« Je suis pas Charlie. Je suis Vaquette. »
Jeudi dernier, nous sommes allés à la rencontre de l’IndispensablE Tristan-Edern Vaquette, afin de nous entretenir avec lui au sujet de son dernier livre, intitulé « Je ne suis pas Charlie. Je suis Vaquette ». Vaquette est un écrivain, un chanteur, un musicien, qui définit lui-même son œuvre par le terme « trash-intello », « pour ceux qui veulent vraiment une étiquette ». En effet, il mélange des idées provocatrices, qui peuvent parfois choquer, avec des idées complexes, qui amènent à la réflexion, et c’est cela, entre autres, qui rend tout étiquetage particulièrement difficile.
Sa carrière musicale démarre au milieu des années 90, dans la scène underground du rock alternatif français, sa carrière littéraire débute de manière laborieuse, il explique d’ailleurs les déboires qu’il a pu connaitre dans sa recherche d’un premier éditeur dans une série de vidéos intitulée « Une histoire de censure ». Il est toutefois l’auteur d’un roman reconnu par les critiques, « Je gagne toujours à la fin » (prix Goya 2003) et il a prévu la sortie d’un second roman, « Du champagne, un cadavre et des putes », qu’il espère achever en 2015.
La démarche de l’artiste n’est pas tout à fait ordinaire, il est devenu à la fois éditeur, graphiste, et écrivain, ce qui le place dans une situation d’indépendance à l’égard des maisons d’édition ; il revendique clairement, puisque cela lui permet de conserver un discours franc, à la fois dans sa parole et son écriture. Nous avons donc souhaité l’interviewer au sujet de son dernier livre, ainsi que de son parcours plutôt atypique – ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un libertaire interdit d’antenne chez Radio Libertaire -, mais nous avons aussi discuté de Charlie Hebdo, de liberté d’expression en France, et de la direction que prend notre société aux allures extrêmement normatives.
Dans son livre, l’auteur a montré la volonté d’éclaircir la situation, en faisant preuve de beaucoup de pédagogie, en même temps que d’insolence ; en effet si certains sont encore Charlie, ou prêchent toujours le fait de l’être, alors ce livre leur est sans nulle doute adressé en pleine face. C’est un souci de cohérence intellectuelle qui anime cet ouvrage, une volonté ferme de ne jamais employer de double discours, et d’être toujours en accord avec ses idéaux et ses principes, les principes étant « le squelette qui fait tenir droit plutôt que courbé un individu » selon Vaquette. C’est donc dans cette optique que Vaquette revient sur les origines de Charlie Hebdo, qui trouve sa source dans la censure de Hara-Kiri, il rappelle d’ailleurs à tous le côté insolent des fondateurs de ce journal jadis subversif. Il nous rafraichit d’ailleurs la mémoire, en revenant sur que ce qui fonda « l’esprit Charlie » c’est-à-dire la couverture qui valut au journal l’interdiction, puisqu’il faisait un trait d’humour sur la surmédiatisation de la mort du général de Gaulle, en titrant « Bal tragique à Colombey, un mort » ; un crime de lèse-majesté sous la Vème République.
Ce trait d’humour avait autant déplu aux puissants de l’époque que le « Je suis Charlie Coulibaly » de Dieudonné, et les ennuis judiciaires liés à leur esprit impertinent étaient du même ordre : la censure. Vaquette n’est pas d’accord avec la démarche de Dieudonné, toutefois il est formellement contre sa censure, c’est donc dans un souci de clarté que l’auteur a voulu aller au plus profond des idées qui l’animent, afin de ne pas laisser stagner en surface des propos qui méritent d’être analysés dans leur entièreté. Il dénonce ainsi la « dictature de l’émotion médiatique », qui amène les foules à défiler pour une cause à laquelle parfois ils n’adhèrent pas, soit parce qu’ils ne l’ont pas comprise dans sa totalité, soit par mauvaise foi. On peut en effet se demander à juste titre quelle était la liberté d’expression que pouvait bien défendre le cortège des « élites » qui défilait au côté de Porochenko ou de Netanyahou.
