mardi 15 septembre 2015

[Démocratie Kaput 1] Comment Bruxelles a mis l’Europe sous tutelle (1992-2005) (les crises)

[Démocratie Kaput 1] Comment Bruxelles a mis l’Europe sous tutelle (1992-2005)

J’étais au courant de ce sujet depuis un moment, mais j’ai quand même été effrayé en le creusant véritablement – c’est même fascinant. Regardez donc à quel point nous avons abdiqué toute liberté sur des sujets fondamentaux, empêchant toute politique alternative (réellement sociale évidemment, mais même réellement libérale ou néolibérale – essayez façon Milton Friedman de faire cesser les politiques délirantes de la BCE pour voir…) au grand n’importe quoi actuel. Je suis assez étonné de constater à quel point les gens – même les plus engagés – sont ignorants de ce sujet, qui est véritablement, et sans exagération, une mise sous tutelle des pays européens, comme on l’a vu en Grèce cette année. Enfin, j’ai voulu que ce billet – que je considère comme fondamental – soit très complet, pour servir de référence. Ce n’est pas le billet le plus sexy du blog, mais c’est probablement le plus important… : il montre comment est morte notre souveraineté. En conclusion, je vous “recommande” (vous comprendrez la plaisanterie après lecture…) donc de largement diffuser ce billet – et de demander des comptes aux rêveurs “d’une autre Europe”…

I. Le début de la mise sous tutelle des États

D’où sort ce système antidémocratique ? On verra qu’il s’est construit à l’européenne, par la politique des petits pas…
La base figure dans les articles 120 et 121 du Traité de Fonctionnement de l’UE :
Article 120
Les États membres conduisent leurs politiques économiques en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 du traité sur l’Union européenne, et dans le contexte des grandes orientations visées à l’article 121, paragraphe 2. Les États membres et l’Union agissent dans le respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des ressources, conformément aux principes fixés à l’article 119.
Vous notez donc que la politique économique du pays n’est évidemment plus autonome, mais doit servir “l’Union” (l’Empire ?) :
Article 121
1. Les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil, conformément à l’article 120.
2. Le Conseil, sur recommandation de la Commission, élabore un projet pour les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l’Union et en fait rapport au Conseil européen.
Rappel : “Conseil” ou “Conseil de l”UE” = conseil des ministres concernés ; “Conseil européen” = conseil des chefs d’États et de gouvernement
Le Conseil européen, sur la base du rapport du Conseil, débat d’une conclusion sur les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l’Union.
Sur la base de cette conclusion, le Conseil adopte une recommandation fixant ces grandes orientations. Le Conseil informe le Parlement européen de sa recommandation.
3. Afin d’assurer une coordination plus étroite des politiques économiques et une convergence soutenue des performances économiques des États membres, le Conseil, sur la base de rapports présentés par la Commission, surveille l’évolution économique dans chacun des États membres et dans l’Union, ainsi que la conformité des politiques économiques avec les grandes orientations visées au paragraphe 2, et procède régulièrement à une évaluation d’ensemble.
Pour les besoins de cette surveillance multilatérale, les États membres transmettent à la Commission des informations sur les mesures importantes qu’ils ont prises dans le domaine de leur politique économique et toute autre information qu’ils jugent nécessaire.
4. Lorsqu’il est constaté, dans le cadre de la procédure visée au paragraphe 3, que les politiques économiques d’un État membre ne sont pas conformes aux grandes orientations visées au paragraphe 2 ou qu’elles risquent de compromettre le bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire, la Commission peut adresser un avertissement à l’État membre concerné. Le Conseil, sur recommandation de la Commission, peut adresser les recommandations nécessaires à l’État membre concerné. Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider de rendre publiques ses recommandations.
Dans le cadre du présent paragraphe, le Conseil statue sans tenir compte du vote du membre du Conseil représentant l’État membre concerné.
La majorité qualifiée des autres membres du Conseil se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point a). [...]
Il est quand même effrayant de lire des choses pareilles…
Si vous pensez que ça sort du traité budgétaire TSCG ou du traité de Lisbonne, perdu… c’est du Maastricht de 1992 (Article 102 A) (merci M. Mitterrand)
On peut aussi citer l’article 126 (ex 104 de Maastricht) :
Article 126
1. Les États membres évitent les déficits publics excessifs.
2. La Commission surveille l’évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique dans les États membres en vue de déceler les erreurs manifestes. Elle examine notamment si la discipline budgétaire a été respectée [...]
7. Lorsque le Conseil [...] décide qu’il y a un déficit excessif, il adopte, sans délai injustifié, sur recommandation de la Commission, les recommandations qu’il adresse à l’État membre concerné afin que celui-ci mette un terme à cette situation dans un délai donné. Sous réserve des dispositions du paragraphe 8, ces recommandations ne sont pas rendues publiques.
9. Si un État membre persiste à ne pas donner suite aux recommandations du Conseil, celui-ci peut décider de mettre l’État membre concerné en demeure de prendre, dans un délai déterminé, des mesures visant à la réduction du déficit jugée nécessaire par le Conseil pour remédier à la situation. [...]
10. Les droits de recours prévus aux articles 258 et 259 ne peuvent être exercés dans le cadre des paragraphes 1 à 9 du présent article.
11. Aussi longtemps qu’un État membre ne se conforme pas à une décision prise en vertu du paragraphe 9, le Conseil peut décider d’appliquer ou, le cas échéant, de renforcer une ou plusieurs des mesures suivantes: [...]
- exiger que l’État membre concerné fasse, auprès de l’Union, un dépôt ne portant pas intérêt, d’un montant approprié, jusqu’à ce que, de l’avis du Conseil, le déficit excessif ait été corrigé;
- imposer des amendes d’un montant approprié. [...]
Lorsque le Conseil adopte les mesures visées aux paragraphes 6 à 9, 11 et 12, il statue sans tenir compte du vote du membre du Conseil représentant l’État membre concerné.
Il faut avouer que c’est quand même très surprenant que tant de personnes aient pu appeler a voter OUI à ça en 1992…
Mais vous aurez noté que cela n’a pas entraîné de grands changements à l’époque. C’est vrai – mais c’est parce qu’il a fallu un grand nombre de « petits pas » pour mettre en place cette tutelle…

