Pour la première fois en France, une grande école de management ose analyser les rémunérations des PDG de grandes entreprises.
L’enquête a passé 132 entreprises au crible. (DPA / MaxPPP)
“Quatre patrons français distingués parmi les 100 meilleurs PDG
mondiaux”, a récemment titré notre confrère “Le Monde”. Un titre qui
soulève une vaste question : qu’entend-on par “meilleur PDG” ? Celui qui
a prouvé une judicieuse vision stratégique sur le long terme ? Qui
innove ? Qui crée de l’emploi ? Celui dont l’entreprise a pris la plus
grande valeur en bourse ? Ce dernier critère, très quantitatif, est
celui du classement cité par Le Monde : il a été établi par l’Insead,
une grande business school internationale, à partir des performances
financières des entreprises sur plusieurs années. Les 100 meilleurs
patrons ont accru la valeur de leurs entreprises de 40 milliards de
dollars, les 100 moins bons ont fait baisser cette valeur de 14
milliards.
132 entreprises passées au crible
Cette façon d’évaluer la performance des dirigeants incite à penser
que leurs salaires, souvent exorbitants pour cause de primes sur
résultats, sont indexés sur leurs performances. Sauf que cela restait à
prouver. A ce jour, aucune grande école française de management n’avait
osé publier un travail de recherche sur cette question. C’est désormais
chose faite avec les trois études qu’ont publié deux chercheurs de l’Ecole de Management de Strasbourg, Géraldine Broye et Yves Moulin.
Après avoir épluché manuellement les rapports annuels de 132
entreprises françaises cotées en bourse au SBF 120, ils ont publié trois
papiers de recherche consacrés aux rémunérations des administrateurs,
des présidents non exécutifs, et des P-DG (ou Chief Executive Officers –
CEO -en anglais), ce dernier papier ayant été publié dans la revue de recherche Finance Contrôle Stratégie.
Ces travaux aboutissent à trois conclusions qui interpellent :
1 – Il n’existe pas de corrélation entre la rémunération des P-DG et les performances financières de leurs entreprises.
2 – Le fait qu’une entreprise crée en interne un Comité des
Rémunérations a plutôt pour effet de faire monter le salaire des
dirigeants.
3 – La présence d’administrateurs indépendants au CA de l’entreprise ne garantit aucunement une modération du salaire du P-DG.
Géraldine Broye, spécialiste de la gouvernance des entreprises et professeur des universités à l’EM de Strasbourg, reconnaît :
Ce sujet était jusqu’ici plutôt tabou en France, alors qu’il fait l’objet de nombreux travaux dans les pays anglo-saxons”.
L’étude de ces deux chercheurs montre que la mise en place de
nouveaux mécanismes de gouvernance et de contrôle (notamment la Loi
Breton de 2005 imposant plus de transparence dans les rémunérations)
n’ont pas eu d’effet modérateurs sur les politiques de rémunérations des
dirigeants. Ils montrent notamment que :
Les P-DG français bénéficient de salaires moyens parmi les plus importants d’Europe, devant la Belgique, les Pays Bas, la Suède, mais derrière le Royaume Uni ou l’Allemagne. Les parts variables ne sont pas les plus fortes d’Europe, mais elles se sont fortement accrues”.
L’audace d’une grande école universitaire
L’Ecole de Management de Strasbourg résulte de récente la fusion
d’une grande école de commerce – l’IECS – et de l’IAE de Strasbourg. A
ce titre, c’est la seule école de management française dépendant de
l’université selon le modèle de beaucoup de grandes business schools
anglo-saxonnes. Elle ne dépend donc pas des entreprises, contrairement
aux grandes écoles comme HEC, l’ESSEC, l’ESCP et beaucoup d’ESC qui sont
administrées et/ou financées par des Chambres de Commerce. Voilà sans
doute ce qui explique que l’EM de Strasbourg a pu faire preuve avec ces
travaux sensibles d’une audace que n’ont pas eu d’autres écoles.
Le cas Sciences Po
De façon assez saisissante cette analyse semble s’appliquer à la lettre à l’affaire de la rémunération de
Richard Descoings, le directeur décédé de Science Po. Le président de
cette école, le financier Michel Pébereau, avait créé en interne un
comité des rémunérations, création qui semble avoir eu pour effet de
doubler la rétribution du directeur via des primes sans que les
administrateurs soient vraiment au courant. Un contre exemple de
gouvernance transparente en milieu universitaire.
Par Patrick Fauconnier
Source : Le nouvel observateur
Source : Le nouvel observateur