Santé : les riches préfèrent la France
Samedi 10 Octobre 2015 à 19:00
Le ministère de la Santé et celui des Affaires étrangères veulent attirer de riches étrangers dans les hôpitaux français. Une marchandisation du soin qui inquiète les professionnels. Enquête.
WITT/SIPA
Factures “oubliées”
A l’autre bout de la France, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) s’est, elle, associée à Mondoramas, un spécialiste de l’organisation de voyages, pour attirer des patients étrangers dans ses blocs opératoires. A l’institution hospitalière, le médical, à l’agence, le commercial. Les patients pour l’un, les clients pour l’autre. Pour l’heure, le binôme, regroupé sous la structure Provence Surgery, ne teste la formule qu’en orthopédie, avant peut-être d’élargir son offre. « Depuis le mois de juillet, nous avons reçu une vingtaine de dossiers, confie Yves Guivarc’h, le patron de Mondoramas. Nous proposons une offre packagée, comprenant l’anesthésie, l’opération, la logistique… Quoi qu’il se passe, le patient paie le même prix. » Pour une hanche, comptez environ 20 000 €, transfert depuis l’aéroport et interprète compris. L’intégralité de la somme doit être réglée en amont, afin d’éviter les mauvaises surprises. C’est l’une des plaies de l’hôpital public français : il a acquis la réputation de soigner gratuitement, un certain nombre de patients « oublient » donc parfois de régler la facture, même quand ils en ont largement les moyens. A Marseille, la créance s’élève à 9 millions d’euros. Elle est essentiellement le fait de touristes admis aux urgences. « Le plus gros problème, ce sont les Américains. Il est très difficile de se faire payer par leur assurance », indique Jean-Marc Viguier, le secrétaire général de l’AP-HM. Les pays du Maghreb ont, eux aussi, une ardoise importante. « Par l’intermédiaire des ambassades, nous essayons de renouer avec les organismes payeurs, les caisses de sécurité sociale. C’est ainsi que nous avons pu solder la quasi-totalité de la créance de la Tunisie, autour de 2 millions d’euros », explique Jean-Marc Viguier.
Différence de traitement
Les Hôpitaux de Paris, les plus visités des patients étrangers, ont eux aussi lancé une procédure de récupération des impayés. Le trou dans la caisse est énorme : plus de 118 millions d’euros ! Aux premiers rangs des mauvais payeurs, l’Algérie, qui doit 31,6 millions d’euros, le Maroc (11 millions) et les Etats-Unis (5,6 millions). Désormais, de nouvelles méthodes d’admission vont être mises en place pour éviter les ardoises, prévoyant notamment le paiement en avance. Pas d’arrhes, pas de chirurgie ! D’autant que le nombre de séjours de malades internationaux va vraisemblablement monter en puissance : en 2014, l’AP-HP comptabilisait 11 185 séjours de malades internationaux, une augmentation de près de 10 % par rapport à 2010. Depuis 2013, ils paient plus cher que ceux qui cotisent à la Sécurité sociale. L’émir qui a privatisé toute une aile de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), a donc casqué – même si les tarifs ont dû lui sembler très bas, bien inférieurs à ce qui se fait ailleurs, malgré la majoration. « A un moment où nous avons besoin de tous les moyens pour soigner les plus modestes, où nous devons maîtriser nos dépenses tout en innovant, gagner de l’argent sur ces patients qui en ont les moyens, cela ne me choque pas », assurait à la suite de cet épisode Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP, ravi d’endosser le costume de Robin des bois des hostos. Certes.
