Yan HAMARD
On vit une époque formidable, le patron de Renault (où l’Etat conserve une
part), va toucher 7,2 millions d’euros pour l’année 2014, un quasi triplement de
sa rémunération de 2013 (2,67 millions), et comme Carlos Ghosn, puisque c’est de
lui qu’il s’agit, va également recevoir à peu près la même somme chez Nissan, ce
patron pèse donc la bagatelle de 800 SMIC ! Il faut se souvenir qu’il y a plus
de 20 ans, le salaire de Raymond Lévy, alors patron de la Régie, représentait
moins de 20 fois le SMIC de l’époque !
Pire encore, il ne faut pas oublier qu’il y a 20 ans, le taux marginal
d’imposition était de 56,8%, et non de 45%, comme aujourd’hui, ce qui fait que
les très hauts salaires sont doublement gagnants : non seulement leur montant a
explosé, mais les impôts sont plus légers (il ne faut pas oublier ici que les
très « communistes » États-Unis de Nixon avaient encore un taux d’imposition sur
le revenu marginal supérieur à 70%) ! Voici une illustration bien concrète de ce
que dénoncent Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Camille Landais dans leurs
travaux. Aux Etats-Unis, 95% de la croissance depuis 2009 est allée à 1% de la
population alors que les revenus de 99% de la population stagnent depuis 40
ans.
Un autre patron a provoqué le scandale, celui de Radio France, Mathieu
Gallet, qui en prônant la rigueur, et envisageant de drastiques réductions
d’effectifs, s’est offert une rénovation de son bureau pour la modique somme de
105 000 euros, et il n’y est pas allé de main morte, le PDG du service public :
72 000 euros ont été consacrés à la restauration des boiseries, une partie des
murs étant plaquée de boiseries précieuses en « bois de rose », bois exotiques
rare et cher que l’on utilise plutôt pour la marqueterie, ou à la fabrication
d’instruments de musique. Ces gens là sont vraiment déconnectés des réalités des
Français !
Quittons le monde de l’entreprise pour visiter celui des élus où l’on a
appris que les députés, en toute discrétion, et à l’unanimité, Front National y
compris, s’étaient offert récemment un joli cadeau aux frais du contribuable. En
effet, ils ont décidé le doublement de la durée de leur indemnisation en cas de
défaite électorale, confirmant le proverbe « on n’est jamais si bien servi que
par soi même ». C’est entre autre pour cela que les élus devraient être
révocables ...
Les ministres ne sont pas en reste et leurs rémunérations, ainsi que celles
de leurs conseillers atteignent des sommets, et en 2013 elles frôlaient déjà les
85 millions d’euros, ce qui représente 1,30 € par français, les primes dépassant
les 20 millions d’euros, soit une hausse de 3% par rapport à 2012, hausse dont
aimeraient bien profiter aussi les travailleurs. Tant que la politique sera un
métier et les mandats non limités en nombre et en durée ...
Enfin, de toutes les façons, comment justifier qu’un homme puisse gagner 400
ou 800 fois plus qu’un autre ? N’avons-nous pas atteint des sommets d’indécence,
sans s’en rendre compte ? Comment pouvons-nous continuer à voter pour des élus
plus préoccupés par leur propre rémunération et leur carrière que le bien
public ? Comment écouter le discours du Medef qui préconise de baisser les
salaires et augmenter le temps de travail ? Comment faire abstraction des 250
milliards d’aides et subventions publiques accordées au secteur privé et dont
profitent presque exclusivement les grandes entreprises qui rémunèrent grâcement
leur PDG et actionnaires ?
Pour finir, une petite anecdote : Mélissa Deramecourt est caissière dans un hypermarché Auchan.
Son mari est manutentionnaire dans le même établissement. Ils n’ont pas
d’enfants. Ils payent 650 euros d’impôts sur le revenu par an. Leur employeur,
Gérard Mulliez, gagne un milliard d’euros par an. Il réside en Belgique dans le
célèbre village qui a accueilli Gérard Depardieu, cet autre grand patriote. Il a
payé cette année 135 euros d’impôts sur le revenu. La société de Gérard Mulliez
est imposée à 1% sur les bénéfices.
Mais au final, les truands ne sont ni Mulliez, ni Depardieu ou leurs
condisciples, les vrais coupables ce sont les gouvernants européens qui
permettent et organisent ce type de scandale. Le plus effarant dans notre
époque, c’est que nos sociétés se révèlent pour le moment largement incapables
de réagir devant cette envolée des inégalités, qui ne trouve aucune véritable
traduction politique, les citoyens ont intériorisé l’idée que l’on ne peut pas
faire autrement et sont complètement résignés.
« Si tu ne participes pas à la lutte, tu participes à la défaite »... B.
Brecht
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http://www.legrandsoir.info/l-indecence-d-une-epoque.html
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