lundi 21 septembre 2015

Syrie / ONU : Les contrevérités d’un euphémisme meurtrier (Le grand soir)

Syrie / ONU : Les contrevérités d’un euphémisme meurtrier

Samedi 19 septembre 2015
Le 16 septembre 2015 s’est tenue une séance du Conseil de sécurité consacrée à la situation humanitaire au Moyen-Orient et à l’examen des résolutions 2139, 2165 et 2191, adoptées en 2014. Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, M. Stephen O’Brien, a lu le rapport sur la situation humanitaire en Syrie [1][2].
Voici la réponse de Dr Bachar al-Jaafari, Délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies.

Monsieur le Président,
J’aimerais remercier M. O’Brien pour son important exposé d’aujourd’hui [1], mais permettez que je vous donne mon avis sur certains points de son discours.
M. O’Brien a eu raison de souligner la nécessité de traiter les causes profondes de la crise syrienne, lesquelles causes sont à l’évidence politiques et non humanitaires. Un premier point, sur lequel je m’expliquerai en partant des propos, certes très importants, que le Secrétaire général adjoint vient de tenir, non pour le critiquer ou critiquer le rapport du Secrétaire général, mais plutôt pour éclairer l’image globale, telle qu’elle a été donnée, de la situation humanitaire dans mon pays, la Syrie.
Comme vous le savez, Mesdames et Messieurs, ce respecté Conseil a adopté une série de résolutions pour lutter contre le terrorisme et, il y a deux jours, la Présidence russe, que nous remercions, a organisé un événement à l’occasion du dixième anniversaire de l’adoption de la Résolution 1624, laquelle a été suivie par la Résolution 1989, puis la Résolution 2199 ; autant de résolutions contraignantes interdisant l’incitation au terrorisme, le financement du terrorisme, le soutien du terrorisme, avant tout aux États membres de l’ONU tenus de ne pas recourir au terrorisme comme politique de pression sur d’autres États membres ; ce qui est merveilleux d’un point de vue théorique, mais n’est pas appliqué en pratique.
Ainsi, en Syrie :
Au nord, sévissent des groupes hors la loi de terroristes armés surnommés l’« Armée de la conquête » [Jaïch al-Fath], financée par le Qatar et la Turquie, et qui envoie tous les jours des milliers d’obus sur Alep, tuant des centaines et mutilant des milliers de nos citoyens, les empêchant de subvenir à leurs besoins élémentaires au quotidien.
Au sud, sévit une autre armée terroriste financée par l’Arabie saoudite et la Jordanie, état membre de cette organisation, pays frère et voisin de la Syrie. Une armée qui procède de la même manière par d’abjects actes terroristes contre nos citoyens dans cette région.
Dans les banlieues de Damas, sévit une autre armée encore, à partir de la ville de Douma mentionnée par M. O’Brien ; un groupe de terroristes financé par l’Arabie saoudite, se faisant appeler l’« Armée de l’Islam » [Jaïch al-Islam].
Rapidement et en une minute, je viens de vous résumer l’image globale de ces terroristes qui constituent trois armées, la première sous commandement de la Turquie, la deuxième sous commandement de la Jordanie, la troisième sous commandement de l’Arabie saoudite et du Qatar ; alors qu’à notre grand regret, le rapport du Secrétaire général les qualifie de « groupes armés non-étatiques ».
Nous parlons de groupes terroristes. Il parle de « groupes armés non étatiques » ! Une expression des plus neutres et, comme vous le savez, sans aucun rapport avec les vertus de vos résolutions en matière de lutte contre le terrorisme.
Par conséquent, il s’agit d’un problème politique par excellence. Il est la cause de l’augmentation paroxystique des souffrances humaines en Syrie ; le phénomène des réfugiés n’étant qu’un des aspects, devenu la principale préoccupation de l’opinion publique, de la presse et des médias internationaux.
La tragédie vécue par le peuple syrien est immense, mais malheureusement jusqu’ici ce respecté conseil n’a même pas effleuré la véritable raison qui pousse certains Syriens à quitter le pays contre leur gré.
