l’Allemagne. Les parts variables ne sont pas les plus fortes d’Europe, mais elles se sont fortement accrues”.

L’audace d’une grande école universitaire

L’Ecole de Management de Strasbourg résulte de récente la fusion d’une grande école de commerce – l’IECS – et de l’IAE de Strasbourg. A ce titre, c’est la seule école de management française dépendant de l’université selon le modèle de beaucoup de grandes business schools anglo-saxonnes. Elle ne dépend donc pas des entreprises, contrairement aux grandes écoles comme HEC, l’ESSEC, l’ESCP et beaucoup d’ESC qui sont administrées et/ou financées par des Chambres de Commerce. Voilà sans doute ce qui explique que l’EM de Strasbourg a pu faire preuve avec ces travaux sensibles d’une audace que n’ont pas eu d’autres écoles.

 Le cas Sciences Po

De façon assez saisissante cette analyse semble s’appliquer à la lettre à l’affaire de la rémunération de Richard Descoings, le directeur décédé de Science Po. Le président de cette école, le financier Michel Pébereau, avait créé en interne un comité des rémunérations, création qui semble avoir eu pour effet de doubler la rétribution du directeur via des primes sans que les administrateurs soient vraiment au courant.  Un contre exemple de gouvernance transparente en milieu universitaire.
Par Patrick Fauconnier
Source : Le nouvel observateur

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