vendredi 27 mars 2015

Vote blanc et nul : jusqu'à quand fermerons-nous les yeux ? (Marianne)

Jérémie Moualek
Jérémie Moualek est chercheur en sociologie politique (Centre Pierre Naville – Université d’Evry). Il poursuit actuellement une thèse sur le vote blanc et nul.
Pour l'universitaire Jérémie Moualek, le vote blanc "compté mais non comptabilisé dans les suffrages exprimés, demeure un geste électoral non commenté". A tort : car une nouvelle fois, écrit-il, il "a fait mouche" en séduisant un peu plus de 700 000 électeurs. Ajouté au vote nul, poursuit-il, on dépasse même le million et le score enregistré par "bon nombre de formations politiques"...
DAMOURETTE/SIPA
Le vote blanc, censé être reconnu depuis le 1er avril 2014, n’attire toujours pas les commentaires post-électoraux. Compté mais non comptabilisé dans les suffrages exprimés, il demeure un geste électoral non commenté. Mais, comment reprocher aux journalistes de ne pas s’atteler à un sujet synonyme souvent d’incompréhensions et obligeant à des calculs électoraux imparfaits ?
Pourtant, de nouveau, le vote blanc a fait mouche : 703 879 voix et 3,29 % des votants. Et, si on lui ajoute - donc - le chiffre du vote nul (en grande partie, des votes blancs « dans l’esprit » ou « à message »), l’ampleur du phénomène ne fait plus aucun doute :
Vote blanc (703 879 ; 3,29%) + Vote nul (343 454 , 1,60%)
= 4,89% des votants (1 047 333).
Un chiffre global dans la lignée des scrutins précédents que sont les européennes et les municipales (1) et qui supplante assez franchement les scores réalisés lors des dernières élections similaires (alors appelées « cantonales »).
Et, pendant qu’on disserte sur la fâcheuse tendance au surpoids du Front national et sur les balbutiements de la gauche, on en oublie que le vote blanc (seul) dépasse un bon nombre de formations politiques comme Europe écologie - Les Verts, le Parti communiste, Debout la France ou le MoDem. Ajouté au vote nul, il supplante même le Front de gauche ! Le classement (certes imparfait, au regard de la classification imprécise des étiquettes politiques réalisée par le ministère de l’Intérieur) peut-être alors lu comme ceci :
Tout en étant un refus de choisir, le vote blanc et nul est un refus de renoncer à voter. Il s’avère dès lors être un « droit de choisir de ne pas choisir » qui dénote d’une offre politique trop peu différenciée tout comme d’une absence apparente d’alternatives crédibles aux yeux d’électeurs de plus en plus nombreux. Et ce, surtout si l’on y ajoute la majorité des abstentionnistes dont beaucoup, lassés aussi de ne pas voir le vote blanc pris en compte dans les suffrages exprimés, ont fini — par dépit — par déserter les urnes…
D’ailleurs, si l’on regarde les résultats du vote blanc et nul à l’échelle des départements (voir carte ci-dessous), on s’aperçoit que celui-ci obtient ses plus hauts scores lorsque la participation y est bien plus élevée que la moyenne nationale (50,17 %). C’est le cas surtout de l’Aude (57,46 %), l’Aveyron (59,71 %), la Corrèze (59,6 %), la Creuse (58,65 %), le Gers (60,11%) ou le Lot (59,43 %).
De même, le vote blanc et nul est fort dans les territoires où le Front national s’avère le moins attractif (25,24 % des votants au niveau national). Ainsi, les chiffres du parti dans le Gers (10,16 %), la Corrèze (7,89 %), le Cantal (7,09 %), l’Aveyron (12,64 %) ou les Hautes-Alpes (8,89 %) illustrent parfaitement cette tendance (à l’exception notable de l’Aude, où le FN recueille 33,66 % des voix).
Bien évidemment, il faudrait analyser plus en profondeur les arcanes du phénomène pour le saisir avec justesse. Malgré tout, il convenait au moins d’en finir avec la mise sous silence de ses résultats (même une dépêche AFP n’a pas été émise !) ainsi qu’avec l’« euphémisation » de ces derniers (puisque le vote blanc, détaché du vote nul à des seules fins statistiques, en vient à voir son nombre réduit par une distinction dont personne ne comprends les usages concrets dans les urnes).
Au premier tour, plus d’un million de personnes se sont donc déplacés jusqu’aux bureaux de vote alors même qu’elles ne trouvaient pas « bulletins à leur urne » : symboles d’une crise de l’offre politique, ces électeurs semblent être aussi le symptôme d’un système qui ne sait plus susciter l’adhésion et aussi les preuves – parfois – d’une exigence démocratique revendiquée. Combien faudrait-il qu’ils soient pour qu’enfin, au lendemain d’une élection, leur nombre daigne être publié et commenté ?
(1) Du fait de leur mode de scrutin particulier (grands électeurs), les sénatoriales 2014 ne sont pas prises en compte.