En attendant, on ne peut que déplorer une différence de traitement entre ce superriche et le pékin moyen. Les pouvoirs publics, la Fédération hospitalière de France, assurent, eux, que l’accueil de patients solvables, voire très solvables, ne se fera pas au détriment des autres. Malgré leurs dénégations, il y a un risque, réel, de voir s’instaurer, un peu plus encore, un hôpital à double vitesse : d’un côté, les riches, étrangers ou français d’ailleurs, traités plus rapidement et selon leurs exigences parce qu’ils payent plus ; de l’autre, les moins fortunés, obligés d’attendre des mois pour un rendez-vous. « C’est une hypocrisie totale de dire qu’il n’y aura pas de différence de traitement, s’agace André Grimaldi, diabétologue et défenseur de l’hôpital public et de ses valeurs d’égal accès aux soins. On a tous vu déjà des comportements invraisemblables de malades riches. » Des « pauvres » déprogrammés au profit de « riches », des infirmières et aides-soignants considérés comme des domestiques… « Il y a moyen de faire en sorte que cela se passe correctement. A mon avis, la bonne position, c’est d’abord faire payer bien plus que seulement 30 % supplémentaires. Ensuite, ne pas accorder d’aménagement particulier. Et enfin, instaurer une unique caisse de paiement. Pour l’heure, l’hôpital, le médecin et l’éventuel intermédiaire sont payés », dit André Grimaldi, qui plaide par ailleurs pour que tous les établissements de l’AP-HP profitent de cette manne et pas seulement ceux qui accueillent ces patients. Le ministère de la Santé et celui des Affaires étrangères ont fait connaître leur volonté de mettre en place leur plan d’ici à la fin
de l’année.
de l’année.
Tout le monde peut être un VIP
Un croissant livré tous les après-midi en chambre. Le Parisien et son supplément le vendredi matin. Coût du service : celui de la viennoiserie et du journal. Pas plus. « Nous proposons nos services à tout le monde. Nous ne sommes absolument pas un service pour très riches, explique Pierre Lassarat, le fondateur d’Happytal, une société de conciergerie hospitalière fondée en 2013. Nous sommes là pour faciliter la vie des personnes hospitalisées et de leurs proches. » Un malade qui a besoin de faire laver son linge, une vieille dame qui a envie d’une mise en plis pendant sa convalescence : la conciergerie hospitalière s’en occupe. Une chemise toute propre est facturée à peine plus de 3 €, le shampoing-soin-coupe-brushing, 29,90 €. Happytal négocie ses prix en amont, avec les fournisseurs. « Tout ce que nous proposons est en lien avec l’hospitalisation », détaille Pierre Lassarat. Pas de caprices, pas d’exigences, juste des demandes raisonnables. « La chose la plus particulière qu’on nous ait demandée jusqu’ici, c’est une personne qui souhaitait que nous lui trouvions un serrurier. Les pompiers étaient venus le chercher et avaient claqué la porte, les clés étaient restées à l’intérieur », raconte Pierre Lassarat. L’accueil de la conciergerie et la hotline sont accessibles de 10 heures à 19 heures. « Nous favorisons les livraisons pour le lendemain, pas dans l’heure », poursuit-il. La conciergerie hospitalière est actuellement présente dans cinq établissements publics, et compte bien se développer d’ici à la fin de l’année. « Je savais que je ne pourrais pas faire évoluer l’accueil hôtelier de l’hôpital dans l’immédiat », explique Christophe Kassel, l’ancien directeur de l’hôpital de Pontoise (Val-d’Oise), qui vient d’être nommé à Caen. « Dans une politique globale d’amélioration de l’accueil et de la qualité de vie à l’hôpital, nous avons donc fait appel à Happytal. » Le service deviendra-t-il « premium » avec le développement du tourisme médical ? « Peut-être faudra-t-il réfléchir à un autre service, très réactif, plus cher », imagine Pierre Lassarat. Mais ce n’est pas dans nos réflexions aujourd’hui. Notre ambition, c’est de servir le plus grand nombre, pas les VIP. »
Le tourisme médical en chiffres
- 7,5 millions de touristes médicaux en 2007 dans le monde.
- 16 millions en 2012.
- 8 900 en France.
- Un marché mondial estimé à 60 milliards d’euros.
- Le prix de différents traitements (en 2011, en dollars)
- Pontage coronarien : 113 000 aux Etats-Unis, 10 000 en Inde, 13 000 en Thaïlande, 13 900 au Royaume-Uni, 23 700 en France.
- Prothèse de hanche : 47 000 aux Etats-Unis, 9 000 en Inde, 12 000 en Thaïlande, 12 000 au Royaume-Uni, 10 700 en France.
- Mastectomie : 17 000 aux Etats-Unis, 7 500 en Inde, 9 000 en Thaïlande, 5 600 en France.