mercredi 2 décembre 2015

(Travail - Retraite) Après la pensée unique, "Le Monde" invente le traitement obligatoire (Marianne)

Après la pensée unique, "Le Monde" invente le traitement obligatoire

Mercredi 02 Décembre 2015 à 14:57
Directeur adjoint de la rédaction de Marianne

Assouplissement des procédures de licenciement, travail du dimanche, suppression des 35 heures… Ne discutez pas : pour le quotidien du soir, ces recettes sont forcément « efficaces ».

Le Monde est un journal sérieux. La preuve : où le sondé a le choix entre le « oui, tout à fait » et le « oui, mais », mais en aucun cas le non franc et massif.
Le sondage en question, réalisée par Ipsos dans le cadre de la 17ème journée du livre d’économie, porte sur la valeur travail, si méprisée par les temps qui courent. Voici la question posée aux personnes consultées : « Pour favoriser la création d’emplois en France sans creuser les déficits publics, chacune des mesures suivantes vous paraît-elle… ? » Et là, deux options s’offrent à la personne, au choix, soit : « efficace mais souhaitable », soit : « efficace mais pas souhaitable ».
Visiblement, nul n’ose imaginer que les options proposées puissent être inefficaces. Et quelles sont ces options miraculeuses ? « Assouplir les procédures d’embauche et de licenciement » ; « Autoriser plus largement le travail du dimanche » ; « Revenir aux 39h de travail hebdomadaire » ; « Assouplir le salaire minimum et l’adapter en fonction des branches » ; « « Reculer l’âge de la retraite à 65 ans pour les salariés et les fonctionnaires » ; « Réduire le nombre de congés payés pour les salariés ». Rien que ça.
Bon. On aura reconnu le vade-mecum de tout bureaucrate patronal ayant révisé sa leçon après avoir suivi ses cours du soir. Visiblement, pour Ipsos et Le Monde, il n’existe absolument aucune autre piste de travail que celles exposées lors des universités d’été du Medef, en présence ou non de Manuel Valls. Passons. Non seulement, le choix se réduit à un médicament conçu par un laboratoire connu, mais en plus on est sommé de le trouver « efficace », à défaut de le trouver « souhaitable ».
Bref, licencier plus facilement, c’est forcément « efficace ». Le travail du dimanche, c’est forcément « efficace ».Travailler plus sans gagner plus via la mise à bas des 35 heures, c’est forcément « efficace ». La baisse du Smic, ce salaire de privilégiés, c’est forcément « efficace ». Un nouveau recul de l’âge de la retraite, c’est forcément « efficace ».
Après la pensée unique, voilà le traitement obligatoire. Il peut être plus ou moins douloureux, avoir des effets secondaires à surveiller de près, mais il n’y en a pas d’autre en magasin. Désolé, on fait ce qu’on peut, à l’impossible nul n’est tenu.
Et si la médication s’avère un peu pénible à supporter, Le Monde saura offrir un traitement complémentaire pour faire passer la pilule.
Il n’est pas une semaine où le journal du soir ne nous explique, tableaux à l’appui, qu’il va falloir travailler plus longtemps.Prenez la retraite, par exemple. Il n’est pas une semaine où le journal du soir ne nous explique, tableaux à l’appui, qu’il va falloir travailler plus longtemps et qu’il n’est pas d’autre solution pour sauver les régimes de retraites, comme si le chômage n’avait aucune conséquence. C’est l’un des mantras du chroniqueur Arnaud Leparmentier et de quelques autres, qui inondent les pages du supplément « Economie » du quotidien de déférence de leurs idées toutes faites et de leurs raisonnements coulés dans le marbre.
Puis, un jour, on ouvre le supplément « Argent & placements » du Monde (1/12/2015), consacré – ô surprise – à la retraite. Et que lit-on ? « La récente réforme des régimes complémentaires ouvre un boulevard à un nouveau report de l’âge légal de départ à la retraite » (ce qui est vrai) et donc que les Français « inquiets » (il y a de quoi) « ont tout intérêt à réfléchir aux solutions permettant de compléter leur future pension » (ben voyons).
Alors, Le Monde expose (on est dans le supplément « argent », ne l’oublions pas) les charmes cachés de l’assurance-vie, « placement idéal », le « bon plan des rentes à vie », ou encore les avantages de « la pierre, un abri pour les vieux jours », sans oublier les produits d’épargne-retraite et « la promesse des fonds flexibles ».
Résumons. Le Monde promeut au quotidien une réforme des retraites qui est une machine à fabriquer de futurs vieux pauvres. Dans la foulée, pour calmer des citoyens perturbés, il leur lance une bouée de secours pour les inciter à monter en catastrophe dans les navires affrétés par les banques, les compagnies d’assurance et les groupes financiers qui font miroiter l’éclat de formules aussi séduisantes qu’illusoires (sauf pour ceux qui en vivent).
Bravo. C’est du bon boulot. Cela s’appelle joindre l’utile au désagréable.