mardi 3 février 2015

Quand la France bascule dans la marchandisation du sang (Crashdebug)

 
Sur son blog, l'ancien cardiologue Elie Arié s'inquiète que l'Etablissement français du sang n'ait "plus le monopole du don du sang" et que les "volontaires" puissent "être rémunérés". "Les donneurs, prévient-il, ne seront désormais que les seuls citoyens les plus pauvres". "Oui, le don gratuit a un coût financier, poursuit Elie Arié, Mais ce coût n’est peut-être pas trop élevé si c’est le prix à payer pour maintenir un système de valeurs qui a ses mérites, celui de la non-commercialisation du vivant, principe attaqué aujourd’hui de toutes parts."
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Une information passée inaperçue : à partir de ce lundi 2 février, l'Etablissement français du sang n'a plus le monopole du don du sang. L'ouverture à la concurrence modifiera son modèle économique et les volontaires pourraient être rémunérés.

Le don gratuit de sang était, de plus en plus, une spécificité française : dans près de 70 % des pays développés, le don de sang est rémunéré depuis longtemps – de l’ordre de l’équivalent de 50 € en moyenne.
Cette rémunération est économiquement logique , car, paradoxalement, la collecte de sang gratuit revient plus cher que celle du sang payant : il faut régulièrement motiver des donneurs par de coûteuses campagnes de communication, mobiliser des camions et du personnel de collecte en différents endroits où ils n’accueilleront parfois qu’un seul donneur par heure, etc. ; alors que, pour le don de sang rémunéré , il suffit de les convoquer : « Si vous voulez toucher 50 € , présentez-vous tel jour, à telle heure, à tel endroit ».
(Ceci explique, au passage, le scandale du sang contaminé en France, où on a continué à faire des prélèvements de sang dans des collectivités telles que les prisons, où un déplacement unique d’un seul camion pouvait recueillir des dizaines de dons bénévolespassant outre à une circulaire du Directeur Général de la Santé de l’époque, le professeur Roux, qui avait interdit les collectes en prison où la proportion de donneurs séropositifs parce que toxicomanes est toujours beaucoup plus élevée que dans la moyenne de la population.)
Mais on voit bien – ou, plutôt, on ne voit pas assez bien - qu’avec le passage du don bénévole au don rémunéré, nous basculons dans un autre système :
  • les donneurs ne seront désormais que les seuls citoyens les plus pauvres : on se doute bien que MM. Serge Dassault, Matin Bouygues ou Bernard Arnault ne se précipiteront pas pour donner leur sang afin de toucher leurs 50 € ; cette rémunération ne pourra motiver que ceux pour lesquels elle constitue un apport non insignifiant pour leur budget ;
  • une fois lancé, on ignore où le système s’arrêtera : pourquoi ne pas imiter l’Inde, où les plus pauvres vendent souvent un de leurs reins afin qu’il soit transplanté chez les malades les plus riches et qui peuvent les payer , les médecins n’étant alors plus que des intermédiaires dans un marché d’organes régulé par la seule loi de l’offre et de la demande ?
Oui, le don gratuit a un coût financier : dans un marché mondial évalué à quelque 12 milliards d'euros, la concurrence continuera à gagner des parts de marché en France. Déjà 40 % des médicaments dérivés du sang achetés par les hôpitaux français sont composés de sang provenant de donneurs rémunérés de pays étrangers , selon les estimations du député PS de l'Isère Olivier Véran, dans un rapport de 2013.
Mais ce coût n’est peut-être pas trop élevé si c’est le prix à payer pour maintenir un système de valeurs qui a ses mérites, celui de la non-commercialisation du vivant, principe attaqué aujourd’hui de toutes parts ( Gestation pour autrui, dit « mères porteuses », par exemple.) Toute société est fondée sur des valeurs, et si je n’aime pas le terme de « sacré », à la connotation trop religieuse, il faut être conscient des lignes jaunes dont le franchissement nous fait basculer dans un autre système . C’est , je le crains, le cas pour cette décision à courte vue de diminution des coûts, imposée par la logique de rouleau compresseur de la mondialisation de l’économie .
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