Vaquette précise dans son ouvrage que c’est avant tout « le contrôle social par la peur » qui est l’une des raisons principales pour expliquer pourquoi il n’est pas Charlie. Une autre raison est l’indécence de ceux qui sont Charlie, et selon l’auteur : « prétendre depuis la première heure que le combat mené par les Charlie est la défense de la liberté d’expression alors qu’au bas mot 99% d’entre eux et la totalité des personnalités qui se sont érigées en porte-parole de cette grand-messe collective la refusent, la méprisent et la détestent, c’est simplement à dégueuler ». Lui défend d’ailleurs la liberté d’expression totale, sauf en cas d’appel direct aux actes violents, une idée qu’il développe plus en détail dans son livre. Son analyse des faits l’amène à conclure qu’au final « être Charlie, c’est être Philippe Val : utiliser cyniquement une marque rebelle en la vidant de toute sa substance ».
C’est d’ailleurs cette hypocrisie totale, se démasquant sans cesse dans ce « deux poids deux mesures » systématique, qu’il met en lumière dans son ouvrage, au travers de tirades provocatrices comme celle-ci : « la liberté d’expression ça consiste à cracher sur les Arabes […] pas à soutenir des thèses historiques contestables dans un cadre universitaire ». Au cours de l’interview Vaquette rappelle qu’il se positionne du côté des dominés sociaux, son analyse l’amène à conclure, au sujet des manifestations du 11 Janvier, que « cette dénonciation du terrorisme qui ne devait s’adresser une fois encore qu’à tout au plus un millier d’activistes réellement susceptibles de passer à l’acte, déborde très largement cette infime minorité et qu’elle s’étend le plus naturellement du monde à tous les barbus et toutes les femmes voilées mais aussi […] à n’importe quel jeune des cités […] ». Dans un style toujours très insolent, il met toutefois en exergue la montée des agressions faites aux musulmans, ayant fait suite aux tueries de Charlie Hebdo, et explique les raisons de cette paranoïa collective qui a eu lieu dans les jours qui ont suivis.
L’IndispensablE aborde une notion qui n’est pas nouvelle, celle de la « fracture sociale » de Jacques Chirac, théorisée plus récemment sous le nom d’« apartheid » par Manuel Valls, et il cherche à comprendre la cause de l’exclusion sociale des jeunes des cités, et la stigmatisation qui en est faite par les médias, sans tomber, comme il le rappelle au cours de l’interview, dans la politique de l’excuse. Et c’est ainsi qu’il parle de cette division dans une allégorie, où l’on observe « cette France qui rentre en boîte de nuit et qui n’a pas envie que ceux qu’on laisse dehors viennent foutre la merde et que la soirée parte en live ». Vaquette n’est toutefois pas aussi fataliste que nos dirigeants, en effet il proclame que selon lui, « la seule réponse véritablement efficace consisterait en un bouleversement social et urbanistique qui ne sera jamais […] mis en œuvre si tant est qu’il soit concrètement réalisable par-delà les vœux pieux, alors au moins peut-on tenter d’agir […] ça ne coûte que du courage intellectuel, moral et politique […] ».
La lecture de cet ouvrage permettra alors de revenir sur des évènements qui ont été hyper-médiatisés, qui sont encore d’actualité, et qui ont d’une façon ou d’une autre modifié les règles en matière de liberté d’expression, de surveillance, et de comportement dans la société. En effet, c’est une étude en profondeur qui est menée sur les implications du 7 Janvier 2015, sa signification pour le peuple de France, et surtout la récupération politique qui a été orchestrée, ou « mise en scène »pour reprendre la formulation de Jacques Attali, qui est sans doute plus familier du champ lexical du spectacle.
Et la question qu’il est essentiel d’avoir en tête lorsque l’on souhaite trouver le responsable d’un crime, et surtout si l’on aime cultiver le doute comme Vaquette appelle à le faire, c’est « A qui profite le crime ? ». Alors, au lieu d’appeler à l’exécution des responsables les plus directs de la mort des journalistes de Charlie Hebdo, l’auteur nous invite à nous interroger sur la situation dans laquelle ceux ci ont été plongés, et ce qui a pu les pousser à agir de la sorte, tout en infirmant sans équivoque les idées de l’islamisme radical, ceci afin de mettre en lumière les facteurs et les décisions politiques qui ont amenés aux tueries, regrettables, et condamnables évidemment, comme le rappelle l’IndispensablE à de multiples reprises dans son ouvrage, ainsi qu’au cours de l’interview, et cela toujours dans un souci de pédagogie et de cohérence intellectuelle.
Arby