mercredi 14 octobre 2015

Santé : les riches préfèrent la France partie 1 (Marianne via les mots ont un sens)

Le ministère de la Santé et celui des Affaires étrangères veulent attirer de riches étrangers dans les hôpitaux français. Une marchandisation du soin qui inquiète les professionnels. Enquête.
M.LIBERT/20 MINUTES/SIPA
Voiture avec chauffeur. Palace de haut standing. Privatisation de boutiques de luxe. Scalpel. Bistouri. Tout est prêt pour l’opération à cœur ouvert. Le patient allongé sur la table n’a pas de carte Vitale. Il possède, en revanche, une carte Platinum. Il est chinois, russe, américain ou saoudien et a fait appel à une luxueuse conciergerie médicale pour organiser son hospitalisation. « Nous nous occupons de tout. Nous trouvons le bon chirurgien pour la bonne personne. Et tout le reste », explique Najette Sabban, la responsable de Surgical Luxury Concierge, une société spécialisée dans l’organisation de séjours médicaux en France. Madame veut un cours de yoga pendant que Monsieur est sous anesthésie générale ? « On trouve. » Monsieur veut un traiteur asiatique plutôt qu’un insipide plateau repas d’hosto ? « On trouve. » « Nous répondons aux besoins de nos clients. Mais dans la limite du raisonnable », précise Najette Sabban. Un jet au milieu de la nuit en sortant du bloc, par exemple, c’est non. Mais ça n’a jamais été exigé. « Nous ne recevons pas de demandes extravagantes car il s’agit de personnes malades, qui viennent pour se faire soigner », ajoute-t-elle. Depuis sa création, en février dernier, Surgical Luxury Concierge s’est occupé de 37 patients, dont 15 étrangers, tous soignés dans des cliniques privées. Les 24 en attente de traitement sont tous des patients internationaux.
La France veut être une destination prisée des « touristes médicaux»Oligarques moscovites, émirs du Qatar, traders londoniens, cadres sup new-yorkais, richissimes ou simplement « solvables », et souffrants : voilà le type de malades que les pouvoirs publics veulent attirer dans les hôpitaux hexagonaux. La France ne veut plus se contenter de cette poignée de VIP qui, chaque année, traversent les fuseaux horaires pour venir se faire opérer, plus ou moins discrètement, à Paris, Marseille ou Lyon, souvent dans le service d’un professeur de médecine qui opère dans le cadre de son activité libérale. Elle veut être une destination prisée des « touristes médicaux », financièrement aisés ou couverts par une assurance santé, capables de prendre un avion pour une opération programmée. Et elle veut que ça rapporte. « Le marché international de l’offre de soins présente des perspectives de croissance majeures, susceptibles d’engendrer des retombées substantielles en matière d’activité économique, de création d’emplois, et de recherche en France », indiquaient la ministre de la Santé, Marisol Touraine, et celui des Affaires étrangères, Laurent Fabius, en annonçant, le 31 juillet dernier, une série de mesures pour développer l’attractivité des établissements de santé français.
Parmi celles-ci, l’édition d’une brochure multilingue présentant l’offre de soins, des simplifications administratives pour les établissements, qui pourront établir des devis et facturer plus cher leurs prestations à ces patients-là, un coup de pouce aux métiers de la conciergerie médicale et de l’hôtellerie… A l’échelle mondiale, le tourisme médical génère 60 milliards d’euros. La Thaïlande, l’Allemagne ou la Suisse en ont fait une de leurs spécialités depuis plus de quinze ans. En France, l’accueil de patients étrangers pourrait rapporter 2 milliards d’euros d’ici à cinq ans, selon les estimations de l’économiste et ancien directeur des hôpitaux Jean de Kervasdoué, auteur d’un rapport sur la question. Pionnier en la matière, l’Hôpital américain de Paris, à Neuilly-sur-Seine, réalise presque un tiers de son chiffre d’affaires grâce aux opérés internationaux, soit 30 millions d’euros en 2014. Près de 30 % de la patientèle réside hors de France, dans les pays arabes, sur le continent africain ou en Europe de l’Ouest.
L’établissement, privé, n’est pas conventionné et peut donc fixer ses propres tarifs. Tout est payant : les frais de bloc opératoire, les frais de séjour, les dépassements d’honoraires du médecin qui opère, les services demandés à la conciergerie… En contrepartie, le confort est au top, digne d’un palace. Les repas sont adaptés aux demandes du malade, végétarien, kasher… L’Hôpital américain de Paris est d’ailleurs particulièrement réputé pour son hôtellerie. Les promoteurs du « tourisme médical » verraient bien la même chose dans les hôpitaux publics. « Pour ce qui est des conditions hôtelières, à quelques très rares exceptions, aucun établissement sanitaire français n’est au standard international, écrit Jean de Kervasdoué, dans son rapport. Pour accueillir cette patientèle exigeante, il faudrait donc offrir les conditions hôtelières auxquelles ils sont habitués, et, bien entendu, les facturer en conséquence. » En attendant, pourquoi ne pas ouvrir « quelques hôtels haut de gamme spécialisés dans l’accueil de malades étrangers et de leur famille ? », propose encore l’économiste. Il faut croire que les malades riches ont le dos plus fragile que les simples détenteurs de carte Vitale et qu’ils ont besoin de plus de confort…
 
