« Eliminations préventives » : la guerre Minority Report, c’est maintenant ! Par Nicolas Bourgoin
La guerre est la simple continuation de la politique par d’autres moyens. La décision prise par François Hollande de mener des frappes en Syrie contre des djihadistes présumés montre une nouvelle fois l’actualité de la citation attribuée au Général Clausewitz. Traquer et identifier les terroristes potentiels sur le territoire français par une surveillance renforcée d’Internet, liquider purement et simplement ceux opérant sur le territoire syrien et le tout au mépris des principes du droit national ou international sont les deux faces d’une même politique que n’aurait pas reniée George W. Bush. Créatrice d’instabilité géopolitique et de chaos intérieur, elle alimente la menace même qu’elle prétend combattre comme le montrent les exemples Irakien, Lybien et Syrien. Le terrorisme est en grande partie une réaction, directe ou indirecte, à l’ingérence occidentale. Totalement contre-productif, l’interventionnisme impérialiste n’en est pas moins pratiqué avec un zèle qui ne se dément pas. Au bénéfice de qui ?
Agiter le peuple avant de s’en servir. Une fois l’opinion préparée à grands renforts de storytelling avec terroriste fanatisé et GI américains sauvant une fois de plus des innocents au péril de leur vie, de compassion lacrymale face au drame du petit Aylan, place aux grandes manoeuvres. François Hollande va lancer des missions aériennes de renseignement en Syrie pour préparer des éliminations ciblées et éradiquer les groupes terroristes qui menaceraient directement la France. Autrement dit, tuer des djihadistes français partis combattre en Syrie avant qu’ils ne reviennent en France planifier des attentats. Et ce, sans mandat de l’ONU ni concertation avec le gouvernement local. Avec à la clé un afflux supplémentaire de réfugiés pour la plus grande joie du MEDEF et des libéraux qui sauront utiliser comme il convient cette « armée de réserve » industrielle et providentielle pour faire encore un peu plus pression sur les salariés priés de renoncer à leur Code du Travail. Sans compter la multiplication à prévoir des attentats sur le sol français avec la présence inéluctable de djihadistes parmi les réfugiés, ce qui ne manquera pas de justifier a posteriori les mesures liberticides prises pour combattre le risque terroriste.
Cette politique de la canonnière qui bafoue le droit international place la France dans le sillage des anglo-saxons. Rappelons que la Royal Air Force a déjà tué trois djihadistes, dont au moins deux Britanniques, le 21 août dans la région de Rakka, fief de l’Etat islamique parce qu’ils étaient supposés vouloir commettre des attentats contre le Royaume-Uni. David Cameron, mis en cause, a plaidé le droit naturel de légitime défense (garanti par l’article 51 de la charte des Nations Unies) sans toutefois convaincre l’opposition politique ni les associations de défense des droits de l’homme. Les Américains font de même en menant des frappes partout dans le monde avec ou sans l’aval des pays concernés. Les attentats du 11 septembre 2001 ont fait monter en puissance cette politique avec la promulgation du Patriot Act qui légalise les assassinats ciblés et avec la rhétorique de la « guerre contre le terrorisme » qui justifie les opérations militaires préventives contre des États supposés menaçants pour les USA (rogue states).
Mais elle conduit aussi à une inversion du droit pénal en créant un régime d’exception. Les lois antiterroristes votées sous la présidence Hollande ont déjà sapé certains principes dont celui selon lequel il n’y a pas de sanction sans fait punissable. La présomption de culpabilité introduite par la loi sur le renseignementqui conduit à punir quelqu’un pour ce qu’il est – et donc pour ce qu’il pourrait faire étant donné sa dangerosité supposée – et non pour ce qu’il a fait, ainsi que le délit d’opinion introduit par la loi contre le terrorisme de l’automne 2014 qui criminalise l’apologie du terrorisme sont de vraies machines de guerre contre les principes fondateurs du droit pénal. Et la mise en oeuvre d’assassinats ciblés est une brèche de plus qui va contribuer à faire basculer encore un peu plus notre régime pénal dans ce que Günther Jacobs appelle le droit pénal de l’ennemi. Traiter le délinquant non comme un infracteur mais comme un ennemi (ou un « combattant illégal ») permet d’employer à son encontre un régime d’exception qui va de l’internement extra judiciaire sans garantie procédurale dans des lieux de non-droit à l’homicide pur et simple.
Tirer d’abord, discuter ensuite. La nouvelle doctrine de « sécurité globale » née duRapport Bauer semble monter en puissance sous la présidence Hollande. Surveillance tous azimuts et renseignement préventif, décèlement précoce des foyers de dangerosité et traque aux dissidents, le principe de précaution en matière pénale conduit à toutes les dérives liberticides. Et aussi à la guerre : le nouveau concept de défense globale fait du « terroriste » un ennemi à la fois intérieur et extérieur, ce qui conduit à rapprocher l’industrie de la guerre de celle du contrôle, le domaine de la défense de celui de la sécurité intérieure, comme le spécifiait le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui « acte la fin du clivage traditionnel entre sécurité intérieure et sécurité extérieure (…) dépasse le cadre strict des questions de défense (…) élargit la réflexion à une sécurité nationale qui intègre désormais des dimensions importantes de la politique de sécurité intérieure ».
Ces véritables « opérations de police extraterritoriales » qui vont conduire à tuer des ressortissants français en Syrie montrent à quel point les frontières entre police et défense nationale sont désormais brouillées. François Hollande, sans doute le président le plus néo-conservateur de la Cinquième République, est un adepte convaincu des assassinats ciblés et des opérations clandestines visant à neutraliser les « cibles prioritaires » (high-value targets) – des personnes jugées dangereuses pour la sécurité nationale, sur le territoire français ou à l’étranger. La menace terroriste, à la fois intérieure et extérieure justifie la stratégie transversale déployée à son encontre qui ouvre encore un peu plus la voie aux régimes d’exception et à la militarisation des politiques de maintien de l’ordre. Cette nouvelle « guerre contre le terrorisme » aura sans doute les mêmes effets que les précédentes : ajouter encore un peu plus de chaos et d’instabilité et ainsi affaiblir, dans le cas présent, l’un des derniers États qui résistent à l’impérialisme occidental.