Par Romaric Godin | 21/09/2015, 12:08 | 2199 mots
La logique du mémorandum va
s'appliquer en Grèce. (Crédits : Reuters) La victoire électorale d'Alexis
Tsipras ne doit pas faire oublier le carcan dans lequel est la Grèce depuis la
signature du mémorandum. Le premier ministre peut-il espérer disposer de plus de
liberté sur la réforme de l'Etat et sur la dette ?
De
façon fort significative, Alexis Tsipras, dans son discours de victoire
dimanche 20 septembre, n'a pas évoqué le mémorandum et les conditions de son
application. Il s'est principalement concentré sur sa volonté de changer la
société grecque, en se débarrassant de la « vulgarité et de la corruption. »
Pourtant, le principal défi auquel le nouveau gouvernement hellénique va devoir
faire face est bien l'application de cet accord signé avec les créanciers le 19
août. Et si la victoire de Syriza et la reconduction de la coalition avec les
Grecs Indépendants dénotent une nette volonté de résistance de la part des
électeurs grecs, il convient de rappeler que cette majorité est bel et bien une
majorité d'application d'un mémorandum signé par Alexis Tsipras.
Un programme tracé d'avance pour
2015 et 2016
Or
cet accord dessine très précisément la tâche du prochain gouvernement en
laissant à ce dernier une capacité d'appréciation quasi-inexistante. En
octobre, conformément au point 2.1 du mémorandum, Alexis Tsipras devra
présenter un collectif budgétaire pour 2015, un projet de budget 2016 et un «
chemin budgétaire » jusqu'en 2019 « soutenus par un paquet de mesures
paramétriques et de réformes structurelles de grande ampleur et crédible. »
Le texte de l'accord décrit une grande partie de ces mesures, notamment une
deuxième réforme des retraites et la suppression de plusieurs subventions.
Une nouvelle réforme des retraites
Le
gouvernement Tsipras III devra donc mettre en place au 1er janvier 2016 une
nouvelle réforme des retraites (article 2.5.1.ii du mémorandum) qui est décrit
très précisément dans l'accord. Parmi ces mesures, on trouve « des
améliorations paramétriques pour établir un lien plus étroit entre les cotisations
et les pensions. » Autrement dit, on se dirige soit vers une nouvelle
augmentation des cotisations, soit faire une nouvelle baisse des pensions, soit
un mélange des deux. Cette réforme devrait aussi confirmer la suppression d'ici
à 2019 de l'EKAS, une prestation complémentaire attribuée aux retraités les
plus pauvres, en commençant, dès le mois de mars 2016 par les 20 % de
bénéficiaires qui touchent le plus. Enfin, l'accord oblige le gouvernement grec
à financer les conséquences de la décision du Conseil d'Etat grec de juin
dernier qui avait cassé les baisses de pension de 2012. Il faut donc, là aussi,
s'attendre à de nouvelles coupes dans les pensions. Le gouvernement grec devra
produire une baisse des dépenses de 1 % du PIB du système en 2016.
La santé et les prestations sociales
sur la sellette
La
lecture du mémorandum laisse également présager d'autres coupes franches,
notamment dans le secteur de la santé et dans ce qui reste de l'Etat providence
grec. En ce qui concerne la santé (article 2.5.2 du mémorandum), le
gouvernement va devoir en décembre 2015 prendre de « nouvelles mesures
structurelles nécessaires pour s'assurer que les dépenses en 2016 soient en
ligne » avec les objectifs. Il devra aussi, en légiférant ce même mois, « améliorer
la gestion financière des hôpitaux. » Concernant l'Etat-providence, le
gouvernement devra lancer une « revue des prestations sociales » en
octobre avec pour but « de créer des économies à hauteur de 0,5 % du PIB par
an. » Le système social sera revue et fond en comble, avec la création d'un
Revenu Minimum Garanti (RMG), mais l'objectif sera bien de réduire les dépenses
et le montant initial de ce RMG sera décidé « en accord avec les
institutions. »
Pour
2015 et 2016, le nouveau gouvernement devra donc mener une politique
d'austérité sévère. Le chemin tracé par le mémorandum ne laisse guère d'espace
de liberté. Les revues vont se succéder, comme entre 2010 et 2015, pour mettre
la pression sur le gouvernement qui, s'il n'applique pas les politiques
prévues, devra craindre pour son financement. La marge de manœuvre est donc, de
ce point de vue, quasi inexistante.