Médecine et faste
Quelques sociétés privées se sont déjà positionnées sur le créneau, désireuses de jouer les intermédiaires médicaux et offrant nombre de prestations et forfaits tout compris aux étrangers souhaitant profiter de l’excellence de la médecine et du luxe français. « Cette activité doit être réglementée ! plaide Mahieddine Tahraoui. N’importe qui aujourd’hui peut ouvrir une boîte d’assistance médicale. Il y a des arnaques. » Lui a créé la sienne, TMI Assistance, en 2006. Son objet : faciliter la venue de malades étrangers en France, essentiellement en provenance d’Afrique de l’Ouest. Il ne propose pas de billets pour Disneyland Paris, ni de shopping-tour avenue Montaigne ou d’hébergement cinq étoiles. Simplement du médical et de l’accompagnement. Il assure qu’il s’occupe autant de ministres que d’employés ou d’ouvriers pris en charge par les caisses de sécurité sociale de leur pays. « Le ministère de la Santé du Burkina Faso, par exemple, consacre chaque année 1,5 milliard de francs CFA [plus de 2,2 millions d’euros] pour envoyer des malades se faire soigner à l’étranger », explique Mahieddine Tahraoui. S’il voit d’un bon œil les annonces gouvernementales en matière d’accueil des patients non français, le patron regrette la nouvelle politique tarifaire des Hôpitaux de Paris. « L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a augmenté de 30 % les tarifs pour les patients internationaux. C’est un problème, ils confondent les malades du Golfe et les autres. Du coup, les moins aisés préfèrent aller en Tunisie ou au Maroc, moins chers », déplore-t-il. Depuis le 20 août, les établissements sont en effet autorisés, par décret, à surfacturer les soins aux étrangers non assurés sociaux.
L’établissement, flambant neuf, rêve de soigner des patients anglaisL’accueil des malades internationaux entre doucement dans les mœurs hospitalières, de façon de plus en plus assumée. Ici et là, des initiatives voient le jour. Sur la Côte d’Opale, le centre hospitalier de Calais regarde avec envie de l’autre côté de la Manche. L’établissement, flambant neuf, rêve de soigner des patients anglais. Martin Trelcat, son directeur, a calculé que l’activité pourrait faire entrer 1 million d’euros dans les caisses de l’hôpital annuellement, pour environ 400 opérés. « De nombreux Britanniques viennent faire leurs courses au Carrefour à Calais, pourquoi ne viendraient-ils pas aussi pour se faire soigner ? » s’interroge-t-il. L’hôpital est situé à trente-cinq minutes seulement de la région du Kent. Les habitants de ce bassin de vie ont plus vite fait de sauter dans l’Eurostar que de se rendre à Londres. « Il y a une demande de la part de la classe moyenne anglaise, qui souhaite être soignée dans des hôpitaux neufs et sans délais à rallonge », assure Martin Trelcat. De par sa situation géographique, le centre hospitalier de Calais a l’habitude de traiter des Anglais de passage ou des chauffeurs routiers en transit. « Ils viennent principalement pour des soins en urgence, du non-programmé. Nous souhaitons développer toute l’activité de soins programmés », poursuit le directeur. L’établissement a demandé au National Health Service (NHS), l’autorité sanitaire anglaise, une accréditation officielle pour pouvoir recevoir ces malades, nécessairement adressés par leur médecin traitant. Des formations à la langue anglaise vont être proposées au personnel soignant tandis qu’un agent s’occupera d’accompagner les patients pendant leur séjour : conseils pour l’hébergement et la logistique, bons plans tourisme… Mais pas de « packages »...