C’est le terrorisme, Mesdames et Messieurs, qui est la principale raison de la crise humanitaire et de la fuite de ce grand nombre de Syriens en dehors de mon pays ; le terrorisme en premier lieu, puis les mesures coercitives unilatérales associées, imposées au peuple syrien et qualifiées improprement de sanctions économiques. Ce sont là les raisons majeures de la paralysie de la vie économique, de la destruction des infrastructures, de la fermeture de centaines voire de milliers d’usines, et donc de la destruction des emplois, de l’augmentation du chômage et de l’oisiveté.
La troisième raison de cette tragédie est l’exploitation de l’invasion continue par des vagues de terroristes et de mercenaires venus, par dizaines de milliers de partout dans le monde à partir d’une centaine de pays membres de cette organisation internationale, dont l’Australie, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, l’Espagne, la Libye, la Tunisie, l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Koweït... C’est ce qui ressort d’un rapport que vous avez vous-même rédigé. C’est vous qui avez donné toutes ces précisions.
Ils détruisent les richesses archéologiques en Syrie comme en Irak et s’enrichissent de la contrebande de leurs antiquités vendues aux enchères à Londres. Comment sont-elles arrivées jusqu’à Londres ? Ils volent le gaz et le pétrole syriens et irakiens et les vendent à l’Union européenne par l’intermédiaire de négociateurs turcs, ce qui les nourrit encore plus. Ils capturent et maltraitent les femmes syriennes et irakiennes. Quant à l’image du petit Aylan, elle aura en quelque sorte rendu service au peuple syrien, car elle a mis en lumière certains aspects du terrorisme, négligés par les médias, les politiciens et les diplomates, et notamment pourquoi les enfants ne vont plus à l’école. Pourquoi ?
Désormais, il est clair que si nos enfants ne fréquentent plus les écoles dans nombre de nos régions, c’est parce qu’elles ont été détruites ou contrôlées par ces terroristes qui leur dispensent un enseignement inspiré des programmes de l’Arabie saoudite et des Pays du Golfe : les méthodes de décapitation, la haine de toutes les religions, la haine de tous ceux qui ne partagent pas leurs opinions.
Daech est-il né du néant ? Non, il n’est pas né du néant. Il est né de ceux qui l’ont adopté, soutenu, financé, et lui ont permis de s’enrichir par la contrebande des antiquités et du pétrole.
En dépit de tout ce qui précède, certaines délégations persistent à tourner dans leur cercle vicieux avec l’unique souci de diffamer le Gouvernement syrien, le Président syrien et l’Armée syrienne ; alors que d’autres n’ont tenu compte que des témoignages d’un Irakien et d’un Syrien, organisant sous la Formule Arria, une réunion intitulée « Groupes vulnérables dans les conflits : poursuite du groupe des LGBT par Daech », comme si le travail du Conseil de sécurité ne se réduisait qu’à cela et pouvait le dispenser de travailler à une solution politique conduite par les Syriens eux-mêmes, sans ingérence étrangère selon vos propres résolutions.
Aujourd’hui même, j’ai adressé à l’attention du Président du Conseil de sécurité plusieurs lettres. La première est la réponse du gouvernement syrien au dix-neuvième rapport du Secrétaire général sur l’application des Résolutions 2139, 2165 et 2191. Les autres donnent les noms et prénoms des centaines de victimes tombées à Alep et à Damas sous les obus des « groupes armés non étatiques » comme le veut le rapport du Secrétaire général, ces mêmes « armées terroristes » dont je viens de vous parler ; alors qu’au cours de ces dernières années nous n’avons cessé d’attirer votre attention sur les exactions des terroristes armés et financés par la Turquie, le Qatar, l’Arabie saoudite et la Jordanie.
Mais la mise en scène se poursuit jusqu’à cet instant précis, puisque certains font mine de ne pas savoir et persistent à désigner des terroristes par l’étiquette : « groupes armés non étatiques ».
