Georges BERGHEZAN
A la demande du procureur général d’Égypte, Interpol a diffusé, dans le
courant de février 2015, une note accusant le Libyen Abdelhakim Belhadj d’être
le chef de la filiale maghrébine l’État islamique (Daesh), organisation qui
tente de profiter du chaos en Libye pour conquérir de nouveaux
territoires.
Belhadj est loin d’être un inconnu des services secrets occidentaux et de
leur bras armé, l’OTAN. Sa carrière pose de nombreuses questions sur les liens
troubles qui ont uni, et probablement, unissent toujours ces derniers aux
milieux islamistes les plus violents et autres djihadistes.
Dans les années ’80, Belhadj combat les Soviétiques en Afghanistan,
probablement recruté par le réseau de Ben Laden, soutenu par l’Arabie saoudite,
le Pakistan et la CIA. Revenu en Libye, il participer à la fondation du Groupe
islamique combattant en Libye (GICL), dont il deviendra un de ses « émirs », et
tente, à quatre reprises entre 1995 et 1998, d’assassiner Mouammar Kadhafi, pour
le compte du MI6 britannique, le service extérieur de sa Gracieuse Majesté. Il
se réfugie ensuite auprès de Ben Laden, en Afghanistan, jusqu’à ce que les
attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis, revendiqués par Al-Qaida, le forcent
à fuir à travers divers pays. Il est arrêté en mars 2004 en Malaisie, transféré
et torturé dans une prison secrète de la CIA en Thaïlande, puis rapatrié de
force en Libye, où il est à nouveau torturé, mais sous la supervision de ses
anciens amis du MI6 cette fois. Selon le Premier ministre espagnol, Aznar, il
aurait été impliqué dans les attentats de Madrid, survenus quelques jours après
son arrestation.
Sous la promesse de renoncer à la lutte armée, Belhadj quitte en mars 2010
les geôles libyennes, en compagnie de près de 200 autres islamistes, et prend le
chemin du Qatar. Une année plus tard, il est de retour pour participer à
l’insurrection qui secoue son pays. Après la chute de Tripoli, il est nommé
gouverneur militaire de la capitale, sur proposition de l’OTAN, qui n’a pas
encore cessé de pilonner le pays. Accordant de nombreuses interviews à la presse
occidentale, qui le décrit souvent comme un « ancien djihadiste » devenu
« combattant de la liberté », parfois même comme un « modéré », il fait l’éloge
de la France, mais porte plainte contre la Grande-Bretagne à laquelle il ne
pardonne pas le traitement que lui a infligé le MI6.
La même année, il se rend en Syrie, pour combattre au sein de l’Armée
syrienne libre, la faction choyée par le camp occidental pour déstabiliser le
pays. De retour en Libye, il tente de se lancer dans la politique en créant son
parti, le Hizb al-Watan. Mais, si le soutien financier, d’origine qatarie, est
abondant, le soutien populaire fait défaut, et Abdelhakim n’est pas élu aux
élections constituantes de juillet 2012. Malgré cet échec, il consolide son
pouvoir à Tripoli et demeure, aux yeux des Occidentaux au moins, un
partenaire-clé, puisqu’il est reçu au Quai d’Orsay, le ministère français des
Affaires étrangères, quelques semaines avant les élections législatives de juin
2014.
Après ces élections, il se joint à la coalition de milices islamistes et
tribales, Fajr Libya, qui n’en reconnait pas les résultats et s’empare de
l’ouest du pays. Depuis, de violents combats opposent Fajr Libya aux forces
dites « loyales » du gouvernement issu des dernières élections et siégeant à
Tobrouk, à l’extrême-est de la Libye.
La situation devient encore plus chaotique au début 2015 lorsqu’une faction,
se réclamant de l’Etat islamique, fait scission de Fajr Libya et se met à
combattre ses anciens alliés, notamment à Syrte. Elle se fait connaître du grand
public en décapitant 21 Egyptiens, coupables d’être de rite copte, et espère
manifestement engranger financement, armes et combattants en capitalisant sur la
sinistre renommée du « commandement central », qui contrôle de vastes
territoires en Syrie et en Irak. C’est donc cette nouvelle faction que
dirigerait, selon la justice égyptienne, Abdelhakim Belhadj.
La barbarie de l’Etat islamique et les attentats qu’il perpètre en Occident
risquent-ils de mettre fin à cette alliance ? A en croire les allégations
d’élus, de l’armée et des services secrets irakiens, cela ne semble pas à
l’ordre du jour. En effet, depuis plusieurs mois, il est question de
parachutages d’armes par des avions britanniques et étatsuniens à destination de
l’Etat islamique. A une reprise, près de Kobane, en Syrie, les Etats-Unis ont
reconnu un tel parachutage, mais qu’ils auraient commis « par erreur ».
Quoi qu’il en soit, la carrière d’Abdelhakim Belhadj, de l’Afghanistan à la
Libye, avec un crochet par la Syrie, est l’illustration vivante de l’alliance
tumultueuse entre les tenants de l’« ingérence humanitaire » occidentale et les
djihadistes, nouée il y a plus de trente ans. Il n’y a guère qu’en
Bosnie-Herzégovine, où l’OTAN et les Etats-Unis avaient facilité l’envoi de
milliers de moudjahidines, dont des membres d’Al-Qaida, pendant la guerre
civile, où Belhadj ne semble n’avoir jamais mis les pieds. La Bosnie qui est
devenue aujourd’hui le principal contributeur européen, relativement à sa
population, en mercenaires combattant au sein de l’Etat islamique...
Georges Berghezan
Article publié simultanément dans Alerte OTAN ! n° 56, bulletin du Comité
de surveillance OTAN
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http://www.legrandsoir.info/un-protege-de-l-otan-a-la-tete-de-l-etat-islamique-en-libye.html
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