A moyen terme, peu de liberté
A
moyen terme, le gouvernement grec n'aura pas davantage de liberté dans la
détermination de sa politique. Son chemin budgétaire est tracé d'ici à 2018
avec des objectifs d'excédent primaire (hors service de la dette) de 1,75 % du
PIB en 2017 et 3,5 % du PIB en 2018. D'ores et déjà, des baisses de dépenses de
0,75 % du PIB en 2017 et de 0,25 % du PIB en 2018 sont prévues avec une épée de
Damoclès précise. « Les autorités grecques s'engagent à prendre de nouvelles
mesures structurelles en octobre 2016 pour s'assurer que les objectifs de 2017
et 2018 seront atteints », explique le texte de l'accord (article 2.1).
Le
gouvernement devra, de même, « prendre des mesures pour faire face à des
recettes fiscales inférieures aux attentes. » Bref, si les nouvelles sont
moins bonnes que prévu, ce qui est fort possible dans la mesure, rappelons-le,
où toutes les prévisions des institutions depuis 2010 se sont révélées
largement erronées, le gouvernement ne pourra en théorie pas compter sur une
révision des objectifs. Si celles-ci interviennent, elles seront bien à
l'initiative des créanciers et pas d'Athènes et, partant, elles se feront au
prix de nouvelles coupes budgétaires.
Du
reste, le mémorandum, dans sa section 1 le précise clairement : « le
gouvernement se tient prêt à prendre toutes les mesures qui peuvent apparaître
appropriées si les circonstances changent. » Ce dernier élément est décisif
parce qu'il reprend la logique précédente des accords : la course sans fin à
des objectifs budgétaires insensés qui obligent à de nouvelles coupes qui
rendent ces objectifs inatteignables... Bref, c'est un cercle vicieux qui est
en grande partie à l'origine de la descente aux enfers de la Grèce qui est
réactivé.
La
marge de manœuvre d'Alexis Tsipras et de son gouvernement pour « freiner » les
institutions sera donc très limitée. D'autant que dans la première section du
mémorandum, le gouvernement grec « s'engage à consulter les institutions et
à obtenir leurs accords avant toute action concernant la réalisation des
objectifs du mémorandum avant qu'elle soit finalisée et légalement adoptée. »
Autrement dit, le gouvernement grec ne pourra réellement agir sur le plan
budgétaire qu'avec la bénédiction préalable de l'Eurogroupe et du MES. Sa
capacité d'action est donc très encadrée. Même en cas de bonne nouvelle, elle
sera limite puisque, 30 % des recettes supérieurs aux objectifs devront être
mises en réserve pour le remboursement de la dette.
Le défi de la réforme de l'Etat
Alexis
Tsipras peut cependant espérer agir dans deux domaines : la restructuration de
la dette et la réforme de l'Etat. Sur ce dernier point qui semble désormais
être son objectif principal, le mémorandum peut même lui venir en aide. Il
prévoit en effet une amélioration de l'efficacité de l'administration,
notamment avec le soutien des Etats créanciers. Le calcul du leader de Syriza
est qu'en améliorant notamment les rentrées fiscales et en réduisant les
habitudes clientélistes, les recettes fiscales s'amélioreront rapidement et
rendront caduques les coupes prévues par le mémorandum. Le nouveau gouvernement
pourra compter, dans la réalisation de cet objectif, sur un soutien clair de
l'électorat qui, dimanche, a sanctionné pour la seconde fois de l'année les «
anciens pouvoirs » incarnés par les partis de droite et du centre.
Convaincre les créanciers
d'abandonner une logique comptable
Le
gouvernement va cependant devoir compter avec des résistances. D'abord, il
devra agir avec un personnel administratif, notamment au niveau supérieur, issu
des anciennes pratiques et qui devra finalement accepter le changement.
L'expérience du premier semestre montre que l'administration grecque peut être
un frein certain à la volonté de réformes du pays. L'autre point de résistance
pourrait venir des créanciers eux-mêmes. S'ils ont accepté les objectifs de
réforme qui étaient ceux de Syriza en janvier dernier, ils ont également prouvé
à plusieurs reprises que ce domaine n'avait pas priorité pour eux au regard des
objectifs budgétaires. Réformer un Etat prend du temps et n'est pas
immédiatement « rentable. » Cela s'oppose souvent aux objectifs chiffrés des
créanciers. Si l'on donne à ces derniers la priorité, on réduit l'efficacité
des réformes et, surtout, l'acceptation par la société de ces réformes. Faire
mieux entrer la TVA lorsque cette dernière augmente est, à coup sûr plus
difficile. Quand les revenus sont sous pression, les réflexes visant à échapper
à l'Etat sont plus forts. La logique aurait voulu que l'on réformât d'abord
l'Etat avant de lui faire subir une crise d'austérité, mais ce n'est pas le
choix des créanciers. La tâche principale du gouvernement grec sera donc de
faire abandonner aux créanciers leur logique comptable. Elle est considérable,
car la position d'Alexis Tsipras n'est guère une position de force.