II. 1997, ils passèrent la deuxième couche

Comme les États se “disciplinaient” peu, la résolution du Conseil Européen relative au Pacte de stabilité et de croissance (aaah, la novlangue…) fut signée à Amsterdam, le 17 juin 1997 (merci M. Jospin) :
LES ÉTATS MEMBRES:
1. s’engagent à respecter l’objectif budgétaire à moyen terme d’une position proche de l’équilibre ou excédentaire, conformément à leurs programmes de stabilité ou de convergence, et à prendre les mesures budgétaires correctrices qu’ils jugent nécessaires pour atteindre les objectifs énoncés dans leurs programmes de stabilité ou de convergence dès qu’ils disposent d’informations indiquant un dérapage sensible, effectif ou prévisible, par rapport à ces objectifs; [...]
3. s’engagent à prendre les mesures budgétaires correctrices qu’ils jugent nécessaires pour atteindre les objectifs de leurs programmes de stabilité ou de convergence lorsqu’ils reçoivent un avertissement sous la forme d’une recommandation adressée par le Conseil conformément à l’article 103 paragraphe 4 du traité;
4. mettront en oeuvre les ajustements budgétaires correcteurs qu’ils jugent nécessaires dans les plus brefs délais lorsqu’ils reçoivent des informations indiquant qu’il existe un risque de déficit excessif;
5. corrigeront les déficits excessifs le plus rapidement possible après leur apparition; [...]
7. s’engagent à ne pas invoquer le bénéfice de l’article 2 paragraphe 3 du règlement du Conseil visant à accélérer et clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs, à moins de connaître une grave récession; pour évaluer la gravité de la récession économique, les États membres prendront en principe comme référence une baisse annuelle du PIB réel d’au moins 0,75 %.
En parlant de novlangue, le point 3 vous montre bien au passage le caractère assez peu “facultatif” desdites “recommandations” (les “Richtlinien” avaient laissé un mauvais souvenir…) – “L’Europe la chance” veille :
La procédure concernant les déficits excessifs a ensuite été précisée en 1997 par les règlements 1466/97 et 1467/97 - que je ne développe pas.

