40 Milliards de profits en 6 mois : et si les patrons du CAC 40 les rendaient aux salaires et à l'emploi ?
Sébastien Crépel, Yves Housson,
Olivier Morin, Cécile Rousseau, et lucien san biagio
Jeudi, 3 Septembre, 2015
L'Humanité
Profitant de la baisse de l’euro et du pétrole, mais aussi en écrasant les salaires et en comprimant l’emploi,
les grands groupes ont explosé leur niveau de profits au premier semestre. Loin de s’en servir pour augmenter l’investissement productif, ils usent de cette manne pour choyer davantage les marchés financiers.
En six mois, au premier semestre 2015, 38 des grands groupes du CAC 40 ont réalisé 39,5 milliards d’euros de bénéfice net. Près de 11 milliards de plus qu’en 2014, dans la même période. Soit une hausse de plus de 37 %. Cette reprise des profits offre un contraste saisissant avec les « performances » de l’économie nationale (0 % de croissance au 2e trimestre, après un petit 0,7 % au 1er) et la situation de l’emploi (200 000 chômeurs supplémentaires au 2e semestre). À l’évidence, les profits de nos « champions » ne sauraient être interprétés comme le signe de la reprise tant attendue. Que traduisent-ils alors ? S’ils tirent avantage de la baisse de l’euro, du prix du pétrole et des taux d’intérêt, les groupes engrangent aussi les fruits vénéneux de leur politique de dévalorisation du travail, traduites en pression incessante sur l’emploi et les salaires, comme le souligne l’économiste Nasser Mansouri Guilani.
Idé
Et rien ne laisse augurer un changement de cap. Plutôt qu’à revaloriser les salaires (excepté ceux des hauts dirigeants) et investir dans l’appareil productif, les groupes, « concentrés sur l’amélioration de leur rentabilité », selon un analyste financier, comptent utiliser ces montagnes de profits pour satisfaire leurs actionnaires. Avec la caution du gouvernement qui poursuit sans condition le versement de 41 milliards de fonds publics aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité…
Carrefour : pressure les salaires, régale les actionnaires
Le numéro un de la grande distribution se targue de la « forte croissance », au premier semestre, de son profit (+ 17,7 %). Ses ventes ont enregistré une progression limitée, de 2,9 % à l’échelle mondiale, 1,8 % en France. Des résultats obtenus grâce aux efforts de ses salariés, guère payés en retour : leur rémunération, dans les hypermarchés, augmente en moyenne de 1 % cette année. Leurs effectifs diminuent (4 165 emplois en moins en France depuis trois ans), et l’emploi ne cesse de se précariser (CDD et temps partiel représentant environ la moitié de la force de travail, de source syndicale). En revanche, la générosité du groupe envers les actionnaires ne se dément pas : ils ont reçu cette année près de la moitié du bénéfice réalisé en 2014. Près de 500 millions d’euros. Ce qui n’a pas empêché le groupe d’empocher 340 millions d’euros d’aides publiques (exonérations de cotisations et CICE)…
Peugeot et Renault : sur le dos de ceux qui produisent
Chez Renault, les choses sont claires pour Fabien Gâche, coordinateur des syndicats CGT : « L’augmentation du résultat net de 86 % chez Renault ne correspond pas à une augmentation des volumes vendus. » Quant au taux de profit, il a pu connaître une évolution grâce à l’accord de compétitivité signé le 13 mars 2013 : gel de salaires, pression sur les sous-traitants équipementiers, augmentation du temps de travail et diminution des effectifs. Fabien Gâche précise : « L’entreprise comptait 28 773 salariés à la fin 2013 et nous n’étions plus que 26 605 en décembre 2014. » Et d’ajouter : « Dans les 343 millions de marges opérationnelles annoncées par la direction, 219 millions au moins proviennent d’économies. »
Même chose chez Peugeot, dont le retour dans le vert « est la conséquence directe des sacrifices imposés par la direction à travers l’accord de compétitivité, indique la CGT. Depuis le 1er janvier 2013, plus de 14 800 emplois ont été supprimés dans les usines en France avec une production annuelle inchangée de 1 million de véhicules ».
Michelin : profits gonflés, salaires aplatis
Bibendum engrange des profits en nette hausse (+ 13,3 %) sur 2014, fruits d’une croissance limitée de ses ventes, d’un fort impact positif des parités de change, comme la firme le relève, mais aussi – ce qu’elle ne dit pas – d’une pression accrue sur la force de travail. La réduction des effectifs « s’accélère à vitesse grand V », pointe Serge Allègre, syndicaliste CGT, rappelant la suppression de 726 emplois lors de l’arrêt de l’activité poids lourds sur le site de Joué-lès-Tours. Quant aux salaires, ils sont maintenus en 2015, comme les dernières années, au régime sec (+ 0,6 %). À la différence des actionnaires qui, note la CGT, ont vu leur enveloppe de dividendes (464 millions cette année) augmenter de 315 % depuis 2010 !
Société générale : chasse aux « coûts » salariaux
Bénéfice net en augmentation de 25 % pour le deuxième trimestre, et un résultat net au premier semestre qui explose pour la Société générale (SG). « Cela aurait pu être le signe d’une légère trêve des restrictions budgétaires, pour permettre aux salariés de souffler un peu, espérait la CFDT. Mais il en a été décidé autrement… » La banque a en effet annoncé le lancement d’un nouveau « plan d’économies » de 850 millions d’euros, salué par un bond de 8 % de l’action en Bourse le jour même. Le détail n’a pas encore été dévoilé. Mais « il y a aura forcément des incidences sur l’emploi », estime Jean-Pierre Clauzel, du Syndicat national des banques SNB-CFE-CGC. D’autant que la SG « a empoché en 2014, 38 millions de CICE et 26 millions en 2013 », souligne la CGT. Un précédent plan, lancé en 2012, a porté sur 870 millions d’euros. L’emploi en a fait fortement les frais, selon la CGT, qui déplore les « délocalisations, externalisations, suppressions d’emplois par centaines et la réduction de la présence d’agences et de personnel dans le réseau » depuis 2008.
Orange : la croissance sans l’emploi
Douze millions de nouveaux clients, un bénéfice net en hausse de 89,2 %, Orange retrouve le chemin de la croissance pour la première fois depuis 2011. Mais zéro augmentation de salaire et des coupes gigantesques dans les effectifs. Plus de 6 000 emplois ont été supprimés l’année passée dans le monde, dont 3 500 en France. L’objectif est de réaliser via un plan nommé « Chrysalide » 3 milliards d’euros d’économies d’ici 2020. « Ils ne recrutent pas assez, misent tout sur la digitalisation et la sous-traitance, explique Ghislaine Coinaud », représentante de la CGT au conseil d’administration. Ce qui n’a pas empêché l’entreprise de toucher 190 millions de CICE entre 2013 et 2014, et 33 millions de crédits impôt recherche sur trois ans.
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