La question de la restructuration de
la dette
Dernier
point sur lequel Alexis Tsipras pourra agir : la dette. En novembre, des
négociations s'ouvriront sur le sujet. On se dirige vers un rééchelonnement de
la dette publique, ce qui revient certes à réduire la valeur effective de la
dette, mais qui ne revient cependant qu'à repousser à plus tard le problème du
remboursement de sommes considérables. L'économie du pays vivra donc sans cesse
avec cette épée de Damoclès et ceci ne peut que freiner la confiance dans
l'avenir des agents économiques.
L'inquiétante proposition de
Bruxelles
Surtout,
le diable est dans les détails. Un projet de la Commission prévoit de mettre en
place une restructuration lorsque le service de la dette dépasse les 15 % du
PIB. Cette limite est tout à fait acceptable lorsqu'un Etat a accès au marché
et peut refinancer son service de la dette. Mais ce n'est pas le cas de la Grèce
et, précisément, le poids de la dette et la priorité donnée aux créanciers
publics, risquent de décourager longtemps les investisseurs de prêter à l'Etat
grec. Or, sans cette capacité de refinancement, cette limite de 15 % du PIB
devient un poids insupportable pour l'Etat grec. La logique à l'œuvre serait
celle d'une pression constante sur le budget et l'économie hellénique. Pression
qui créerait une forme encore accrue de « péonage de la dette » où les
richesses créées seraient captées largement par les créanciers, forçant l'Etat
à des économies éternelles et le pays à une croissance trop faible.
Alexis Tsipras a-t-il la main ?
Alexis
Tsipras devra donc empêcher cette logique. Mais a-t-il réellement la main sur
ce dossier ? Les créanciers européens ne procéderont à ce rééchelonnement que
pour faire venir le FMI dans le plan d'aide et réduire ainsi leur exposition.
Le tout en évitant de devoir dévoiler la vraie nature de ces plans - celle
d'une cavalerie financière intenable - car le prix politique à payer serait
insupportable. L'intérêt grec sera donc secondaire dans ces négociations.
Alexis
Tsipras ne pourra donc peser que partiellement, notamment en s'appuyant sur le
FMI. Mais dans tous les cas, il devra d'abord prouver en octobre sa « bonne
volonté » par une application stricte du mémorandum. Ce sera donc le
rééchelonnement de la dette contre l'austérité. Une logique dont l'efficacité
reste à prouver dans la mesure où, le stock de dettes ne changeant pas et le
PIB s'affaiblissant sous le poids des mesures prises, le poids de l'endettement
devrait encore croître. Au final, ce rééchelonnement lui-même pourrait
apparaître inutile. Là encore, la tâche d'Alexis Tsipras sera de convaincre les
créanciers de ne pas renouveler leurs erreurs de 2010-2015.
Les créanciers impressionnés par la
victoire d'Alexis Tsipras ?
Or,
Alexis Tsipras ne dispose plus de réels moyens de pression sur les créanciers.
On l'a vu, sa marge de manœuvre dans le mémorandum est inexistante. Il ne peut
plus menacer de renverser la table et dépend des créanciers pour se financer et
faire repartir l'économie par le renflouement des banques. Si Alexis Tsipras a
remporté une victoire politique ce dimanche en Grèce, il a bel été bien essuyé
une nette défaite le 13 juillet en Europe qui le laisse fragile et dépendant.
Et
les créanciers ont ainsi prouvé le peu de cas qu'ils faisaient de la démocratie
grecque. Ils ne manqueront donc pas de rappeler rapidement au premier ministre
grec qu'il reste extrêmement dépendant de leur « aide » et qu'il doit donc se
montrer particulièrement obéissant. Croire que la victoire électorale du 20
septembre peut affaiblir le camp des créanciers est oublier un peu vite que ni
celle du 25 janvier ni celle du référendum du 5 juillet n'a pas permis à Alexis
Tsipras de convaincre les créanciers que leur logique est néfaste. La Grèce
sera donc inévitablement soumise pour trois ans au bon vouloir à une logique
qui a échoué depuis cinq ans.
Lire
ici le mémorandum signé
entre la Grèce et ses créanciers.