mardi 21 avril 2015

Le recel de chaises est-il un délit plus grave que la fraude fiscale ? (basta)

Le recel de chaises est-il un délit plus grave que la fraude fiscale ?

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Perquisition de locaux, multiples convocations au commissariat : le police déploie de grands moyens pour retrouver les chaises « réquisitionnées » par l’association Bizi dans les locaux d’HSBC. Il y a deux mois, les militants du groupe altermondialiste basque Bizi se sont emparés de huit chaises à l’agence HSBC de Bayonne (lire ici et ). Une « réquisition citoyenne », pour protester contre le système d’évasion fiscale mis en place par une filiale de la banque HSBC, qui aurait « détourné en à peine cinq mois 180 milliards d’euros à l’échelle internationale ». Les militants de Bizi ont promis de rendre les chaises quand HSBC aura remboursé les 2,5 milliards d’euros perdus par l’État français dans cette affaire. Ils n’imaginaient pas le zèle de la police pour retrouver ces chaises, suite à la plainte déposée par la direction de l’établissement bancaire.
Trois chaises ont finalement été récupérées par la police au local de Bizi depuis le 12 février, journée de l’action. Mais les cinq autres sièges fauchés ont été remis à des associations et personnalités engagées dans la lutte contre l’évasion fiscale. Alors que la police compte bien entendre ces « receleurs », ces derniers mettent en place une chaine de solidarité. Le philosophe Patrick Viveret, magistrat honoraire à la Cour des comptes, a ainsi transmis le 8 avril un siège HSBC au sociologue Edgar Morin. D’autres personnalités – l’écrivaine et militante altermondialiste Susan George, le sociologue Alain Caillé et l’ancien résistant et économiste Claude Alphandéry – se sont aussi engagées à héberger le siège recherché par le parquet de Bayonne à tour de rôle. « Si les mêmes moyens étaient utilisés dans ce domaine [la lutte contre l’évasion fiscale], des dizaines et des dizaines de dirigeants de banques et de multinationales seraient aujourd’hui en garde à vue, ou sous les verrous », s’insurge Txetx Etcheverry, de Bizi.
De l’amende à la prison ferme
Parallèlement aux importants moyens déployés pour rechercher ces cinq chaises, la justice avance dans le cadre de l’enquête visant la filiale suisse du groupe bancaire. La maison-mère, HSBC Holdings, a été mise en examen le 8 avril à Paris pour « complicité de blanchiment de fraude fiscale aggravée » et pour « complicité de démarchage illicite ». La holding s’est vue infliger une caution d’un milliard d’euros, à payer avant le 20 juin. Cette somme correspond à environ la moitié des fonds qui auraient fait l’objet de dissimulation au fisc français, selon l’évaluation des juges, soit au total 2,2 milliards d’euros – un chiffre que conteste la banque. Cette caution doit garantir le paiement d’une éventuelle amende lors d’un futur procès. Le groupe a annoncé son intention de faire appel de cette mise en examen et de la caution demandée.
Arlette Ricci, cliente de HSBC Private Bank, dont le nom est apparu dans les listings Falciani [1], a par ailleurs été condamnée le 13 avril à trois ans de prison, dont un an ferme, pour fraude fiscale portant « atteinte exceptionnelle au pacte républicain ». L’héritière des parfums Nina Ricci s’est vue aussi ordonner par le tribunal la confiscation d’une maison à Paris et d’une propriété en Corse, estimées à 4 millions d’euros. Le fisc français lui réclame plus de 10 millions d’euros au titre des impôts sur les revenus et sur la fortune. Les avocats d’Arlette Ricci ont indiqué qu’ils attendaient d’avoir pris complète connaissance du jugement pour décider d’un éventuel appel.
L’association Bizi assure de son côté qu’elle poursuivra son action contre l’évasion fiscale, qui coûte chaque année 1000 milliards d’euros aux recettes publiques européennes [2]. « Alors même que l’argent manque cruellement pour financer la lutte contre le changement climatique ou les politiques sociales, rappelle Txetx Etcheverry, notre action vise à ouvrir le débat sur cette situation inacceptable. Nous en assumerons sereinement toutes les conséquences ».
Sophie Chapelle
Photos : CC Bizi