III. Puis vint la troisième couche en 2005

Comme ça restait encore beaucoup “mou du genou”, et qu’il fallait renforcer “l’Europe démocratique”, rebelote en 2005 (merci M. Chirac), avec l’adoption par le Conseil d’un rapport intitulé «Améliorer la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance», qui “met à jour et complète le pacte de stabilité et de croissance, dont il fait désormais partie intégrante” :
“Le Conseil confirme que le Pacte de stabilité et de croissance [...], constitue un élément essentiel du cadre macroéconomique de l’union économique et monétaire. En invitant les États membres à coordonner leurs politiques budgétaires et à éviter des déficits excessifs, il contribue à instaurer la stabilité macroéconomique dans l’UE et joue un rôle clé en vue de garantir un faible taux d’inflation et des taux d’intérêts peu élevés, facteurs essentiels d’une croissance économique durable et de la création d’emplois. [...]
Le Conseil convient que l’amélioration de l’efficacité du soutien et de la pression des pairs fait partie intégrante d’un Pacte de stabilité et de croissance réformé. [...] Le soutien et la pression des pairs au niveau de la zone euro devraient être assurés dans le cadre de la coordination effectuée par l’Eurogroupe et fondés sur une évaluation horizontale des évolutions budgétaires au niveau national et de leurs conséquences pour l’ensemble de la zone euro. Cette évaluation devrait être effectuée au moins une fois par an, avant l’été. [...]
Le Conseil invite les États membres, lors de l’élaboration de la première actualisation de leur programme de stabilité/convergence après l’entrée en fonction d’un nouveau gouvernement, à faire preuve de continuité pour ce qui est des objectifs budgétaires approuvés par le Conseil sur la base de la précédente actualisation du programme de stabilité/convergence et à fournir – avec une prévision pour l’ensemble de la législature – des informations sur les moyens et les instruments qu’ils entendent utiliser pour atteindre ces objectifs dans le cadre de la description de leur stratégie budgétaire. [...]
Le Conseil souligne que la procédure concernant les déficits excessifs a pour but d’aider les États membres plutôt que de les sanctionner; il s’agit de les inciter à se conformer à la discipline budgétaire par une surveillance accrue, ainsi que par le soutien et la pression des pairs. En outre, dans le cadre de la procédure de déficit excessif, il y a lieu de distinguer clairement les erreurs de stratégie des erreurs liées aux prévisions. Si toutefois un État membre ne se conforme pas aux recommandations qui lui sont adressées dans le cadre de la procédure concernant les déficits excessifs, le Conseil est habilité à appliquer les sanctions prévues.
Ce rapport entraîne le renforcement de la procédure concernant les déficits excessifs D’abord avec le règlement 1056/2005, “visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs” – un petit bijou dans ses considérants, avec par exemple :
(1) [...] Le pacte de stabilité et de croissance a fait la preuve de son utilité en servant de point d’ancrage à la discipline budgétaire, contribuant ainsi à un niveau élevé de stabilité macroéconomique, assorti d’un faible taux d’inflation et de taux d’intérêt peu élevés, facteurs essentiels d’une croissance durable et de la création d’emplois.
(3) [...] les États membres, le Conseil et la Commission réaffirment leur volonté de mettre en œuvre le traité et le pacte de stabilité et de croissance de manière effective et rapide, avec le soutien et la pression des pairs, et d’assurer la surveillance économique et budgétaire en coopération étroite et constructive afin de garantir la sécurité et l’efficacité des règles du pacte.
Je vous épargne la suite. On a également un règlement 1055/2005, “relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques” qui met en oeuvre la mise à jour du pacte.
Mais tout ceci était encore très limité, reposant surtout sur la surveillance financière des budgets.
Nous verrons dans le billet suivant que le problème a été réglé en 2011…