Clotilde Doré, Christophe Tellier et Michel Tobelem (Crédits : DR)
La mondialisation économique et géopolitique et, plus encore, la révolution des technologies de l'information, ont raccourci la relation au temps dans les entreprises, et en bouleversent le fonctionnement tout entier. L'horizon s'est réduit pour les équipes opérationnelles. Au sein des comités exécutifs et, surtout, au sein des Conseils d'Administration ou de Surveillance, cette relation au temps devrait reposer sur une autre vision. Et pourtant. Qu'il s'agisse de faire une acquisition majeure ou de sortir d'une activité, il est rare que la stratégie économique dépasse le stade de l'opportunisme.
Certes, la place pour la vision, la stratégie, les hypothèses en rupture, est toujours là mais en version courte, comme le serait la conduite d'une voiture dont le conducteur anticiperait le prochain virage sans se préoccuper du suivant ... qui pourrait être un croisement.
Exemples et contre-exemples avec Unilever et Volkswagen
L'actualité de Volkswagen est un rappel cruel. Si son conseil s'était attaché plus formellement à la création de valeur à long terme au lieu de vouloir coûte que coûte vendre plus de véhicules et faire plus de profits que Toyota, il aurait pu éviter la destruction de valeur encore inestimable à venir pour les stakeholders (salariés, actionnaires, clients, industrie automobile, länder allemands...).
Il y a pourtant des groupes dont les mandataires sociaux savent toujours insuffler la recherche de la pérennité dans le travail des équipes, la volonté d'innover sans cesse dans les produits et services délivrés aux clients, dans les modes de management. On peut - on doit - les suivre.
Mobiliser des capitaux sans attendre de retour avant dix ans, c'est précisément ce que font les grands acteurs que sont les « GAFA » (acronyme pour « Google, Amazon, Facebook, Apple»). Leurs cash-flows leur en donnent les moyens. Mais ils ne sont pas les seuls : des entreprises au profil plus classique, des purs « brick and mortar » même, pensent dans un espace-temps générationnel. Ils cultivent le bonheur communicatif de donner du sens à ce que l'on fait dans une entreprise pour le transmettre. Ce sont elles qui attirent à eux comme jamais les talents à la recherche de ce fameux sens dans leur activité professionnelle.
Ne pas succomber à la pression
Il n'y a pas de raison pour qu'elles soient des exceptions. Bien sûr, pour avancer, et plus encore pour s'inscrire dans la durée, une entreprise a besoin de financement. Mais précisément, l'apport en fonds propres est assuré au final par les marchés financiers.
Un simple exemple : Paul Polman, le patron d'Unilever qui, dès le lendemain de sa nomination en 2009 annonçait à ses actionnaires qu'Unilever allait maintenant prendre une approche à long terme et que, s'ils n'adhéraient pas à un modèle économique valorisant la création de valeur à long terme, équitable, partagée, durable, il fallait qu'ils investissent ailleurs.
Ainsi, la pression des marchés financiers à mesurer la performance ne devrait plus être que celle du court terme. Il appartient aux Conseils d'Administration et aux Présidents qu'ils nomment de ne pas succomber à cette pression. Il faut que ces derniers, comme nous tous, réapprennent à se projeter au-delà de leur durée de vie. N'est-ce pas en agissant de la sorte que les caves de grandes maisons de cognacs nous délectent des saveurs mises en fût il y a plus de 100 ans et dont les incomparables nuances annulent tous les efforts de leurs potentiels concurrents à les imiter?
L'essence même de "l'esprit entrepreneurial"l'essence même de "l'esprit entrepreneurial"
Les Conseils d'Administration, les Présidents, les Comités Exécutifs et tous les salariés engagés pour leur entreprise devraient être inspirés à reprendre goût à se projeter sur des projets à 10 ans et plus, au-delà d'eux-mêmes, au-delà de leur temps propre.
C'est tout à fait possible et c'est finalement l'essence même de "l'esprit entrepreneurial" que toutes les entreprises recherchent lorsqu'elles nous demandent d'évaluer ou de recruter à travers le monde des dirigeants, des équipes dirigeantes, capables d'innover, de prendre des initiatives, de s'engager personnellement, d'avoir une vision, de gérer le présent en étant déjà dans le futur.
Par des initiatives comme celle de « Earth on Board »[i], dédiée à l'évaluation et l'accompagnement des stratégies ou de leur absence de stratégie sur des sujets durables, les Conseils d'Administration, prennent de plus en plus conscience de la nécessité qu'ils ont à contribuer au développement de modèles économiques intégrants très en amont des éléments de performance non financière comme leur engagement environnemental pour améliorer et sécuriser la performance de l'entreprise qu'ils servent, aux côtés des traditionnels indicateurs financiers.
Christophe Tellier, Clotilde Doré et Michel Tobelem, co-fondateurs de Beyond Associés
(Beyond Associés est un cabinet de conseil en recrutement et développement de dirigeants)
[i] Conçue par Philippe Joubert, CEO du Conseil Mondial des Entreprises pour le Développement Durable (WBCSD) et Beyond Associés