Pourquoi cette étiquette n’est-elle réservée qu’à la Syrie ? Je ne sais pas !
Pourquoi seul le terrorisme qui opère en Syrie et en Irak est qualifié d’« armée non étatique » ?
Pourquoi n’importe quel individu ayant commis un acte terroriste aux États-Unis, en France, en Espagne, en Grande Bretagne ou en Belgique, est-il qualifié de terroriste ?
Pourquoi le couvrir quand il s’agit de la Syrie ?
Pourquoi lui chercher des excuses ?
Pourquoi cette appellation de « groupes armés non étatiques » ?
Le Gouvernement syrien est un gouvernement légitime et il est de son devoir de protéger ses citoyens, de faire respecter leur Constitution et de combattre le terrorisme. Mais nous ne pouvons le faire seuls. Nous avons besoin de votre soutien, de votre vigilance et de votre compréhension pour réduire le danger terroriste auquel nous sommes confrontés en Syrie, en Irak, et dans toute notre région ; un danger qui commence à menacer vos pays aussi.
Je souhaite sincèrement que vous traitiez la crise syrienne à l’écart des agendas politiques interventionnistes de certains gouvernements, y compris ceux d’États membres de ce Conseil de sécurité. Les souffrances du peuple syrien s’accumulent et se multiplient. C’est assez !
Nos souffrances ne sont pas une marchandise à vendre et nous ne sommes pas dans un bazar de « business immoral » qui fait commerce de la douleur de notre peuple. Nous ne voulons pas que notre peuple émigre vers d’autres pays. Nous voulons que ceux qui ont quitté reviennent ; mais avant, arrêtez ce terrorisme, arrêtez de le soutenir. Arrêtez les sanctions économiques. Arrêtez les ingérences turque, saoudienne, qatarie et jordanienne. Arrêtez les entraînements militaires de l’« opposition terroriste modérée ! ».
Arrêtez, et tout sera prêt pour la solution politique. Le Gouvernement syrien est ouvert à une telle solution et ouvert à s’entendre avec l’« opposition patriote modérée », non avec des terroristes que vous ne voudriez même pas côtoyer.
Encore une fois, nos souffrances sont devenues immenses. Notre douleur est grande. Et notre regret est profond devant toutes ces ingérences étrangères dans nos affaires intérieures, et devant toutes ces lectures erronées de la situation en Syrie par certains États. Car, couvrir les agissements de Daech, de Jabhat al-Nosra, de Jaïch al-Fath, de Jaïch al-Islam et de tout le reste de ces organisations terroristes, c’est leur signifier que leurs actions sont légitimes et que certains États les protègent.
C’est pourquoi ils continuent de terroriser, alors que nous avons besoin de la concrétisation de l’initiative avancée par le président Poutine visant à créer une coalition internationale efficace pour combattre le terrorisme.
Merci, Monsieur le Président.
Dr Bachar al-Jaafari
Délégué permanent de la Syrie auprès des Nations unies
16/09/2015
Source : vidéo YouTube [Nizar Abboud], à partir de 14’30’’
Why UN Officials Euphemistic When Mentioning Terrorists in Syria
https://www.youtube.com/watch?v=4QF1GOcKhkQ&feature=youtu.be
Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] Middle East (Syria) - Security Council, 7524th meeting
16 Sep 2015 - The situation in the Middle East (Syrian Arab Republic)
Report of the Secretary-General on the implementation of Security Council resolutions 2139 (2014), 2165 (2014) and 2191 (2014) (S/2015/698)
http://webtv.un.org/meetings-events/security-council/watch/middle-east-
syria-security-council-7524th-meeting/4489503853001
[2] UNDER-SECRETARY-GENERAL FOR HUMANITARIAN AFFAIRS AND EMERGENCY RELIEF COORDINATOR, STEPHEN O’BRIEN
https://docs.unocha.org/sites/dms/Documents/16%20Sept%2015%20USG%20Syr...
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