Entretien réalisé par Alexandre Fache
Lundi, 12 Janvier, 2015
Humanite.fr
Co-président
de la coordination nationale « Pas sans nous » et porte-parole du
collectif AC LE Feu, Mohamed Mechmache a organisé lundi soir, à Bobigny
et Toulouse, des « rassemblements républicains et solidaires contre la
violence, les extrémismes et leur instrumentalisation ».
Pourquoi ces rassemblements lundi soir ?
Mohamed Mechmache. Après le beau rassemblement
de dimanche, on a pensé qu’il était important de faire quelque chose en
banlieue, là on habite. Pour dire stop à toute cette violence et aux
extrêmes, quels qu’ils soient. Stop à la stigmatisation aussi. Car nous
sommes indirectement, en banlieue, les premières victimes de ce qui
s’est passé. Ensuite, il va falloir construire l’après et parler du
fond. C’est-à-dire d’analyser les échecs de ces trente dernières années.
On parle d’intégration, de quartiers « oubliés de la République », de
plus en plus d’enseignants se disent désabusés face à ce qui s’exprime à
l’école. Nos responsables doivent s’interroger et reconnaître qu’ils
ont « merdé ». La banlieue n’est pas un réservoir de coupables, elle est
peut-être au contraire une partie de la solution. A condition qu’elle
soit invitée autour de la table. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu
depuis très longtemps qu’on allait vers des dérives, qu’on était en
train de glisser. Mais on n’a pas été entendu.
Vous craignez une réponse uniquement sécuritaire à ces événements ?
Mohamed Mechmache. Ce qui est sûr, c’est qu’on
ne peut en rester à la réponse sécuritaire. Le terrorisme attrape des
gamins de tous horizons. Mais le plus souvent, ils ont vécu l’échec,
scolaire ou autre. Le sentiment d’abandon qui a grandi dans certains
territoires, le sentiment d’injustice sociale, voire de mépris, tout
cela construit de la fragilité, de l’exclusion et du repli sur soi. J’ai
connu un temps où les habitants de ces quartiers populaires étaient
auteurs et acteurs de leurs vies, il y avait des espaces pour cela.
Aujourd’hui, on a perdu tout ça. Regardez le taux d’abstention : 70% des
gens ne vont plus voter. La démocratie est en panne. Les gens n’ont pas
le sentiment d’exister. Et ne croient plus aux promesses qu’on leur
fait lors des rendez-vous électoraux. La mobilisation de dimanche, très
chaleureuse, cache aussi des fractures béantes dans la société.
Lesquelles ?
Mohamed Mechmache. Souvenez-vous de 2005 et de ce qui s’était passé en banlieue. Une partie de la classe politique avait dit : « c’est à cause de la polygamie, de la démission des parents, du rap… »
Il s’agissait de trouver des coupables. Sans se poser la question de
savoir si elle avait failli. Et les réponses avaient d’abord été
sécuritaires. On nous a dit aussi qu’on allait mettre beaucoup d’argent
dans les banlieues, avec la rénovation urbaine. Mais les inégalités
n’ont pas cessé de croître. Ces prochains jours, une frange de la
population va vite retourner à son individualisme. Une autre, dans les
quartiers populaires, va vite être rattrapée par la réalité : le
chômage, les discriminations, les gamins qui décrochent du système
scolaire, le « deal » dans les quartiers qu’on subit…
Les crimes de ces derniers jours ont été commis au nom
d’un islam dévoyé. Y a-t-il néanmoins un problème avec la religion ?
Faut-il refonder la laïcité à la française ?
Mohamed Mechmache. Je pense que la religion
n’a pas toujours été ‘véhiculée’ comme elle devait l’être, de la part de
nos responsables politiques comme des représentants des différents
cultes. Et pas seulement la religion musulmane. Laquelle n’a pas à être
rendue responsable des crimes de ces derniers jours. Celle que je
connais, celle que mes parents pratiquent, est une religion tolérante,
ce n’est pas celle de ces criminels. Il faut s’interroger aujourd’hui
sur les discriminations vécues par les musulmans. Quand on refuse des
sorties scolaires aux mères de famille voilées, est-ce qu’on n’est pas
en train de créer de la violence chez ces gamins, qui voient leurs
parents exclus ? Certains ne vont-ils pas se dire : « On n’a pas reconnu mes grands-parents, on n’a pas reconnu mes parents. Comment pourrais-je être reconnu, moi ? »
Le constat que vous dressez est très sombre…
Mohamed Mechmache. Il faut entendre les
quartiers populaires, enfin. Car si ce sont toujours les mêmes qui
décident de cet « après », on n’y arrivera pas. Je suis persuadé que si
on avait pris vraiment la mesure de ce qui s’est passé en 2005, on
aurait pu éviter ce qui s’est passé ces derniers jours.